Jean-Jacques Urvoas : "L'efficacité du renseignement n'est pas dissociable de son contrôle"

Alors que François Hollande vient d'annoncer plusieurs mesures issues d'un rapport parlementaire, son auteur revient sur les motifs de ces changements, qui n'étaient pas attendus aussi vite.

Propos recueillis par

Le bâtiment de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) à Levallois-Perret (illustration).
Le bâtiment de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) à Levallois-Perret (illustration). © LIONEL BONAVENTURE / AFP

Temps de lecture : 6 min

Député du Finistère et président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, le socialiste Jean-Jacques Urvoas est un chaud partisan d'une réforme des services de renseignements, et notamment de leur contrôle. Récent auteur d'un rapport sur "l'évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignements", il est l'un des inspirateurs des mesures annoncées lundi par l'Élysée. Interview.

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Le Point.fr : Le chef de l'État vient d'annoncer une série de mesures que vous préconisez dans votre rapport sur les services de renseignements. Qu'en pensez-vous ?

Jean-Jacques Urvoas : Je n'ai pas évoqué ce sujet avec le président de la République, mais j'ai pris soin d'adresser le rapport au coordonnateur national du renseignement, son collaborateur direct selon le décret de 2009. Je crois que nos préconisations ont été examinées avec bienveillance, dans la mesure où le chef de l'État a réuni pour la première fois le conseil national du renseignement pour annoncer une extension des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, la publication partielle de la stratégie nationale du renseignement, la modernisation des ressources humaines et techniques des services de renseignements et la création d'une inspection du renseignement, autant de propositions formulées dans le rapport. François Hollande marque donc son intérêt pour la thématique, et je suis heureux d'avoir apporté ma pierre à l'édifice qu'il commence à bâtir.

Quel accueil votre rapport avait-t-il reçu de la part des services de renseignements ?

À l'origine, la démarche n'avait pas recueilli un assentiment unanime. J'avais même noté une prudence inquiète dans la composante militaire du monde du renseignement. On s'y demandait, en substance, comment un béotien pouvait se risquer à traiter un tel sujet. Le caractère néophyte des rapporteurs suscitait une certaine réserve. Notre travail, la dimension consciencieuse de nos travaux ont cependant permis de faire tomber des barrières. Ce rapport était attendu. Il a été reçu par les services comme un point d'appui utile. Les directeurs des trois principaux services (DGSE, DCRI, DRM) ont eu l'amabilité de nous faire savoir que notre travail recelait des pistes dont ils souhaitaient la concrétisation.

Et quelles ont été les réactions au gouvernement ?

Le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur ont manifesté leur intérêt pour nos propositions. Du côté de la défense nationale, le silence a prévalu. Les organisations syndicales de policiers ont manifesté une forme de consensus. À ce stade, le rapport apparaît comme un élément du débat. C'est un premier succès pour une démarche nouvelle.

Dois-je comprendre que, du côté de la défense, l'accueil a été mitigé ?

Il est vrai que, dans les armées, l'accueil, sans être mitigé, s'est révélé plus prudent. Je trouve cohérent que les acteurs du renseignement extérieur se montrent inquiets lorsqu'on parle loi, contrôle, régulation. Au début, on m'avait dit que le renseignement extérieur ne pouvait être touché par cette démarche de légalisation. Ce qui est évident... Nous écrivons bien dans le texte que le cadre national est concerné par nos propositions. Mais la DGSE peut trouver une indéniable légitimation dans la reconnaissance législative de la spécificité de ses missions mais également dans le contrôle que nous proposons de mettre en place, et notamment le contrôle parlementaire.

Dans l'éternel équilibre à définir entre la sécurité de l'État et la liberté des citoyens, n'avez-vous pas privilégié le premier de ces enjeux ?

Ma position est très claire : aucun moyen ne peut être octroyé aux services de renseignements sans qu'un contrôle démocratique s'assure de son usage démocratique, légal et proportionnel. Certes, le rapport préconise de doter les services de nombreux nouveaux outils (assortis d'une pluralité de contrôle,) car ma principale principale découverte en conduisant ces travaux a résidé dans la découverte de l'incroyable faiblesse des moyens des services face aux menaces dantesques auxquelles ils sont confrontés. Alors même que les citoyens les imaginent tout-puissants, potentiellement liberticides, fondamentalement intrusifs et dénués de tout respect pour la vie privée, j'ai découvert une réalité bien différente ! On attend des services, notamment intérieurs, la sanctuarisation du territoire national. L'un des objectifs du rapport consiste à faire prendre conscience de la fragilité des outils actuels, de la nécessité de les renforcer, tout en instituant un contre-pouvoir performant. On entend parfois que, pour ce qui touche à l'encadrement des services, l'alternative se situe entre l'illégalité et le contrôle par les juges. Je persiste à penser que, par le biais d'une autorité administrative indépendante, on peut parvenir à concilier la protection de la vie privée et une efficacité accrue des organisations.

Notre entretien se déroule alors qu'aux États-Unis la polémique fait de nouveau rage sur les intrusions de la NSA dans la vie des citoyens. Qu'en pensez-vous ?

Ce débat est sain, et je me félicite qu'il existe. Le pire serait l'absence de toute confrontation ou enquête. Il faut tout faire pour éviter qu'un sentiment d'ivresse s'empare de ceux qui sont pourvus de larges moyens d'action en matière de surveillance électronique. L'efficacité du renseignement n'est pas dissociable de son contrôle. Toutefois, je serais, pour ma part, hostile à ce que l'on se contente de considérer que la solution réside dans un accroissement du contrôle parlementaire. Ce serait un alibi, car le Parlement ne pourra jamais encadrer les outils techniques du renseignement. Ceux-là même qui permettent aux services américains de se montrer de plus en plus intrusifs, tandis que les moyens de contrôle ne suivent pas : le droit court toujours après la technique.

C'est pourquoi vous proposez la mise en place en France d'une CCAR (commission de contrôle des activités de renseignements) ?

Mais bien sûr ! Nous avons un modèle unique au monde : l'autorité administrative indépendante. J'ai le plaisir et le privilège de siéger dans l'une d'entre elles : la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Elle démontre au quotidien une efficacité reconnue par tous les services. Je ne comprendrais pas que l'on ne tente pas de s'inspirer de ce modèle pour éviter de tomber dans les dérives que connaissent les États-Unis aujourd'hui.

Dans votre rapport, vous parlez peu de l'utilisation frauduleuse par des officines d'espionnage privé des moyens détenus légitimement par l'État. N'est-ce pas pourtant un grave souci ?

Le rapport contient deux éléments de réponse à votre question. Le premier réside dans le rappel que le renseignement est un monopole d'État. Avec l'adoption d'une loi, cette mention restreindrait considérablement l'éventail des moyens déployés par ces officines qui aujourd'hui ne sont pas suffisamment encadrées. Par ailleurs, il est indispensable de construire un véritable contrôle hiérarchique au sein de notre appareil de renseignements. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'existent la "tricoche" et d'autres procédés frauduleux assimilés. Tout cela pourrait d'ores et déjà être sévèrement sanctionné, pour peu que quelqu'un veuille se donner la peine de s'y intéresser d'un peu plus près. Il n'est rien besoin d'inventer ! On peut même trouver aisément les traces et les origines de ces fraudes grâce à l'informatique. Simplement, il n'existe pas dans les services de moyens humains suffisamment rompus aux procédures et détachés de l'institution pour ne pas être juges et parties. L'inspection des services de renseignements, que nous proposons, aurait aussi pour mission de traquer ces déviances ! La création d'un canal d'audit et d'enquête me paraîtrait fort utile par les temps qui courent.

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Commentaires (10)

  • On se bat toujours pour ce qui

    Cette  volonté parlementaire de contrôler les services secrets sous couvert d'une CCAR dont les membres désignés seront à n'en pas douter des incompétents notoires qu'il sera nécessaire de mettre sous surveillance, se voient doté soudainement « d'une efficacité accrue et reconnue» !

    Les personnels de la DCRI sont déjà trop nombreux, 75% du personnel ne devraient pas posséder d'accréditation au SD.   En rajouter devient problématique, et dans toutes les affaires d'Etat médiatisées, il ne se passe pas 12 heures sans que le presse titre des secrets de l'instruction  ! Mais ce n'est pas pour autant que la vérité que vous devez aux victimes n'éclatent au grand jour.

    Non Monsieur Urvoas, le renseignement n'est plus un monopole d'Etat, excepté pour le KGB soviétique, les parlementaires devront légiférer  !
    Je vois donc là une dérive très inquiétante de la judiciarisation des missions secrètes d'actions militaires paralysant justement toutes actions immédiates requises en certaines circonstances et ceux qui sont désignés pour ces opérations qui l'exécutent déjà au péril de leur vie, pèseront en prime, la menace d'une mise en examen  ! Au nom de la transparence républicaine  ? Publiez déjà votre patrimoine  !

    Que les investigations judiciaires soient conformes au Conseil constitutionnel préconisé en 1977, nous sommes d'accord. J'avais par ailleurs suggéré qu'un groupe de magistrats dûment accrédité au SD ferait parfaitement l'affaire du contrôle. Les parlementaires qui peuvent déjà demander des comptes en commissions ou lors des auditions et rapports des chefs d'état majors sont « astreints » au respect du SD. Mais astreints n'est pas accrédités  !

    Si c'est pour prendre le modèle outre Manche (Intelligence and security committee) qui publie son rapport annuel dont tout le monde s'en fout car il ne nous apprend rien que l'on ne sache déjà, CCAR et DPR paralyseront les services et n'ont aucun intérêt pour la Nation, si ce n'est de nous augmenter encore les impôts.

  • tchernobill

    Un renseignement est une chaîne. Recherche, acquisition, transmission, recoupement, validation et... Décision éventuelle d'exploitation. ça fait beaucoup de contrôles à mettre en place ; et ce n'est pas tout : Il faut contrôler les contrôleurs... Or les gouvernements se succèdent à une vitesse telle que cette chaîne dont l'efficacité ne peut être basée que sur la confiance et non l'idéologie est vouée à l'impuissance. Et, chez nous, elle est congénitale. Alors...

  • Gremelli

    Si ce genre d'institution a été mise sur pied, il est évident qu'il a été pesé le plus et le moins, le pour et le contre ! Les mots "services secrets" parlent d'eux mêmes.
    Mais mettre une surveillance dans ce domaine relève de la plus haute incompétence de Mr URVOAS. Dans ces conditions pourquoi ne s'attaque-t-il pas à toute les transparences utiles et impérieuses à la vie de la république dont certains prennent un malin plaisir à tout dissimuler ! Il n'y a qu'a se rendre compte de l'actualité dans ce domaine.
    Voila qui serait apprécié par les français Mr Urvoas !