L'étau se resserre sur le ministre des finances. Pour sa troisième journée d'audition, mardi 28 mai, la commission d'enquête parlementaire sur l'attitude du gouvernement dans l'affaire Cahuzac a entendu conjointement trois membres du cabinet de Pierre Moscovici, ministre de tutelle de l'ex-ministre du budget pendant dix mois : Rémy Rioux, directeur de cabinet, Jean Maïa, conseiller juridique et Irène Grenet, conseillère technique chargée de la politique fiscale – ces deux derniers travaillant également au cabinet de Jérôme Cahuzac.
Principal orateur lors de cette matinée de travaux, M. Rioux, "le seul à avoir suivi [le dossier Cahuzac] auprès du ministre", comme il l'a expliqué, s'est escrimé à expliquer aux membres de la commission à quel point il avait été tenu peu informé des évolutions de l'affaire Cahuzac, tout comme M. Maïa et Mme Grenet.
"Aucun indice permettant de soupçonner l'existence d'un compte n'était parvenu jusqu'à moi avant le 4 décembre", a affirmé le directeur de cabinet de M. Moscovici, qui a, à plusieurs reprises, rappelé l'existence d'une "muraille de Chine mise en place le 10 décembre" qui "concernait Cahuzac et tout ce qui était lié à la banque UBS, immédiatement effective et respectée jusqu'au 19 mars [jour de la démission du ministre]". "A la fin du mois de décembre, nous n'avions absolument pas l'information que Jérôme Cahuzac détenait un compte en Suisse", a-t-il également redit.
"VOUS PENSEZ QUE VOTRE RÉPONSE EST CRÉDIBLE ?"
M. Rioux, qui a assuré n'avoir "pas mené d'enquête parallèle" ni "fomenté d'opération spéciale", comme l'avait écrit un article de Valeurs actuelles du 11 avril, a également soutenu qu'il n'avait "pas vu physiquement la réponse des autorités suisses" qui aurait blanchi M. Cahuzac au début de février, selon Le Journal du dimanche. M. Rioux, ainsi que les deux autres membres du cabinet, a également affirmé n'avoir pas été associé à la procédure de l'administration fiscale qui avait demandé à M. Cahuzac, le 14 décembre, de transmettre "tous les éléments sur d'éventuels 'comptes bancaires ouverts, clos ou utilisés à l'étranger'", demande à laquelle il n'a jamais répondu dans le délai imparti (trente jours).
Cette imperméabilité entre M. Rioux et les équipes du directeur général des finances publiques Bruno Bezard n'a pas manqué d'étonner Charles de Courson (UDI), le président de la commission d'enquête. Le député centriste, connu pour sa pugnacité, n'a pas hésité à poser plusieurs fois de suite les mêmes questions, ponctuant ses interrogations de "vous êtes bien sûrs ?" et autres "vous pensez que votre réponse est crédible ?"
A son tour, Bruno Bezard a tenu à restaurer l'image de son administration et des "115 000 agents qui sont aussi les premières victimes de l'affaire Cahuzac". "Ce qui ne savent pas parlent et ceux qui savent ne peuvent pas parler", a introduit M. Bezard, soulignant que "l'administration perd toutes les batailles de communication car elle se refuse à les livrer, à cause du secret professionnel".
"MURAILLE DE CHINE"
"La vérité, c'est qu'avec mes équipes nous nous sommes totalement mobilisés avec pour obsession absolue de faire en sorte que l'administration fiscale ne puisse à aucun moment se voir reprocher soit de ne pas avoir fait son travail soit de l'avoir fait d'une façon non conforme à l'éthique républicaine", a-t-il poursuivi, jugeant qu'il "[faisait] partie de cette école de la fonction publique qui considère que le devoir de loyauté s'arrête quand la légalité et l'éthique l'imposent".
Enfin, M. Bézard a tenu à rappeler qu'il avait été à l'initiative de l'érection d'une "muraille de Chine" entre les cabinets de MM. Cahuzac et Moscovici afin d'"éliminer le risque de conflit d'intérêt", et ce dès le 6 décembre, deux jours après les premières révélations de Mediapart.
Cette commission, créée à la demande du président de l'UDI, Jean-Louis Borloo, doit poursuivre ses auditions les mardis et jeudis, possiblement jusqu'au mois de décembre. Elle a commencé ses travaux mardi 21 mai en entendant Edwy Plenel, le fondateur du site d'information Mediapart, et Fabrice Arfi, le journaliste qui a dévoilé l'affaire, qui avaient alors tous deux de nouveau mis en cause le rôle de M. Moscovici. "Je ne veux pas dire que M. Moscovici a été forcément complice d'une manœuvre voulant absolument cacher la vérité, je dis néanmoins qu'il a mal travaillé !", avait affirmé M. Plenel.
JÉRÔME CAHUZAC AUDITIONNÉ LE 12 JUIN
Le même jour, l'avocat Michel Gonelle, adversaire politique local de Jérôme Cahuzac dans le Sud-Ouest et détenteur de l'enregistrement dans lequel l'ancien ministre évoque son compte suisse, avait affirmé devant la commission que les informations en sa possession avaient été transmises au fisc en 2001. "J'avais dans mon entourage très proche (…) un fonctionnaire des impôts qui a entendu le message, avec mon accord, (…) il a informé de ce message (…) la direction nationale des enquêtes fiscales, qui avait une représentation régionale à Bordeaux", et ce dès "le printemps 2001", a dit M. Gonelle. D'après l'avocat, plusieurs années après, il a appris que "la communication du dossier avait été refusée".
Pierre Moscovici doit lui-même être entendu par la commission, ainsi que les ministres de l'intérieur, Manuel Valls, et de la justice, Christiane Taubira, à des dates non encore fixées. Jérôme Cahuzac quant à lui sera auditionné le 12 juin, soit quatre jours avant la législative partielle de sa circonscription de Lot-et-Garonne, à laquelle il a renoncé à se présenter.
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