Mais à quoi joue donc Bertrand Delanoë ? En février 2009, avec les élus de la région Ile-de-France, il a crée une association baptisée Pril (Laboratoire Paris Région Innovation) pour aider les jeunes entreprises innovantes à se développer dans la capitale et gérer 9 incubateurs de start-up parisiennes. Et il a placé deux de ses adjoints à son conseil d’administration, l’ancien ministre des Finances Christian Sautter, et Jean Louis Missika, en qualité de trésorier. Depuis, les deux élus arborent sans complexe une double casquette : celles de conseillers municipaux de Paris et de responsables d’une association financée pour l’essentiel… par la municipalité de la capitale. Entre mars 2009 et décembre 2012, ils lui ont voté des subventions à cinq reprises, pour un total de 5,1 millions d’euros.

Or, le Conseil d’Etat l’a encore rappelé dans un arrêt du 21 mars 2007, une association créée à l’initiative d’une collectivité locale qui en contrôle l’organisation et lui procure l’essentiel de ses ressources est juridiquement considérée comme « transparente ». Autrement dit, comme un faux nez de la collectivité concernée, susceptible, par exemple, de passer des commandes à sa place sans avoir à suivre la procédure des marchés publics. Et ses responsables peuvent être accusés, non seulement de «gestion de fait» (en d’autres termes d’exercer sans titre la fonction de comptable public, un délit passible de 45 000 euros d’amende et de trois ans de prison), mais aussi de «prise illégale d’intérêt», une faute punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Jean-Louis Missika et Christian Sautter l’ignorent-ils ? C’est peu vraisemblable. Au moment de la création du PRIL; le Conseil de Paris a en effet pris la peine de préciser que ce dédoublement n’était que temporaire, et que «dans un second temps, le Laboratoire Paris Région Innovation se constitue(rait) en groupement d’intérêt public d’aménagement du territoire et de développement économique local», une forme juridique qui éviterait aux élus de se trouver hors la loi. Mais, comme souvent à la mairie de Paris, le provisoire est devenu définitif : quatre ans plus tard, le Pril est toujours une association, et ses gestionnaires toujours des élus de la capitale.

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Preuve qu’il ne s’agit pas d’une petite affaire, le directeur juridique de la ville Pierre-Eric Spitz avait prévenu lui-même nos édiles dès 2008, dans une lettre adressée notamment au directeur de cabinet de Bertrand Delanoë : «Je tiens à alerter les élus» qui viendraient à se mettre dans cette situation compromettante, y écrit-il, en soulignant que la chambre criminelle de la Cour de cassation venait tout juste de condamner à 1000 et 1500 d’euros d’amende quatre conseillers municipaux de Bagneux pour «prise illégale d’intérêt». Les édiles de cette ville des Hauts de Seine ne s’étaient pourtant pas enrichis personnellement ; et la commune, pas plus que l’association, n’avaient eu à déplorer le moindre préjudice. Leur simple tort était d’avoir voté des subventions à des associations dont ils étaient aussi les dirigeants. La justice a estimé qu’«en participant aux délibérations ou au vote, chacun participait ou pouvait participer à une rupture de neutralité à l’égard du secteur associatif de la commune», fait observer Pierre-Eric Spitz, dans sa lettre restée... lettre morte.

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Interrogée par Capital, l’équipe de Bertrand Delanoë se montre aujourd’hui très gênée par cette étrange affaire. Pour toute défense, elle fait valoir que les élus condamnés à Bagneux étaient présidents des associations mises en cause, alors que Jean-Louis Missika n’est que le trésorier du Pril (c’est vrai, mais sans doute pire encore) et rappelle qu’il n’a jamais défendu lui-même les subventions accordées à l’association lors des délibérations du Conseil de Paris, puisqu’elles ont été adoptées «sans débat». Peut-être bien, mais il les a votées et Christian Sautter aussi. Enfin, la mairie assure qu’il ne peut être question de prise illégale d’intérêt, car «l’intérêt de l’association n’est pas différent de celui de la municipalité ». Ses propres juristes savent parfaitement que cet argument ne tiendrait pas une seconde devant un tribunal, mais il faut bien dire quelque chose. Mais pourquoi le maire de Paris a-t-il envoyé deux de ses adjoints dans une telle galère ?

Philippe Eliakim et Etienne Gingembre