Malmenés par la crise économique, menacés par une démographie vieillissante, les régimes de Sécurité sociale européens doivent trouver les moyens d'assurer leur avenir. A l'occasion d'un forum régional de l'Association internationale de la Sécurité sociale (AISS), qui s'est tenu à Istanbul du mardi 28 au jeudi 30 mai, les professionnels des différents régimes de Sécurité sociale de plus de trente pays européens, les partenaires sociaux associés à leur gestion, ont débattu des réformes nécessaires pour contrer les conséquences des austérités budgétaires et du ralentissement du marché du travail.
Dans un rapport présenté à l'ouverture de la conférence, l'AISS dresse un tableau sombre de la situation, qui n'est pas dû seulement à la crise économique qui perdure depuis fin 2007. "Le ralentissement économique prolongé et les difficultés financières qui l'accompagnent aggravent les conséquences du vieillissement démographique sur la Sécurité sociale, la part de la population âgée de plus de 60 ans étant appelée à passer de 20 % de la population aujourd'hui à 30 % en 2030", écrit l'AISS qui a fait de la recherche de "la viabilité des systèmes" le thème central de ses travaux.
Avant 2008 et les débuts de la crise financière, les régimes, à des degrés divers, savaient qu'ils auraient à résoudre une difficulté majeure liée à l'abaissement du taux de fécondité et à l'allongement de la durée de vie, entraînant une hausse des dépenses de Sécurité sociale. Si les situations et les solutions envisagées diffèrent d'un pays à l'autre, l'AISS cherche à valoriser les bonnes pratiques susceptibles d'être reprises.
Jeudi, l'Office national de l'emploi belge (ONEM), ainsi que l'Institut national d'assurance contre les accidents du travail italien (INAIL), se sont vus ainsi récompensés par le Prix des bonnes pratiques pour l'Europe. "Dans cette recherche urgente de solutions pour assurer la viabilité des systèmes, il est nécessaire de faire plus avec moins", a déclaré Hans-Horst Konkolewsky, secrétaire général de l'AISS. Ont été primés, avec ces deux pays, la capacité de développer des politiques préventives et "proactives".
"Pour limiter la progression du chômage – le taux en Belgique était de 7,5 % en 2007 et de 7,6 % en 2012 –, nous avons eu recours massivement au chômage partiel ce qui a permis de sauver plus de 40 000 emplois, explique Georges Carlens, administrateur général de l'ONEM. Ce système, à la différence d'autres pays, est très ouvert et simple d'utilisation : il suffit à l'entreprise de déclarer une semaine à l'avance aux salariés concernés et aux syndicats son intention, en expliquant les causes, pour une durée qui peut aller d'une semaine à trois mois sous forme de temps partiel."
"MANIFESTATIONS DE MÉCONTENTEMENT"
Le système belge repose aussi sur des mesures d'activation et d'accompagnement des chômeurs. Un service de deux cents personnes de l'ONEM est spécialement dédié au suivi de la recherche d'emploi. Un régime de sanction est prévu en cas de non-recherche active et la notion d'"emploi convenable" permet aux responsables du service d'emploi d'amener le chômeur à élargir son champ de recherche, explique M. Carlens.
L'ensemble de ces mesures, avec aussi la création d'un titre d'emplois services qui a permis la création de milliers de postes dans le secteur domestique, représentant 4 % à 5 % de l'emploi salarié en Belgique, constitue pour l'AISS un "modèle de mise en œuvre efficace par une administration de la Sécurité sociale de politiques intégrées visant à réduire le chômage et à prévenir de graves problèmes sociaux".
De fait, l'AISS n'a pas pour fonction d'expertiser les politiques publiques de l'emploi, mais d'en assurer la mise en œuvre. Elle s'interroge sur les meilleures pratiques administratives dans un contexte de tension sociale. "Si la Sécurité sociale suscite des comportements critiques et une certaine défiance, ce sont les administrateurs en contact avec le public qui seront le plus confrontés à ces manifestations de mécontentement", écrivent les rapporteurs.
D'où la volonté de garder des moyens pour fluidifier les relations et garantir le rôle d'amortisseur de la crise, jugé indispensable par tous les responsables politiques : par exemple, l'augmentation des prestations de retraite entre 2009 et 2011 en Russie, extension de la couverture chômage en Espagne ou en France ou augmentation de la durée de versement des indemnités en Allemagne et en Italie, etc.
POLITIQUES NOVATRICES
Le financement de la protection sociale reste un casse-tête que peu de pays ont résolu de manière durable. "En Belgique, explique Georges Carlens, les mesures de chômage partiel ont été financées, notamment par une cotisation particulière des employeurs. Il faut responsabiliser les entreprises qui recourent plus à cette mesure." Ce système destiné à encourager la dissuasion et la prévention peut s'appliquer dans d'autres domaines comme les accidents du travail.
Alors que l'augmentation du rythme de travail et des pressions professionnelles accroissent la fréquence de certains types d'accidents, que le renforcement du sentiment d'insécurité concernant les perspectives d'emploi affectent l'état psychologique des travailleurs, l'AISS estime que les administrations de Sécurité sociale peuvent proposer des aides incitatives aux employeurs sous la forme de diminution de cotisations, ou dissuasives avec le paiement de cotisations supplémentaires à l'encontre de ceux qui enregistrent des taux d'accidents élevés.
Cette réflexion sur des politiques "novatrices" de Sécurité sociale devrait déboucher en novembre lors du Forum mondial de la Sécurité sociale à Doha, au Qatar.
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