Madame Batho ne manque pas de panache ni de courage. Mais elle a visiblement manqué de stratégie au cours de l'année qu'elle a passé au ministère de l'écologie.
Oui, elle est convaincante lorsqu'elle met en cause les lobbys. Le domaine de l'environnement est par définition celui dans lequel ils s'expriment et ceux de l'énergie sont particulièrement puissants. Les déclarations -si elles sont établies- du patron de Vallourec, Philippe Crouzet, voici un mois, à ses collégues américains, pose un double problème: celui d'un chef d'entreprise française démolissant violement un ministre de la République à l'étranger et fournissant une information qu'il n'aurait pas dû détenir et surtout celui du conflit d'intérêt potentiel au sein de l'équipe présidentielle, dans la mesure où Mr Crouzet est le mari de la directrice de cabinet du Président.
Les liens entre une entreprise immergée dans les gaz de schiste (puisqu'elle fournit les tubes) et l'Elysée sont problématiques et requièrent des explications et une fermeté accrue du chef de l'Etat sur ce sujet pour démontrer l'absence d'incidence sur ses choix. Au-delà de cette situation qui interpelle dans une République "exemplaire", les accusations de Delphine Batho soulèvent deux problèmes majeurs.
D'abord celui de la gouvernance: la frustration évidente dont elle fait état à l'égard de Jean-Marc Ayrault peut difficilement être jugée de l'extérieur. En revanche, la vraie question est celle du poids des lobbys sur l'action gouvernementale et la paralysie du DNTE. L'ancienne ministre sait pertinemment que tel qu'il est parti, ce débat ne va déboucher sur rien qui s'apparente à un changement de trajectoire. Il est dans l'impasse comme elle y était elle-même. Cette situation témoigne à l'évidence de l'absence de maturité démocratique de notre pays à déterminer ses choix, dès lors qu'ils s'écartent de la volonté du lobby nucléaire et pétrolier. Le seul contre-pouvoir est celui de la société civile, à laquelle elle n'a pas su faire appel. Poser la question publiquement et dans la foulée celle de sa démission eût été infiniment plus efficace.
En 1997, lors de mon bras de fer violent avec le lobby nucléaire qui n'avait pas hésité à monter une machination contre moi -dont au moins un des protagonistes est venu quelques années plus tard s'excuser- j'avais refusé publiquement de signer le décret de redémarrage de Creys Malville et proposé ma démission. Creys Malville n'avait pas redémarré.
Mais, en réalité, Madame Batho n'a pas su maîtriser sa direction générale de l'énergie et agi de manière absurde pour Fessenheim, si son intention était bien d'en obtenir la fermeture. Sans autorisation de rejet chimiques, avec un vrai risque sismique, quel que soit l'avis de l'ASN, s'opposer à la fermeture était absurde et rendra de facto impossible la tenue de la promesse présidentielle.
Les différentes procédures ont soulevé des questions qu'elle ne peut pas ignorer -et dont elle doit exiger des réponses- en tant que responsable politique et co-responsable du risque avec l'ASN. De la même manière, la mollesse de la position du ministère dans la défense contre l'exception d'inconstitutionnalité de la loi Jacob est incompréhensible... ou trop compréhensible.
Le second problème est celui du fond, c'est-à-dire des choix politiques du gouvernement. La ministre a voulu, par positionnement politique personnel, mettre l'accent sur la rigueur. Le sujet n'est pas là. Il est sur les priorités. Manifestement, les investissements dans l'économie verte n'en font pas partie, ce qui est une folie quand on mesure les investissements consentis par nos concurrents et le potentiel d'emplois qui l'accompagne. En faisant le choix du tout nucléaire et des gaz de schiste à terme, non seulement le gouvernement tourne le dos aux engagements de campagne et à l'accord Verts-PS mais surtout il tourne le dos à l'intérêt général en privilégiant celui des lobbys de l'énergie. Lorsque Cécile Duflot réclame un second souffle, elle est loin du compte. Le sujet est celui de la vision de l'avenir de notre société. Le décalage croissant avec l'Allemagne qui fait de sa révolution énergétique un atout industriel majeur et qui -au moins en Bavière- a abandonné toute velléité de gaz de schiste après la très ferme réaction des brasseurs, va se payer très cher.
Dans ce contexte, où la question posée n'est pas celle de la place de l'écologie, mais celle du modèle de dynamique économique et industrielle, les propos de Delphine Batho sont plus qu'inquiétants.
Les choix de son successeur Philippe Martin apporteront très vite la preuve du bien fondé ou non des accusations de madame Batho. Si elles s'avéraient exactes, y compris dans les aspects budgétaires sur l'Ademe, la fiscalité écologique et les investissements d'avenir, alors toutes les conséquences devraient en être tirées sur le changement de cap.