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Jacques Servier, Dr Jekyll et Mr Hyde

Après avoir tourné court il y a un an pour des raisons de procédure, le premier procès pénal du Mediator reprend en début de semaine prochaine à Nanterre. Ici, Jacques Servier au tribunal de Nanterre en mai 2012. MARTIN BUREAU/AFP

PORTRAIT - Mardi débute à Nanterre le premier procès du Mediator, après un an de report. Un scandale où plane l'ombre du fondateur des laboratoires Servier, Jacques Servier, 91 ans.

«Vous connaîtriez le Dr Servier, vous verriez qu'il est comme un grand-père à qui l'on a envie de donner des petits gâteaux», lance la neurobiologiste Lucy Vincent, auteur de Comment devient-on amoureux? et porte-parole du laboratoire. Voilà pour le côté Dr Jekyll du personnage.

«On s'en fout du procès», lâchait la semaine dernière le pharmacien à BFMTV. Et voici le côté Mr Hyde. La formule, à la fois lapidaire et familière, tranche avec l'image de vieux monsieur respectable, en costume et décoration à la boutonnière. Car il y a chez le Dr Servier, 91 ans, un côté Dr Jekyll et Mr Hyde.

Pour lui comme pour son entreprise, il y aura eu un avant et un après 2010. Un avant et un après Mediator. De ses débuts en 1947 où il employait neuf personnes à son ascension qui a fait de son laboratoire le deuxième groupe pharmaceutique français derrière le géant Sanofi avec 20.000 collaborateurs dans le monde, le parcours de ce docteur en pharmacie fut émaillé de succès. Du moins en termes entrepreneuriaux. Jamais cotée en Bourse, l'entreprise qui revendique un chiffre d'affaires de 4 milliards d'euros en 2012 a connu en l'espace de 50 ans une réussite fulgurante. Parmi ses molécules les plus vendues, le grand public connaît le Daflon (contre les jambes lourdes), le Coversyl (contre l'hypertension artérielle), le Locabiotal (spray pour le mal de gorge), Stablon (antidépresseur), Diamicron (baisse de la glycémie), le Vastarel (vertiges et acouphènes), le Protelos (ostéoporose) bien sûr l'Isoméride (coupe-faim) et enfin, le Mediator.

Un «personnage atypique»

En juin 2000, un reportage particulièrement élogieux de France 3 Orléans évoque «un personnage atypique qui inspire toujours le respect et l'admiration». Puis en 2010, c'est le début de la descente aux enfers médiatique pour Jacques Servier et son entreprise avec ce qui va devenir «l'affaire du Mediator». Le «personnage atypique» de France 3, ancien président du Conseil de l'ordre des pharmaciens a désormais sa marionnette aux Guignols sur Canal+. Il y est raillé en apprenti sorcier qui «sort le médicament et après (…) observe les effets sur les malades».

Après la publication en mai 2010 du livre d'une pneumologue brestoise, Irène Frachon, intitulé «Mediator combien de morts?», la machine s'emballe et rien ne pourra l'arrêter. La France découvre stupéfaite que le médicament antidiabétique de Servier aurait fait plus de 500 morts, un chiffre que le laboratoire conteste toujours. Les révélations sur l'histoire du médicament s'enchaînent. Lors de ses vœux présentés début 2011 au personnel de son entreprise -la «Maison» comme l'appellent «les Servier»-, le patriarche s'en prend à la presse et prononce cette fameuse phrase: «Le Mediator, ce n'est que trois morts». La formule marque les esprits et reste dans l'opinion comme le symbole de l'indifférence du dirigeant vis-à-vis des victimes. Depuis, Jacques Servier a été mis en examen pour obtention indue d'autorisation, tromperie, escroquerie, blessures involontaires et homicides involontaires.

Avec le Mediator, ce n'est pourtant pas la première fois que Servier a maille à partir avec les effets secondaires de l'un de ses médicaments. En 1997, son coupe-faim vedette, l'Isoméride, est retiré du marché en raison du risque d'hypertension artérielle pulmonaire, une maladie grave pouvant nécessiter la greffe de poumons. Mais alors que les États-Unis ont organisé des class-action contre Wyeth qui commercialisait l'Isoméride outre-Atlantique pour Servier, en France, les actions en justice contre le laboratoire se comptent sur les doigts d'une main.

Lâché par la classe politique

Jacques Servier, c'est aussi une façon de s'adjoindre les bonnes grâces des puissants, fussent-ils mandarins, simples experts mais aussi les sociétés savantes comme la Société française de cardiologie. Enfin, il y a ses relations avec les élus de la République. Avec l'éclatement de l'affaire Mediator, il est lâché par la classe politique de droite comme de gauche, celle-là même qui lui avait pourtant fait des œillades pendant des décennies. La correspondance de Jacques Servier, que le vieux dirigeant archive précieusement, regorge de lettres de remerciements des uns et des autres pour ce que le patriarche a fait pour eux: le sponsoring du club de foot de Lourdes pour Philippe Douste-Blazy, le financement des campagnes électorales de Jean-Yves Chamard (à l'époque vice-président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée et président du conseil de surveillance de la caisse d'Assurance-maladie), un poste à l'Organisation mondiale de la santé pour un professeur de médecine connu, l'embauche de la femme d'un ex-ministre de la Santé, le financement d'études par un ex-expert de l'Agence du médicament, des achats de publicité dans un journal interne de Force ouvrière, etc. Après chaque rencontre, chaque déjeuner, des fiches sur chacun des interlocuteurs de Jacques Servier sont soigneusement rédigées. Elles détaillent les soucis des uns, les ambitions des autres, leurs points faibles et leurs points forts, comme par exemple les relations tendues entre le ministre de la Santé Bernard Kouchner et Martine Aubry, sa ministre de tutelle, à la fin des années 1990. «BK (Bernard Kouchner, NDLR) est un libéral qui s'ignore» ou encore «il serait judicieux de profiter de son actuel désarroi pour lui apporter des idées», sont quelques-unes des annotations que l'on peut lire après un déjeuner de juillet 1998, entre celui qui est alors secrétaire d'État chargé de la Santé et le vieux dirigeant, annotations rédigées par l'un des bras droit de l'industriel. Ce dernier s'est également payé les services en tant que conseillers d'ex-ministres, ceux de Jean-Bernard Raimond, ancien du Quai d'Orsay ou de l'ex-garde des Sceaux, Henri Nallet. Enfin, c'est à Nicolas Sarkozy que le pharmacien, à la fin des années 1990, demande de l'aide pour monter une fondation de droit néerlandais. En décembre 2008, Nicolas Sarkozy devenu président de la République remet au pharmacien la grand-croix de la Légion d'honneur, en faisant à cette occasion un discours vantant ses mérites. En 1985, François Mitterand l'avait fait chevalier .

Ces relations n'empêchent pas Servier de dénoncer sur le plateau d'Antenne 2 en 1982 les lourdeurs de l'administration française nuisibles, selon lui, à l'industrie du médicament: «Il y a une tendance constante à alourdir le carcan dirigiste et nous subissons depuis 40 ans, sous les gouvernements les plus variés -il y a du beau monde dans ces gouvernements-, le délire législatif, des lois qui changent sans cesse, des règlements qui s'accumulent et des chinoiseries administratives permanentes. Nous en étouffons».

Si Servier est pris dans la tempête depuis maintenant trois ans, son navire, lui, n'a jamais chaviré. Pas de licenciement, toujours des partenariats avec d'autres laboratoires ou des centres de recherche, leurs médicaments figurent en bonne place sur les rayonnages des pharmacies. Et comme il est difficile de faire de la publicité pour un nom qui figure plus souvent dans les rubriques justice des médias que dans les pages médecine, on met en avant, dans des spots télévisés, la filiale Biogaran qui fabrique des génériques. Il y a un bien du Dr Jekyll et Mr Hyde chez Jacques Servier. Un côté pile, un côté face.

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32 commentaires
  • belladone

    le

    cher toubib44,
    je vous rejoins quant aux danger de "switcher " tous nos ACFA sous dabigatran à la place d'une coumadine surtout lorsqu'elle est bien équilibrée ( ah! l'attrait de la nouveauté,comme pour les femmes....) je reviens tout de meme sur un point: le MG qui a prescrit le mediator chez le type II ,ne me dérange absolument pas , certes il a été peut etre léger dans sa recherche documentaire mais je ne lui jetterai pas la première pierre ( prescrire ou d'autres avait tiré des sonnettes d'alarme restées muettes). mais si l'indication avait été respectée , un petit nombre de personne ( seuls les type II) aurait été exposé au benfluorex mais sans commune mesure avec les chiffres ahurissants des ventes de mediator. d'un point de vue statistique plus le nombre de patient est grand , plus le risque de voir émerger un effet secondaire délétère est important.donc, si aujourd'hui ,on recense un grand nombre de valvulopathies imputables au benfluorex , c'est évidemment que la molécule a été détourné de son usage par les MG qui connaissaient l'effet anorexigène du produit (par definition). la cpam n'est pas claire non plus , que dire d'un payeur qui n'a pas su détecter la dérive de prescription?; en effet personne à la cpam ne s'est posée cette question : "comment se fait il que je rembourse beaucoup plus de médiator que je n'ai de patient diabétique type 2 normalement seuls a pouvoir bénéficier de la molécule puisque seuls dans l'AMM?" cordialement.(vive la loire atlanti

  • Toubib 44

    le

    Bonjour,
    @ belladonne
    PS : A mon avis, le danger majeur du fondaparinux et du dabigatran ( prescrits larga manu par les cardios ? ) c'est :
    1/ On n'a pas de test biologique de surveillance d'efficacité
    2/ On n'a pas d'antidote en cas d'hémorragie aigüe;
    contrairement à : l'héparine, les HBPM et la warfarine !
    Cordialement à vous.

  • Toubib 44

    le

    Bonjour,
    @ belladone,
    Cher(e) Ami(e)
    Deux remarques:
    1/ Concernant les glitazones :les effets délétères se prolongeront, pour les victimes,bien après leur arrêt ( comme pour les gliptines, le benfluorex, les coxibs et les anticholinestérasiques ) pour ne citer que les meilleurs !
    2/ Les MG qui ont prescrit le Médiator° dans le diabète de type 2 ont manqué de discernement et de sens critique; mais ont respecté l'AMM , puisque c'est dans cette indication que le labo l'a obtenue ...
    C'est tout le système de délivrance de l'AMM qui est à revoir. Malheureusement, pour l'avenir, nos gouvernants vont instaurer le système de "class action " ( actions de groupe) en excluant D'AVANCE la Santé de son domaine de compétence
    ce qui laissera les patients toujours aussi désarmés face aux labos...
    Cordialement à vous.

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