Reportage

La «salle de shoot» parisienne déchire les riverains

La mairie du Xe arrondissement de Paris organisait mardi soir une réunion publique sur la future salle de consommation de drogue. Ambiance tendue, entre partisans et opposants.
par Sylvain Mouillard
publié le 12 juin 2013 à 14h59

Il y a les timides, les grandes gueules, les factuels, les obsédés des chiffres. Ils sont alignés en file indienne au centre de la salle de réception de la mairie du Xe arrondissement, à Paris, et se succèdent au micro. Mardi soir, pendant près de trois heures, ils ont débattu de la prochaine installation d'une salle de consommation de drogue, au 39 boulevard de la Chapelle. La première expérience de ce type en France, qui doit permettre aux toxicomanes de prendre leurs doses dans des conditions d'hygiène irréprochables, et éventuellement de s'orienter vers un parcours de substitution, voire de sevrage.

Mais le lieu, censé ouvrir à l'automne sur un terrain prêté par la SNCF, est encore loin de faire l'unanimité. La réunion publique organisée par le maire PS du Xe, Rémi Féraud, a souvent tourné à la foire d'empoigne. A peine l'édile commence-t-il son discours d'introduction, sur les coups de 19 heures, que la salle - comble - l'interrompt déjà. «Il n'y a eu aucune concertation», hurlent les opposants. Sifflets, huées, l'exercice de démocratie participative va toucher ses limites.

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Car le maire a beau marteler son souhait de «concertation», les antis n'en démordent pas : «Nous subissons votre décision, s'exclame un membre de l'association de riverains Vivre gare du Nord et Est. Vous vous lancez dans un projet hasardeux, approximatif et dans la précipitation.» Pêle-mêle, les riverains redoutent que la future «salle de shoot» ne devienne un nouveau «point fixe» de consommation, s'inquiètent des désagréments pour les habitants, familles et enfants, et pointent du doigt un projet à leurs yeux mal ficelé.

«Des chiffres, des chiffres !»

Les rares intervenants favorables au projet sont très rapidement conspués. «On l'a déjà entendu tout ça !», «La question, la question !», lance alors la salle. Les prises de parole des opposants sont, au contraire, saluées par une bordée d'applaudissements. Comme celle de Valérie, qui se demande ce qu'il adviendra «des personnes, qui, dans un accès de schizophrénie lié à la drogue, pourront avoir des actes violents». Carole, «citoyenne lambda», ne veut pas que la salle attire les «toxicomanes venant de Paris, sa banlieue, et même beaucoup plus loin». Elle évoque la proximité de «deux crèches, situées à 300 et 350 mètres, d'un lycée, d'écoles» et s'inquiète d'un risque de recrudescence de la délinquance dans le quartier. «Comment allez-vous gérer cela ?», demande-t-elle au maire.

Quelques minutes plus tard, Nicolas Lerner, représentant de la préfecture de police de Paris, tente de rassurer. «Une de nos priorités sera d'éviter la stagnation des personnes aux abords de la salle, explique-t-il. Il n'y aura aucune zone de non-droit dans le Xe Myriam El Khomri, adjointe au maire de Paris chargée de la sécurité, affirme de son côté que «l'expérimentation ne fonctionnera que si on la concilie avec des objectifs de sécurité publique». Elle promet que la salle ne sera ouverte que si des renforts policiers sont déployés autour de la gare du Nord.

Des arguments qui ne convainquent pas dans la salle, où l'on a d'ailleurs bien du mal à écouter les professionnels venus exposer leurs arguments. Voilà qui agace fortement Jean-Marie Le Guen, adjoint PS à la santé : «Les responsables des politiques publiques ne sont pas des zozos !» Martine Baudin, directrice de Quai 9, une salle de consommation de drogue qui existe depuis douze ans à Genève, tente à son tour d'apaiser les peurs. «Le Quai 9 est situé au milieu d'un carrefour, à 50 mètres d'une crèche, il est très visible. Et pourtant, aucun enfant n'a tenté d'y entrer pour se droguer.» Son discours ne porte guère. Les opposants veulent «des chiffres, des chiffres». La jeune femme explique qu'il lui est très difficile d'en fournir, «étant donné la complexité des parcours de vie de certaines personnes».

«Je veux pouvoir m’exprimer !»

L'ambiance est de plus en plus électrique. «Nous écoutons les questions, il faut aussi que vous écoutiez nos réponses», tente Rémi Féraud. C'est peine perdue. Le ballet des intervenants reprend. Une habitante demande s'il lui faudra recruter «un garde du corps» pour son fils, qui va entrer en sixième. Une autre vient «au nom de [sa] mère, qui a 90 ans». «Ce qui me fait peur, ce ne sont pas les seringues, mais les drogués qui attaquent.» Elle croit que les prix de l'immobilier dans le quartier vont «s'effondrer». Pierre, «jeune citoyen parisien», fait mine de s'interroger : «Est-ce que vous luttez contre l'obésité en proposant une barre chocolatée ? On n'a pas besoin de mieux se droguer, mais de ne plus se droguer.»

A mesure que le temps passe, l'attention se disperse. Les partisans du projet se font aussi plus vindicatifs et interpellent à leur tour les opposants. «Avec vous, c'est toujours mieux si c'est le voisin qui prend les risques», lance une femme. Serge Federbusch, conseiller municipal d'opposition et à la tête du «Parti des libertés», s'agite au premier rang. «Ça fait une heure trente qu'on entend le même discours officiel, je veux pouvoir m'exprimer !», lance-t-il. Il finit par griller la politesse à une dizaine de personnes qui attendaient le micro.

«Ce n’est pas fini»

Dans la salle, les journalistes du Petit Journal de Canal Plus sont à l'affût. Une vieille dame vient d'entrer, et elle n'est pas contente : «C'est honteux, j'attends dehors depuis 19 heures. Je veux parler !» Les perches son se tendent. Elle dit avoir été agressée, demande des renforts policiers dans le quartier. «Pourtant, vous avez l'air de bien vous porter», lui lance une militante écologiste. «Eh ben heureusement ! Vous êtes une conne, madame.»

Chacun s'improvise expert en quelque chose, de l'addictologie à la sécurité publique. Geneviève, petite femme aux cheveux blonds et à la veste rouge, prend la parole. Elle est «atterrée», s'inquiète de l'avenir du théâtre des Bouffes du Nord tout proche. «Je ne lui donne pas un an avant de fermer.» La fin de son intervention se perd dans le brouhaha de la salle. Tout juste entend-on parler de «poissonneries», «d'odeurs nauséabondes», et de «Pakistanais qui ont tout envahi».

Vers 21h45, la réunion publique touche à sa fin. Rémi Féraud jure que la salle de consommation n'est qu'une «expérimentation». Il s'éclipse rapidement, après avoir répondu aux journalistes. Certains opposants qui n'ont pu prendre la parole se précipitent vers les micros et caméras. «Ce n'est pas fini», promet une femme.

A lire La tribune «Pourquoi il faut des "salles de shoot"»

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