"Je n'ai bien sûr jamais été informé d'écoutes concernant l'ancien président de la République", a déclaré Manuel Valls sur RTL. Le ministre de l'Intérieur l'aurait appris par la presse.

"Je n'ai bien sûr jamais été informé d'écoutes concernant l'ancien président de la République", a déclaré Manuel Valls sur RTL. Le ministre de l'Intérieur l'aurait appris par la presse.

L'Express

Des écoutes très suivies

Les écoutes effectuées dans le cadre d'un possible financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 sont réalisées au siège de la Direction centrale de police judiciaire (DCPJ), à Nanterre, par un groupe de fonctionnaires triés sur le volet, appartenant à l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Ceux-ci gèrent parmi les affaires politico-financières les plus sensibles du moment. Et notamment celles visant le clan Sarkozy.

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Des "interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications" (des écoutes, selon les termes du code de procédure pénale) ont été ordonnées par le juge d'instruction parisien Serge Tournaire. D'abord sur les lignes de portables utilisés par des proches de Nicolas Sarkozy. Puis sur celle de l'ancien chef de l'Etat.

Comme le veut la procédure, le magistrat a donc adressé une commission rogatoire au commissaire Christine Dufau, actuel chef de l'OCLCIFF.

Cette fonctionnaire, unanimement appréciée, rend compte de ses investigations à sa hiérarchie, la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière (SDLCODF).

La règle judiciaire et les usages administratifs

Le code de procédure pénale stipule que les Officiers de police judiciaires (OPJ) sont placés sous l'autorité des magistrats du parquet (lors d'une enquête préliminaire) ou d'un juge d'instruction (lors d'une information judiciaire comme c'est le cas).

Mais ils sont hiérarchiquement rattachés à la direction centrale de la police judiciaire, au sein du ministère de l'Intérieur, dirigé depuis mai 2012 par Manuel Valls. C'est ce que l'on appelle la "double hiérarchie", judiciaire et administrative.

Dès lors, les chefs de service font des comptes rendus quotidiens de l'avancée des enquêtes à leur état-major et à leur directeur central, Christian Lothion jusqu'en décembre 2013 et aujourd'hui à son successeur, Mireille Ballestrazzi. En théorie, l'information sur les investigations s'arrête à ce stade, les échelons supérieurs ne disposant pas de l'habilitation d'officier de police judicaire.

Mais la Direction générale de la police nationale, aujourd'hui dirigée par Claude Baland, dispose de notes de synthèse, résumant les affaires de manière parfois très détaillée. Y figurent notamment les noms des protagonistes, les actes effectués et les suites prévisibles des affaires.

En plus de ces synthèses, il arrive que le directeur de la PJ montre l'intégralité de la retranscription d'une écoute à son directeur général. En veillant à ce que cela ne se sache pas car cette pratique, courante dans la vie politique au ministère de l'Intérieur comme au ministère de la Justice, n'est pas tolérée pas le code de procédure pénale.

En cas d'urgence, le directeur général dévale les trois étages qui le séparent du bureau du ministre ou de son directeur de cabinet (en évitant de prendre le minuscule ascenseur très souvent en panne), situé à l'aplomb de ses fenêtres, dans la partie jardin de la place Beauvau.

"L'usage est de permettre à son interlocuteur de lire la note, sans en laisser de copie, explique un ex-collaborateur de Beauvau. Les informations capitales sont transmises verbalement. A de très rares exceptions près, un conseiller peut conserver quelques jours le document dans son coffre."

Le ministère de l'Intérieur est celui de la crise et de la réactivité. "L'information remonte dès la moindre audition sensible", poursuit cet ex-conseiller.

En plus de cette procédure d'urgence, informelle, le directeur général de la police rend compte au ministre de l'activité de ses services, lors de réunions spécifiques. Tout à fait officiellement cette fois. Elles sont organisées plusieurs fois par semaine, place Beauvau, dans le bureau du directeur de cabinet du ministre, parfois en présence de Manuel Valls.

Bien sûr, des liens personnels ou politiques peuvent permettre à des directeurs ou à des sous-directeurs de devenir des visiteurs du soir du ministre. Christian Lothion, l'ex-patron de la PJ, a cependant affirmé ce mercredi ne pas avoir "informé" Manuel Valls de la mise sur écoute de Nicolas Sarkozy.

Déjà un premier incident en décembre 2013

Manuel Valls a déjà eu connaissance de l'affaire dite du financement libyen en décembre dernier. L'une de ses péripéties a alors fait grand bruit. A cette époque, Brice Hortefeux doit être entendu comme témoin dans un volet périphérique du dossier par la police judiciaire parisienne. Or il fait partie des proches de Nicolas Sarkozy placés sur écoutes.

Alors directeur de la PJ parisienne, Christian Flaesch, l'appelle pour lui signaler qu'il sera convoqué. Avisé par la direction centrale de la police judiciaire de cette conversation, Valls prend la mouche et, sous la pression de Matignon, limoge Christian Flaesch, coupable à ses yeux d'une "faute". Le ministre de l'Intérieur sait donc que des écoutes "tournent" dans ce dossier. Et qu'elles visent, à tout le moins, des proches de Sarkozy.

Le directeur général de la police nationale avisé

A la fin de février dernier, l'enquête s'accélère. Une discussion entre Nicolas Sarkozy et son avocat Me Thierry Herzog laisse penser que les deux hommes cherchent à connaître par anticipation, voire à peser, sur une décision de la Cour de cassation, essentielle pour le clan Sarkozy.

Le 26 février, une information judiciaire distincte est ouverte pour "trafic d'influence" et "violation du secret de l'instruction". La chancellerie est alertée par une note détaillée du procureur général de Paris. Comment le ministre de l'Intérieur peut-il ignorer ces derniers développements?

La veille des perquisitions menées, le 4 mars, chez l'avocat de Nicolas Sarkozy et chez un magistrat de la Cour de cassation, la direction centrale de la police judiciaire prévient le directeur général. Comment croire que Claude Baland n'en rende pas compte à son ministre?

L'article de L'Express

Le 5 mars, L'Express révèle que Me Thierry Herzog, avocat de Nicolas Sarkozy, a été visé par une perquisition la veille. L'article évoque le fond de l'affaire: un possible trafic d'influence entre l'ex président de la République et un haut magistrat de la Cour de cassation Gilbert Azibert, lui aussi perquisitionné. L'information est reprise par de nombreux médias, dont l'Agence France presse.

Comment imaginer que ni Manuel Valls ni les membres de son cabinet n'ont lu les journaux, écouté la radio, ouvert leur télévision ou consulté Internet ce jour-là?

Deux jours plus tard, le 7 mars, Le Monde révèle que Nicolas Sarkozy a été placé sur écoutes. Comment penser que ce fut une révélation pour Manuel Valls?

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