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Oise : comment le FN a doublé son score en une semaine

Florence Italiani, candidate FN dans l'Oise. PIERRE VERDY/AFP

Le chercheur en sciences politiques Joël Gombin et l'Ifop ont analysé les transferts de voix de la gauche vers le FN dans cette élection législative partielle.

C'est un constat sur lequel les observateurs politiques se penchent depuis dimanche dernier. Comment, entre le premier tour et le second tour de la législative partielle dans la deuxième circonscription de l'Oise, la candidate du Front national a-t-elle pu gagner 22 points, passant de 26,6 à 48,6% des suffrages?

Les responsables de l'UMP, qui a finalement emporté l'élection, et ceux du PS, éliminé dès le premier tour, se sont renvoyé la balle depuis l'annonce des résultats. Les premiers mettent l'accent sur l'élimination au premier tour de la candidate socialiste, qui «symbolise la vague de défiance des Français qui monte partout dans le pays», selon l'expression de François Fillon. La poussée du Front national s'explique par la trahison des «promesses illusoires» de François Hollande, estime l'ancien premier ministre. Rue de Vaugirard, au siège du parti, on assure également disposer d'un faisceau de «preuves concordantes» qui prouveraient qu'une partie des électeurs du PS se sont reportés sur la candidate FN au second tour, malgré les consignes nationales.

«Le Front national est en train de capter cette colère»

Rue de Solferino, les socialistes ne nient pas que des électeurs de gauche aient pu apporter leur voix au FN. Mais sur fond de crise avec les alliés du Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon, on renvoie la responsabilité de cette poussée locale du FN autant à l'UMP qu'au Parti de gauche. «Dans ce département, il y a depuis longtemps des passerelles, des similitudes qui ont peut-être empêché des électeurs de gauche, républicains, d'aller faire barrage à l'extrême droite car ils ont le sentiment que la différenciation n'existe plus beaucoup», a expliqué le premier secrétaire du Parti socialiste, Harlem Désir, sur RMC, sommant l'UMP de faire preuve de «beaucoup plus de clarté vis-à-vis de l'extrême droite». Le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis, lui, souligne la responsabilité de la gauche de la gauche. «Dans une région comme l'Oise, où il y a Goodyear, beaucoup de plans sociaux, (le vote) ne va pas au Front de gauche», constate-t-il. Pour lui, c'est «le Front national qui est en train de capter cette colère», notamment parce que le Parti de gauche n'a pas été capable de capter cet électorat (son candidat a réuni 6,6% des suffrages au premier tour) et qu'il refuse «l'alliance des gauches».

L'analyse que vient de produire l'Ifop après le scrutin de dimanche ne contredit aucune de ces explications qui ne sont pas exclusives. Localement, elle souligne que «la personnalité de Jean-François Mancel et son passé judiciaire ont probablement rendu moins faciles les reports sur son nom des électeurs de gauche et la candidate socialiste éliminée, Sylvie Houssin, s'est d'ailleurs refusée à appeler explicitement à voter pour lui, contrairement à la direction nationale du PS». L'Ifop replace également ce second tour dans le contexte national d'une semaine politique chargée, où «l'impopularité record du président de la République, les affaires Cahuzac et Sarkozy mais aussi la décision de la Cour de cassation dans le dossier de la crèche Baby-Loup sans oublier la crise chypriote» ont pu renforcer le vote en faveur du Front national.

Le département Opinion de l'Institut, dirigé par Jérôme Fourquet, va cependant plus loin en comparant l'élection aux précédents scrutins qui, depuis 1997, ont pu voir le Front national affronter ou l'UMP, ou le PS au second tour. «Le FN a pu compter de longue date sur des reports d'électeurs de droite pour progresser face à la gauche au second tour», explique l'Ifop. «Le phénomène symétrique se vérifie également», précise l'institut. Depuis 2004, la progression du FN au second tour est peu ou prou la même, que son candidat affronte en duel un candidat de gauche ou de droite. Mais, l'Ifop souligne qu'aux législatives de 1997, le candidat FN progressait davantage face à un candidat de gauche (+13,6 points entre les deux tours) que face à un candidat de droite (+8,9 points). Signe qu'à l'époque, les reports de la droite vers l'extrême droite étaient vraisemblablement plus importants que ceux de la gauche vers le FN.

La partielle de l'Oise, dimanche, semble faire exception. Le chercheur en sciences politiques Joël Gombin a soumis les résultats des bureaux de vote à «un modèle d'inférence écologique, développé précisément pour ce genre de problèmes, et connu sous le petit nom de “EI RxC” (…) pour estimer les valeurs les plus probables des reports de voix». «Même s'il est probable qu'(Italiani) ait bénéficié du soutien d'abstentionnistes de premier tour qui ne se seraient mobilisés pour elle qu'au second tour, l'analyse objective des grandes masses en présence conduit à penser qu'une part significative de ces électeurs gagnés au second tour provient des rangs de la gauche», explique le chercheur.

Selon ces résultats, sur les 13.958 voix que recueille la candidate FN Florence Italiani au second tour, environ 2500 proviendraient des électeurs de sa concurrente PS Sylvie Houssin. Soit 43 % des suffrages qui s'étaient portés sur la socialiste au premier tour. Pour cette élection, à tout le moins, les consignes de vote nationales du PS à faire barrage au Front national montreraient ainsi leurs limites. A fortiori quand localement, le candidat les récuse.

« Le FN possède désormais une réelle capacité de mobilisation au second tour »

Joël Gombin, chercheur en sciences politiques

L'étude statistique de Joël Gombin tendrait à prouver, si besoin était encore, que la «simple mathématique» qui consiste à additionner les résultats du premier tour, bloc politique par bloc politique, est pour le moins limitée. «Si le nombre de suffrages exprimés est resté quasiment le même aux deux tours», rappelle Gombin, cela ne veut pas dire que ce sont «les mêmes électeurs qui ont voté aux deux tours». Selon son modèle, près de 3500 abstentionnistes du premier tour auraient voté FN au second tour. Environ 2100 électeurs du candidat UMP Jean-François Mancel au premier tour auraient également choisi la candidate FN au second. À l'inverse, 1800 voix qui s'étaient portées sur Italiani au premier tour seraient revenues à Mancel au second.

Cet exercice «n'a pas valeur de certitude, mais il indique des tendances», prévient en conclusion Joël Gombin qui estime «qu'il n'existe pas - dans ce cas d'espèce en tout cas - de frontière étanche entre un électorat socialiste et des candidats frontistes, comme on l'a longtemps cru, et que le FN possède désormais une réelle capacité de mobilisation au second tour.»

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