Après des semaines de mobilisation des "pro" et des "anti", la loi sur le mariage entre personnes de même sexe entre en discussion à l'Assemblée. Mais le débat a souvent été pollué par des contrevérités et de fausses rumeurs. Le Monde.fr fait le point sur les vrais flous de ce texte.
LES ARGUMENTS DU DÉBAT
- L'adoption va donner tous les enfants aux couples homos
En France, un peu moins de 30 000 personnes souhaitent adopter, quelles que soient les raisons, et ont été agréées par les organismes compétents. Dans les faits, la plupart d'entre elles devront attendre de longues années, car il y a beaucoup moins d'enfants que de personnes désireuses d'adopter. D'où la crainte que la possibilité offerte aux couples homosexuels d'adopter vienne faire baisser les demandes satisfaites pour les couples hétérosexuels.
En réalité, le projet de loi ne modifie pas, en droit, les lois sur la filiation (même s'il en change la philosophie), et ouvre simplement l'adoption aux couples homosexuels au même titre qu'aux couples hétérosexuels. En clair, les premiers, qui ne pouvaient jusqu'ici adopter qu'en tant que célibataires, le pourront en tant que couples. Mais en pratique, les adoptions "plénières" et internationales sont en baisse, le nombre d'enfants à adopter se réduisant. Et la plupart des pays refusent de confier un enfant à un couple homosexuel.
Les trois quarts des enfants adoptés par des Français viennent de l'étranger. En 2012, ils étaient quelque 1 500 pour 600 Français. Or ce sont les pays d'origine de ces enfants qui décident des critères de sélection des familles qui recueilleront un orphelin. La plupart des pays refusent de confier un enfant à une personne seule, et à l'exception du Brésil et de l'Afrique du Sud, aucun pays n'autorise l'adoption par un couple homosexuel.
Cette possibilité d'adoption en couple homosexuel concernera donc, en pratique surtout, les familles homoparentales, qui seraient entre 30 000 et 200 000. A l'heure actuelle, il est impossible pour le conjoint homosexuel d'adopter – adoption "simple", avec l'accord des parents et sans perte de droits du père ou de la mère biologique – l'enfant de sa compagne ou son compagnon.
La loi le permettra, ce qu'elle ne fait pas aujourd'hui, comme on l'a vu dans une affaire récente. Bref, peu de choses changent concrètement. Et il n'est aucunement question d'accorder aux homosexuels des droits différents de ceux des hétérosexuels.
- Le mariage pour tous ouvre la voie à la gestation pour autrui (GPA)
Brandie par les opposants, la gestation pour autrui (GPA) est le fait d'autoriser des mères porteuses, éventuellement rémunérées, comme cela existe dans plusieurs pays (Afrique du Sud, Royaume-Uni, Brésil, Canada, Etats-Unis, Grèce, Iran, Israël...). Elle n'est pas dans le texte de loi, et ne sera normalement pas dans celui sur la famille.
L'argument des "anti" est qu'en autorisant le mariage, on ouvre la voie à la PMA, puis à la GPA, car selon eux, la PMA introduit une inégalité entre couples de femmes et d'hommes, que ces derniers voudront corriger.
Si la GPA est une revendication de certaines associations homosexuelles, elle n'est pas portée par le gouvernement. Si quelques ministres ont dit par le passé qu'ils étaient pour, à l'instar de Najat Vallaud-Belkacem, François Hollande a fait savoir à plusieurs reprises qu'il était opposé à cette pratique, de même que le PS.
Il paraît peu crédible qu'ils changent d'avis en quelques semaines, surtout sur une question qui est loin de recueillir l'approbation d'une majorité de Français.
- Il n'y a pas eu de débat autour du mariage, la parole a été confisquée
Les opposants au mariage pour tous réclament un grand débat national sur le sujet, arguant qu'une telle modification des règles de la société ne peut se faire sans que cette dernière ne soit consultée. Et certains de citer comme exemple le débat sur la laïcité de 2011, dont le succès fut très relatif.
Comme pour tout projet de loi, l'examen en séance est précédé d'un examen en commission. Cela a été le cas pour le texte sur le mariage pour tous. Certes, le rapporteur, le député de l'Isère Erwann Binet, a été critiqué sur le fait que les opposants étaient sous-représentés, mais les débats ont bien eu lieu. Plus de quatre-vingts personnes ont participé à ces discussions, parmi lesquelles des avocats, des représentants religieux, des associations, des sociologues, des pédopsychiatres, etc. Surtout, ont pris part à ces auditions les principaux opposants aux textes, dont les associations organisatrices des manifestations.
Lire : "Les contributions écrites des personnes entendues" (PDF)
- En autorisant l'adoption par un couple de même sexe, on privera un enfant d'un père et d'une mère
C'était l'un des slogans les plus vus lors des manifestations des opposants à ce texte de loi : un enfant a droit à un père et à une mère pour s'épanouir. Rappelons, s'il est besoin, que la loi ne change rien au processus d'adoption et qu'il n'est pas question de retirer un enfant à ses parents, biologiques ou non, pour le confier à un couple homosexuel.
Pourtant, cette question sera débattue à l'Assemblée : plusieurs amendements ont été déposés pour que soit inscrit dans la loi que "l''intérêt supérieur de l'enfant est de vivre prioritairement auprès du père et de la mère dont il est né".
Derrière cet argument figure la crainte qu'un orphelin soit adopté par un couple homosexuel, plutôt que par un homme et une femme. La loi permet d'ores et déjà à une personne d'adopter en tant que célibataire. Donc une personne homosexuelle peut, en toute rigueur, déjà adopter depuis 1966, puisque la loi ne fait pas mention de l'orientation sexuelle. A l'occasion de l'examen de cette loi, plusieurs amendements ont été déposés pour revenir sur cette possibilité. Ainsi, le député d'extrême droite Jacques Bompard propose de supprimer cette possibilité, jadis destinée à trouver une famille aux orphelins de guerre.
CE QUI EST FAUX
- Les mots père et mère vont disparaître du code civil et du livret de famille au profit de "parent 1" et "parent 2"
On l'a dit et répété, mais l'argument revient régulièrement. La réponse est toujours la même : non, ces termes ne disparaîtront pas. Dans le projet de loi initial, ils devaient être remplacés dans une centaine d'articles du code civil. Devant l'émoi suscité par ce changement, les auteurs du texte ont préféré une solution plus simple : un "article balai" qui définit que, dans tout le code, ces mots doivent se lire "parents" dans le cas de couples homosexuels.
Quant au livret de famille, là encore, il s'agissait de rumeurs non précisées. En réalité, il est probable qu'à l'avenir il y ait plusieurs livrets, afin de ne pas modifier celui des couples hétérosexuels. La ministre de la justice, Christiane Taubira, a évoqué la piste de trois livrets : un pour les couples hétérosexuels, un pour deux hommes et un pour deux femmes.
Lire : "'Père et mère', code civil, référendum, les contrevérités sur le mariage homosexuel"
- La preuve, la SNCF l'a déjà fait avec la carte "Familles nombreuses"
Selon les détracteurs du projet, la SNCF est allée aux devants de la loi en supprimant les mentions de père et mère dans le formulaire à remplir pour bénéficier de la carte "Familles nombreuses". Ce qui s'avère n'être qu'une rumeur.
En réalité, les formulaires de la SNCF pour cette carte de réduction, qui n'ont pas bougé depuis 2010, ont effectivement remplacé "père" et "mère" par "parent 1" et "parent 2" depuis très longtemps, sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec une loi sur le mariage homosexuel que l'opérateur aurait anticipée.
La SCNF a répondu à cette question, en expliquant qu'elle devait couvrir des cas différents, comme celui d'un tuteur qui se substituerait aux parents, ou encore celui des familles monoparentales.
Lire : "La réponse de la SNCF à un usager courroucé"
- Le Brésil vient d'autoriser le mariage à trois
Certains en sont persuadés : le mariage homosexuel va ouvrir la voie à la légalisation de la polygamie. La preuve ? Le Brésil a autorisé le mariage gay et vient de célébrer "mariage à trois".
Les choses sont un peu plus complexes. En réalité, le Brésil, qui autorise une "union civile" aux homosexuels, n'a absolument pas célébré d'union civile entre trois personnes. C'est une notaire de la ville de Tupa, Claudia do Nascimento Domingues, qui a profité d'un vide juridique pour avaliser un document juridique établissant que trois personnes vivaient ensemble "comme une famille" (lire notamment cet article de la BBC, en anglais).
Rien ne semble indiquer qu'ils avaient des relations sexuelles – celles-ci sont constitutives d'un mariage. Un spécialiste interrogé par l'AFP évoquait une forme d'"union patrimoniale" touchant surtout à l'héritage. Et ce document a été aussitôt fortement critiqué dans le pays, d'autres juristes estimant qu'il n'avait aucune valeur.
Interrogée par la BBC, une juriste, Regina Beatriz Tavares da Silva, estime ainsi que ce texte est "absurde et totalement illégal", "totalement inacceptable" et "à l'encontre des valeurs et de la morale brésiliennes".
Bref, on est très loin du "mariage" hâtivement évoqué par certains titres.
- En Espagne, la loi prévoit deux mariages
C'est un des arguments de ceux qui souhaitent différencier le mariage entre deux personnes du sexe opposé et une "union civile" entre deux personnes du même sexe. L'Espagne a légalisé le mariage homosexuel en 2005, un an après que le Parti socialiste est revenu au pouvoir.
Le texte qu'ils ont voté ne souffre aucune ambiguïté : c'est bien le mariage civil qui a été étendu à deux personnes du même sexe et non un dispositif ad hoc. N'en déplaise à Luc Chatel, ancien ministre de l'éducation, qui en avait fait un argument.
M. Chatel a semble-t-il inversé les choses, et joué sur le fait qu'en Espagne, un mariage religieux bénéficie d'une reconnaissance civile, et reste interdit aux homosexuels.
Lire : "Luc Chatel invente un deuxième mariage espagnol"
CE QUI EST FLOU
- La loi ne règle pas vraiment la question des familles homoparentales
Le projet de loi du gouvernement n'est pas pour autant exempt de défauts. Deux questions principales peuvent être évoquées, qui sont laissées dans le flou.
Tout d'abord, la filiation. Le projet de loi ne touche pas au droit de la filiation, renvoyé à la future loi "famille", supposée arriver au printemps. Une stratégie destinée à éviter les crispations, au risque de laisser des questions en suspens. Le texte continue ainsi d'estimer que les couples homosexuels, femmes ou hommes, n'ont pas de "présomption de paternité". La compagne d'une femme enceinte n'est pas prise en compte dans la loi et devra faire une démarche d'adoption simple pour avoir des droits sur cet enfant, par exemple.
A ne pas vouloir clairement dire si la filiation doit être modifiée pour prendre en compte les couples de même sexe, la loi maintient une ambiguïté sur un thème pourtant fondamental.
- La PMA n'est pas dans la loi, ce qui pose des soucis juridiques
L'exécutif a choisi de dissocier le texte sur le mariage pour tous et celui sur la procréation médicalement assistée, qui sera débattu dans le cadre d'une loi sur la famille. De fait, l'adoption probable du premier texte laissera une ambiguïté dans la loi jusqu'à un éventuel vote de la PMA pour tous.
En effet, quels seront le statut et les droits d'un couple de femmes ayant eu recours à la PMA à l'étranger ? L'enfant de l'une d'entre elles pourrait, en théorie, être adopté par sa compagne. Mais, la PMA n'étant pas autorisée en France, le père biologique conserverait sur le papier des droits sur l'enfant.
- Beaucoup de débats sont renvoyés à la future loi "famille"
Au final, il est probable que ce premier débat passionné ne soit que le début. La future loi "famille" devra trancher la question de l'assistance médicale à la procréation pour les couples lesbiens, ce qui implique probablement d'engager une consultation nationale sur le sujet sous forme de débats (la loi bioéthique y fait obligation pour ce type de modifications du droit).
La question de la filiation devrait aussi faire ressurgir d'autres débats non limités aux couples homosexuels, comme par exemple le statut du beau-parent. Bref, cette première loi, pour polémique qu'elle soit, n'est qu'un avant-goût d'un débat qui va se poursuivre de longs mois.
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