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UMP et FN, une relation faite de "cordon sanitaire" et d'ambiguïtés

La proximité affichée entre élus UMP et FN lors de la manifestation du 21 avril embarrasse une partie de la droite. Depuis 1983, cette dernière ne cesse de se poser la question de son rapport à l'extrême-droite.

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Publié le 23 avril 2013 à 08h04, modifié le 23 avril 2013 à 15h02

Temps de Lecture 10 min.

Christine Boutin, présidente du Parti chrétien-démocrate (associé à l'UMP), au côté de l'apparenté FN Gilbert Collard (à droite) lors du défilé anti-mariage pour tous du 21 avril.

C'est une image embarrassante pour l'UMP. Celle de certains de ses élus qui ont défilé aux côtés de l'avocat et député apparenté FN Gilbert Collard dans le cortège anti-mariage pour tous, dimanche 21 avril. Une image d'autant plus symbolique en ce jour où, voilà onze ans, UMP et PS faisaient front commun contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection. L'embarras de l'UMP est d'ailleurs palpable, au point que certains élus, après avoir essayé de repousser les représentants du FN, n'ont pas hésité à s'en prendre aux journalistes présents – dont celui du Monde – pour qu'ils ne rapportent pas cette information.

Lire : "Le défilé commun d'élus UMP et FN provoque l'embarras de la droite"

Mais aucun des deux partis n'a l'intention de laisser à l'autre la possibilité de capitaliser politiquement sur le mouvement anti-mariage homosexuel. Et la gêne de certains UMP le dispute aux ambiguïtés entretenues à dessein par d'autres composantes du parti quant à une alliance avec le FN, désormais souhaitée par une majorité des sympathisants de l'UMP. A l'occasion de ce nouvel épisode de trouble, retour sur trente ans de relations complexes entretenues entre la droite et l'extrême droite :

  • 1983 : La liste commune de Dreux
Jean-Marie Le Pen et Jean-Pierre Stirbois, président et numéro deux du FN, lors d'une conférence de presse avant les élections municipales de Dreux, le 6 septembre 1983.
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Deux ans après l'arrivée de la gauche au pouvoir, les élections de 1983 marquent un premier tournant dans les relations entre UMP et FN. A Dreux, la liste frontiste de Jean-Pierre Stirbois, secrétaire général du parti, se rallie à la liste RPR-UDF pour remporter la mairie. Quatre frontistes rejoignent la liste de Jean Hieaux, qui remporte l'élection. Au sein du RPR, seuls Bernard Stasi et Simone Veil dénoncent cette alliance, le reste du parti étant plus ambigu et renvoyant à l'alliance entre socialistes et communistes pour justifier celle-ci. C'est le début d'une longue suite d'embarras et de questions au sein de la droite républicaine sur l'attitude à adopter face au FN.

  • 1986 : Le "cordon sanitaire"

En 1986, l'introduction d'une dose de proportionnelle lors des législatives conduit à l'élection de 35 députés FN, dans un Hémicycle où la droite RPR-UDF n'a que trois voix de majorité. Une "manœuvre" mitterrandienne, selon le RPR, qui la dénonce. Au même moment, les reports FN permettent à la droite "républicaine" de remporter plusieurs régions.

A l'Assemblée, en revanche, est instauré le "cordon sanitaire" : Jacques Chirac désigne une trentaine de députés qui feront "tampon" entre droite républicaine et FN. Il demande à ses troupes de ne pas adresser la parole aux parlementaires frontistes. En réponse, le FN multiplie les incidents de séance. Pourtant, certains élus RPR n'hésitent plus à évoquer une alliance électorale.

  Lire, sur Libération.fr, le récit de cette période

  • 1991 : Le "bruit et l'odeur" et la tentation d'aller sur le terrain du FN

C'est une phrase qui a empoisonné la carrière de Jacques Chirac. En juin 1991, lors d'un dîner-débat organisé par le RPR, le maire de Paris et candidat putatif de la droite à la présidentielle suivante, se lance dans un discours sur l'immigration dans lequel il évoque "le travailleur français" vivant dans le quartier de la Goutte-d'Or, à Paris.

"[Le travailleur modeste] qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! [Applaudissements nourris] Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur [Rires nourris], eh bien le travailleur français sur le palier devient fou."

La phrase, suivie d'un "ce n'est pas raciste de dire cela", provoque un tollé dans la classe politique républicaine. Mais le lendemain, Jacques Chirac estime que le FN n'a pas "le monopole de souligner les vrais problèmes", et qu'il a lui aussi le droit d'"exprimer tout haut ce que beaucoup pensent tout bas". C'est le début de la politisation des questions d'immigration au sein de la droite républicaine.

Mais il n'est pas encore question d'alliance politique avec le FN, malgré la volonté de la droite de reconquérir le pouvoir. Comme en 1988, où il avait rencontré secrètement Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac s'en tient à une incursion sémantique sur le terrain du Front national. La "digue républicaine" continue d'exister, et sera définie en 1991 comme une consigne au sein du RPR.

  • 1998 : Des régionales ambiguës

 

Alors que la gauche plurielle a ravi, l'année précédente, le gouvernement au RPR, les élections régionales de 1998 offrent un nouveau sujet d'embarras à la droite républicaine : à l'issue du premier tour, une douzaine de régions sont dans une situation incertaine. Gauche et droite sont au coude à coude, et tout se jouera lors de l'élection des présidents de région, sachant que le FN est en position de faire basculer ces douze collectivités à droite.

Ce n'est pas une première. En 1992, la Haute-Normandie est restée à droite grâce aux voix des écologistes, mais aussi du FN, qui y a gagné une vice-présidence. Mais cette fois, Jacques Chirac décide de ne pas entretenir d'ambiguïté. Il appelle son camp à refuser toute alliance avec le FN. Un appel inégalement entendu. Dans quatre régions (Rhône-Alpes, Picardie, Bourgogne, Languedoc-Roussillon), l'UDF choisit de faire alliance avec le FN pour conserver ou prendre la majorité dans les assemblées régionales, alors que dans les urnes, c'est la gauche qui est en tête. Les quatre présidents de région (Charles Millon, Charles Baur, Jean-Pierre Soisson, Jacques Blanc) sont exclus de l'UDF.

  • 2002 : Le "front républicain"

L'ambiguïté de 1998 ne sera pas oubliée en 2002. Jacques Chirac, qui fait face à son premier ministre socialiste, Lionel Jospin, choisit de faire une campagne résolument axée sur "l'insécurité", nouveau vocable pour dénoncer, de manière globale, la délinquance, qui tend à augmenter. Un pari payant, puisqu'il lui permet de se maintenir face au socialiste. Mais un pari dangereux : au soir du 21 avril, la France découvre avec stupéfaction que le second tour de la présidentielle opposera Jacques Chirac à... Jean-Marie Le Pen.

On connaît la suite : plusieurs manifestations monstre, et Jacques Chirac se posant en rempart républicain contre le FN. "J'ai entendu et compris votre appel pour que la République vive, pour que la Nation se rassemble, pour que la politique change. Tout dans l'action qui sera conduite, devra répondre à cet appel et s'inspirer d'une exigence de service et d'écoute pour chaque Française et chaque Français", lance le président réélu au soir du 5 mai. Un appel qui marque le retour du "front républicain", avec une règle de plus en plus nette : en cas d'élection où le FN se trouve en position de l'emporter au second tour, gauche et droite doivent s'allier. 

  • 2007 : Le "siphonnage"

De 2002 à 2007, le ministre de l'intérieur de Jacques Chirac va tenter la même manœuvre politique que ce dernier en 1991 : aller sur le terrain idéologique du FN, celui de l'immigration, de l'insécurité, de l'islam. Avec un objectif : ramener les électeurs frontistes dans le giron de la droite républicaine. Un objectif totalement assumé par M. Sarkozy, qui l'explique ainsi, lors d'un discours le 26 février 2004 :

"Ces Français qui votent avec la colère savent que voter pour le FN ne servira à rien. Et pourtant, ils pensent n'avoir d'autre solution que d'aller dans cette impasse. Leur faire des reproches ne sert à rien. S'ils votent comme ils votent, c'est parce qu'ils souffrent. Diaboliser ces électeurs est contre-productif. Il faut les sortir du ghetto [...], [leur] faire comprendre que la République est prête à entendre leur désespérance et à lui apporter une réponse."

Une approche payante : en 2007, Nicolas Sarkozy obtient de très bons reports de voix FN. Au point que Jean-Marie Le Pen qui, avec 10,44 %, réalise une sévère contre-performance, dénonce le "braconnage" de ses électeurs par M. Sarkozy. Et que nombre de politologues saluent cette stratégie, qui a, momentanément du moins, mis un frein à la montée du Front national.

  • 2010 : Le discours de Grenoble et la "ligne Buisson"

Mais ce qui avait si bien fonctionné entre 2002 et 2007 va moins bien marcher après l'élection de M. Sarkozy. Alors que sa cote de popularité chute, le chef de l'Etat voit fondre le "capital" d'électeurs FN, qui retournent au "bercail" idéologique. Et parallèlement, la "base" électorale de l'UMP se montre sensible à ces questions d'insécurité et d'immigration, et attentive à l'action de M. Sarkozy dans ce domaine. Déjà, lors des cantonales 2010, il a enterré le "front républicain" en demandant à ses troupes de ne pas se désister au profit de candidats de l'opposition de gauche. Pour contenter ces deux niches électorales, le président, conseillé dans cette stratégie par Patrick Buisson, se doit de continuer à labourer ce terrain électoral. 

C'est ainsi que, suite à plusieurs jours d'émeutes dans les quartiers populaires du sud de Grenoble, Nicolas Sarkozy se rend dans cette ville pour y prononcer, le 29 juillet 2010, un discours qui fera date. Il y déclare la "guerre" aux délinquants, promet des  actions pour "démanteler les camps de Roms",  propose de déchoir de nationalité certains délinquants d'origine étrangère, dénonce le "taux de chômage des étrangers non communautaires", et estime que la politique d'immigration est un échec. "Nous subissons les conséquences de cinquante années d'immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l'intégration. Nous sommes si fiers de notre système d'intégration. Peut-être faut-il se réveiller ? Pour voir ce qu'il a produit. Il a marché. Il ne marche plus."

 

Le discours provoque un tollé. Nicolas Sarkozy lui-même le jugera par la suite trop "musclé" sur la question des Roms. Surtout, il ne produit pas l'effet escompté. Nicolas Sarkozy ne parvient pas à retrouver la sympathie des électeurs FN. Toute sa campagne de 2012, le chef de l'Etat tentera de reconquérir cet électorat, en usant de toutes les ficelles possibles : le recours au référendum sur une question liée à l'immigration, un discours anti-médias, moins européen, plus ferme...

Lire : "Nicolas Sarkozy joue son va-tout en pariant sur l'électorat FN"

Rien n'y fait. Marine Le Pen obtient 17,90 % des voix au premier tour, Nicolas Sarkozy 27,18 %, à 1,5 point derrière François Hollande.

  • 2012 : Après Sarkozy, les tentations d'alliance

L'échec de Nicolas Sarkozy laisse une UMP orpheline, et quelque peu coupée en deux sur la question de l'attitude à adopter face au FN. Dès l'après-présidentielle, Jean-François Copé, secrétaire général de l'UMP, enterre l'idée de "Front républicain", pour lancer le "ni, ni" : ni désistement ni alliance avec le FN. Pour certains, de François Fillon à Alain Juppé en passant par Nathalie Kosciusko-Morizet, c'est une mauvaise stratégie. Pour d'autres, au contraire, c'est la voie à suivre. En difficulté pour être élue en Moselle, Nadine Morano, ex-ministre, lance un appel désespéré entre les deux tours, assurant partager les "mêmes valeurs que le FN".

M. Copé, en course pour la présidence de l'UMP et conseillé lui aussi par Patrick Buisson, met également le cap à droite toute, avec notamment la séquence du "pain au chocolat". Avec à la clé un pari : celui que la base UMP est très sensible à ces thématiques, sur lesquelles elle se rapproche de l'électorat FN. Le pari est payant : donné largement derrière François Fillon auprès des sympathisants UMP dans les sondages, Jean-François Copé fait jeu égal avec son rival au soir de l'élection. Au terme de semaines de psychodrame, le parti est coupé en deux. Non seulement entre deux leaders, mais aussi entre deux tendances : le glissement à droite ou le maintien des positions chiraquiennes. 

Dans les enquêtes d'opinion, les sympathisants UMP souhaitent désormais majoritairement une alliance. Et pour une partie des élus UMP, qui s'en cachent de moins en moins, elle est nécessaire. Une proposition de loi sur le génocide vendéen est ainsi cosignée par les deux députés FN et des parlementaires UMP. De même, des amendements à la loi sur le mariage homosexuel sont cosignés par des parlementaires des deux formations.

Lire : "Collard et Bompard cosignent des amendements UMP"

D'autant que Marine le Pen, qui a succédé à son père, est pour sa part dans une stratégie de "dédiabolisation", et fait savoir plusieurs fois qu'elle ne serait pas hostile à une alliance. "On pourrait assister de-ci, de-là, à un certain nombre d'accords locaux avec des candidats de l'UMP, mais aussi avec des candidats divers droite, et pourquoi pas, avec des candidats divers gauche", lance-t-elle en février.  

La loi sur le mariage homosexuel montre bien que sur le terrain, les deux partis ont des intérêts commun, et que certains militants font clairement le pont. Certaines actions anti-mariage vont réunir militants d'extrême droite et de l'UMP. Une proximité qui met mal à l'aise certaines personnalités du parti de droite, mais qui repose une nouvelle fois cette question lancinante d'une alliance, à un an des municipales et des européennes de 2014.

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