A mots couverts, le procureur de la République de Paris, François Molins, a mis en cause, mercredi 19 juin, la demande d'entraide judiciaire formulée par Bercy aux autorités helvétiques, sur l'éventualité d'un compte en Suisse détenu par Jérôme Cahuzac.
Il était interrogé à l'Assemblée nationale par la commission d'enquête sur l'affaire impliquant l'ex-ministre du budget. Car le 8 janvier, M. Molins a ouvert contre ce dernier une enquête préliminaire, fondée sur un enregistrement audio publié par Mediapart, dans lequel une voix attribuée par le site Internet à l'homme politique, avoue posséder un compte à la banque UBS.
La Direction générale des finances publiques (DGFIP) contacte le 24 janvier l'administration suisse, sans en "informer" M. Molins, ce qui constitue "une première dans nos relations fiscales". "J'ai découvert cela par les questions de journalistes qui m'ont appelé", a rapporté le haut magistrat. Ce n'est que le 1er février qu'il prend officiellement connaissance de la demande d'entraide : la Suisse indique que M. Cahuzac n'a pas eu de compte à UBS entre 2006 et 2012.
Les déclarations de M. Molins donnent de l'eau au moulin de l'opposition, qui a vivement critiqué la gestion de l'affaire Cahuzac par le ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici. De fait, à la fin de l'audition, Patrick Devedjian (UMP) a félicité le magistrat : "Bravo M. le procureur ! (...) Nous avons un très bon procureur."
"LE PERSONNAGE DE M. CAHUZAC LE FASCINAIT"
Auditionné auparavant par la commission d'enquête, l'ex-magistrat Jean-Louis Bruguière s'est, quant à lui, défendu d'avoir écouté et utilisé l'enregistrement trahissant M. Cahuzac. Candidat aux élections législatives de 2007 dans le Lot-et-Garonne pour le compte de l'UMP, il a connu Michel Gonelle, l'ancien député-maire de Villeneuve-sur-Lot, interrogé fin mai par les députés.
M. Bruguière confirme avoir reçu fin 2006 l'enregistrement des mains de M. Gonelle. "C'est incontestable que le personnage de M. Cahuzac le fascinait. C'était devenu quelque chose d'obsessionnel, remarque-t-il. Je ne sais ce qu'il contient, ce document."
"Il [M. Gonelle] dit qu'il vous en a informé", affirme Alain Claeys, le rapporteur (PS) de la commission d'enquête. "Je n'en ai pas souvenance", répond M. Bruguière. Mais, après l'avoir conservé quelques semaines, il a jeté "à la poubelle" l'enregistrement et n'en a parlé à personne. Ni son directeur de campagne ni le ministre de l'intérieur d'alors et probable candidat UMP à l'élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy, n'ont été mis au courant.
"L'UN DE VOUS DEUX NE DIT PAS LA VÉRITÉ"
"Ce type de manipulation n'est pas dans mon référentiel éthique", soutient M. Bruguière. "On ne fait pas une campagne politique en essayant de détruire son adversaire." L'ex-magistrat n'a pas davantage transmis l'enregistrement à Mediapart. "Ce n'est pas par mon canal que cette cassette a pu parvenir à Mediapart, directement ou indirectement", souligne-t-il, contredisant à nouveau M. Gonelle.
Le propos se révèle parfois imprécis, évasif. "Vous ne vous souvenez de rien", lui reproche à cet égard Thomas Thévenoud (PS). M. Bruguière ne se rappelle ainsi pas du format de l'enregistrement : cassette, CD ou clé USB.
Le récit n'a, au final, pas convaincu les députés. Entre M. Gonelle et vous, "l'un de vous deux ne dit pas la vérité", a lancé Marie-Françoise Bechtel (MRC). La commission d'enquête compte interroger à nouveau l'ancien élu UMP. Elle entendra le 26 juin M. Cahuzac, mis en examen, notamment pour blanchiment de fraude fiscale.
Lire Affaire Cahuzac : le récit embarrassé d'Alain Zabulon aux députés (lien abonnés)
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