French president Francois Hollande  (L) shares a laugh with French actor and humorist Jamel Debouze during the Cultural and Artistic Audacity award ceremony on June 12, 2013 at the Elysee palace in Paris. AFP PHOTO POOL FRANCOIS GUILLOT

French president Francois Hollande (L) shares a laugh with French actor and humorist Jamel Debouze during the Cultural and Artistic Audacity award ceremony on June 12, 2013 at the Elysee palace in Paris. AFP PHOTO POOL FRANCOIS GUILLOT

L'Express

Ce jour-là, il déambule au Salon du Bourget, tantôt encouragé par des badauds, tantôt égratigné par des détracteurs. Peu importe. De toute manière, ce n'est plus un président, c'est un gagman.

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A peine a-t-il atterri en provenance de... Villacoublay, de l'autre côté de Paris, que François Hollande se met à plaisanter sur le minivol qu'il vient d'effectuer. Le voilà ensuite devant un siège d'avion dernier cri. Calé dans le fauteuil, il glisse: "Je vais rester là!" Lorsqu'il visite le stand de Dassault Aviation, il donne le bras à Serge Dassault, 88 ans, pour monter des marches: "C'est l'Etat qui soutient Dassault, comme d'habitude", ne peut-il s'empêcher de lâcher.

S'il n'en reste qu'un pour sourire, s'il n'en reste qu'un pour toujours garder cette humeur radieuse, ce sera lui. S'il n'en reste qu'un pour croire à la baisse du chômage en fin d'année, ce sera encore lui. Il a beau être à la tête d'un pays qui broie du noir, il affiche une inoxydable jovialité et une confiance d'acier qui ne manquent pas de surprendre.

"Quand on le rencontre, il semble jubiler, tant il est heureux d'être président. C'est déstabilisant", note le président du groupe écologiste au Sénat, Jean-Vincent Placé, à nouveau reçu le 9 juillet. L'adversité ne semble pas l'atteindre. Les mauvaises langues raillent ce chef de l'Etat insensible à la gravité de la situation, éternel Monsieur Petites-Blagues malgré la crise.

Un boulimique de boutades

"Montre-toi plus dur, plus concentré", le presse un poids lourd du gouvernement. Peine perdue.François Hollande refuse les mines austères. Pendant la campagne, il s'était astreint, un temps, à contrarier sa nature. Comme le gourmand qui craque pendant un régime trop drastique, il a fini par retomber de plus belle dans sa boulimie de boutades.

Pas une réunion, aujourd'hui, sans mot d'esprit. Pas une conférence de presse sans séquence one-man-show. Un jour, alors qu'on l'interroge, en présence du président nigérian, sur la succession de Benoît XVI, il fait mine d'être sérieux: "Nous ne présenterons pas de candidat." A la fin du G20 de Los Cabos, au Mexique, en 2012, juste après que la Suède a battu la France lors du championnat d'Europe de football, il remercie une journaliste suédoise de lui avoir posé une question - "Ce qui est à l'égard de la France une amabilité."

"Il sait manier l'humour quand il le faut, ce qui permet souvent de faire retomber la pression", apprécie la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem. Face à Jamel Debbouze, qui trouve l'ambiance meilleure à l'Elysée depuis le départ de "Joe Dalton" - entendez Nicolas Sarkozy -, le président rit à gorge quasi déployée, mais réprime son sens de la repartie pour éviter la polémique.

Car, hors micros, il est capable de se lâcher. A la fin de 2012, il riposte à une critique sur la fiscalité: "Ce sont les impôts Sarkozy, attendez les miens!" Un intime résume: "Il fait penser au président du Conseil Raymond Poincaré, dont on disait, pendant la Première Guerre mondiale: "Il aime rire dans les cimetières.""

Comme l'aveu qu'il n'est pas dupe de toute cette comédie humaine

Son humour dit beaucoup de Hollande. L'écrivain Laurent Binet, suivant le candidat en coulisses, y décèle en 2012 une "ironie fondamentale". "Il y a très souvent, dans sa voix, l'indice d'une distance à soi-même et aux événements que je n'ai pas observée chez les autres, note-t-il dans Rien ne se passe comme prévu (Grasset). Comme l'aveu qu'il n'est pas dupe de toute cette comédie humaine dans laquelle, pourtant, il a voulu jouer un rôle de premier plan."

Mais le bonheur d'un président ne fait pas celui de ses concitoyens. Le 20 juin, en visite à Lourdes, ville balafrée par les inondations, il déclare que "la saison touristique est en croix". Le jeu de mots en de telles circonstances étonne jusqu'à certains de ses ministres. "Il est la seule personne en France à n'avoir pas le droit de distiller du pessimisme", justifie son ami le maire de Quimper, Bernard Poignant. "Le pays est en dépression collective, il a raison de ne pas en rajouter", renchérit un autre. Dans les sondages, c'est vrai, Hollande conserve un capital de sympathie. C'est son bilan politique qui est étrillé.

Alors, il continue. Depuis qu'il est à l'Elysée, François Hollande évite toujours de dramatiser les difficultés du pays. Certes, il n'a pas fait rire Delphine Batho en la congédiant du gouvernement, mais il refuse la stratégie de la peur.

Les conjoncturistes de l'Insee annoncent uneaggravation de la situation sur le front de l'emploi, lui continue à marteler son credo d'une inversion de la courbe du chômage. Méthode Coué? "Oui, jusqu'à ce que le chômage recule; ce jour-là, on dira que Hollande a été génial", veut croire l'un de ses conseillers. "François n'est pas un optimiste, c'est un pessimiste actif, décrypte un fidèle. Il cherche à déminer les problèmes. Pas à s'en inquiéter."

Le chef de l'Etat est convaincu que l'économie est une affaire de cycles, alternance de phases dynamiques et de ralentissements. "Nous sommes en crise depuis 2008, analyse-t-il en privé, en août 2012. Il y a des cycles de cinq ans. En 2013, cela devrait donc s'arranger."

Un masque orné de sourire

Cycles économiques, cycles politiques et médiatiques aussi: tout se retourne. "L'histoire de Hollande est celle d'un homme qui se transcende dans la difficulté", assure un ministre. Premier secrétaire du PS, il a traversé moult épreuves: le traumatisme du 21 avril 2002, le "non" lors du référendum sur la Constitution européenne, en mai 2005, alors qu'il avait amené le PS à s'engager officiellement pour le "oui", la Ségomania de 2006 et la vague DSK. On connaît la suite.

"Sur son bureau à l'Elysée, il y a une pile bien rangée de journaux et d'hebdomadaires, observe un conseiller. Il lit tout, ne cherche pas à éviter les articles assassins."

Le Hollande-bashing, le président l'analyse comme on décortique un résultat électoral, le plus froidement possible: "J'ai une conception de la liberté de la presse qui fait que je ne suis touché par rien, et je la respecte, assurait-il lors de sa première conférence de presse à l'Elysée, en novembre 2012. Il y a des excès, mon prédécesseur en a connu, des modes, des humeurs, des justifications."

Il a donc choisi une fois pour toutes d'enfiler un masque orné d'un sourire. Claquemuré dans ses secrets, il cadenasse aussi à double tour ses convictions et ses préoccupations, au risque de désarçonner ses visiteurs.

"Vous pouvez passer une heure très agréable avec lui, puis vous sortez de son bureau sans savoir ce qu'il pense", relève un député PS. Il est là. Il n'est pas là. "Que fait-il des sujets qu'on lui signale? s'interroge cet élu. Il doit se dire qu'il a, de toute façon, 1 chance sur 2 d'être réélu en 2017." Même les leaders de l'opposition reconnaissent qu'ils sont reçus avec beaucoup de courtoisie.

Le chef de l'Etat goûte aux avantages de la fonction. Il décore ses amis sans bouder son plaisir. Dans un hôtel de Tlemcen, en marge du voyage d'Etat en Algérie, en décembre 2012, il remet la Légion d'honneur à l'avocat Jean-Pierre Mignard, parrain de deux de ses enfants.

Les week-ends, il pose souvent ses valises à la Lanterne. Cette jolie demeure près du château de Versailles, avec piscine et court de tennis, était naguère réservée au Premier ministre, avant que Nicolas Sarkozy ne passe par là. L'endroit est parfait pour s'oxygéner, à vingt minutes de voiture de la capitale. Le dimanche, le chef de l'Etat y reçoit des personnalités et des conseillers, comme s'il était au bureau. Il devrait y passer une partie des vacances d'été.

Son nouveau refrain: une ode au rassemblement de la nation

Mais plaisanter et sourire ne suffiront pas pour redresser le pays. Du coup, il s'est peaufiné, au fil des discours, un nouveau refrain: une ode au rassemblement de la nation. On avait la France apaisée, pendant la campagne, on a désormais la France qui se dépasse dans l'adversité.

A Rodez, le 30 mai dernier, le chef de l'Etat lance un message aux partenaires sociaux: "Bien sûr qu'il y a des intérêts contradictoires entre les dirigeants et les salariés. Mais, à un moment, nous sommes du même pays, nous avons la même volonté de dépasser ce qui nous sépare pour nous élever, pour nous-mêmes, pour nos enfants."

Quelques jours plus tard, il est à Marseille. "Il est des situations où les énergies doivent s'additionner, où les intelligences doivent s'ajouter, où les compétences doivent s'agréger, clame-t-il. C'est cette cohésion dont votre ville, dont l'agglomération, dont la métropole, dont la région ont besoin, dont la France a besoin."

A la conférence sociale, le 20 juin, il enfonce le clou: "Les pays qui avancent sont ceux qui ont décidé de se doter d'une volonté collective, d'une stratégie, d'un dépassement des intérêts particuliers pour porter un intérêt commun supérieur." Quand il s'agit de penser à sa réélection, François Hollande redevient vite sérieux.

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