Publicité
Analyse

Hollande, ou la présidence des paris perdus d'avance

L'épisode de la « promesse impossible » sur l'inversion de la courbe du chômage n'est que le dernier exemple d'une pratique périlleuse du pouvoir. François Hollande fait comme si, en politique, l'important n'était pas de réussir, mais de vouloir.

ECH21622028_1.jpg

Par Henri Gibier

Publié le 7 févr. 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Vingt et un mois après la victoire sans bavure de François Hollande, il est difficile d'imaginer une stratégie de communication présidentielle qui ressemblerait plus que celle de l'Elysée à un processus d'autodestruction. L'épisode de la « promesse impossible » sur l'inversion de la courbe du chômage n'est que le dernier exemple d'une pratique périlleuse du pouvoir consistant à promettre avec un maximum de solennité ce que l'on est dans l'impossibilité de tenir. De même la « stabilisation des impôts », évoquée par le président à plusieurs reprises à partir de l'automne 2012, s'est si peu concrétisée qu'elle a accouché de son contraire, le « ras-le-bol fiscal » constaté par Pierre Moscovici, le ministre de l'Economie durant l'été 2013. Et le scénario risque de se reproduire maintenant avec l'engagement de réaliser 65 milliards d'économies sur les dépenses budgétaires et sociales d'ici à 2017. Un véritable exploit pour lequel le moins qu'on puisse dire est que l'équipe en place, comme celles qui l'ont précédée depuis trente ans, manque autant d'entrain que d'entraînement.

Cette succession de défis perdus d'avance que le président se lance à lui-même est d'autant plus étrange que la campagne victorieuse du candidat François Hollande s'était précisément distinguée de celle de François Mitterrand, son glorieux prédécesseur socialiste à l'Elysée, par sa volonté affichée de réalisme, notamment sur le plan économique. Le programme ébouriffant du vainqueur de 1981 était un assemblage d'engagements idéologiques et clientélistes, dont la conjonction avait de quoi dynamiter l'économie française s'il avait été appliqué tel quel. Plus mesuré, l'autre François s'était bien gardé de se livrer à la même surenchère - au risque d'être catalogué dans le camp des « mous » par Martine Aubry, son adversaire des primaires. A quelques dérapages près, comme le fameux impôt à 75 % sur les salaires de plus de 1 million par an, justement destiné à faire accepter par la gauche de la gauche la modération du reste.

La vraie nouveauté, c'est que le chef de l'Etat semble avoir fait de cette forme de communication longtemps réservée aux parenthèses électorales un principe de leadership. Le pur volontarisme est désormais affiché comme une figure d'autorité. Pierre de Coubertin, le père des Jeux Olympiques, affirmait que, dans le sport, l'important n'est pas de gagner mais de participer; François Hollande fait comme si, en politique, l'important n'était pas de réussir mais de vouloir. Lorsqu'il a formulé, en septembre 2012, son surprenant engagement sur l'emploi, il avait sans doute en tête la malheureuse parole de François Mitterrand, propre à désespérer Billancourt et tout le reste de la France, constatant que, « contre le chômage, on a tout essayé ». Eh bien, non, lui rétorquait en quelque sorte son lointain héritier : il suffit de se fixer une date... Ceux qui citent à tout propos, pour justifier ces paris hasardeux, la fameuse phrase du philosophe marxiste Gramsci : « Je suis pessimiste avec l'intelligence mais optimiste par la volonté », passent un peu vite sur le premier terme de cette très dialecticienne citation.

Comment un politique aussi avisé et subtil que l'est notre président a-t-il pu s'enfermer dans une stratégie de communication à ce point dévastatrice pour sa propre crédibilité ? Il faut sans doute prendre en compte le fait que son ascension vers le pouvoir fut fondée sur la plus intenable des promesses : « Je serai un président normal. » Le statut de président étant par nature exceptionnel, surtout dans la Constitution de la Ve République, il ne peut pas être « normal ». On peut même se demander si, avec l'instauration du quinquennat, le premier personnage de l'Etat s'il veut assurer, comme c'est son rôle, le bon fonctionnement des institutions, ne devrait pas rendre ses interventions encore plus exceptionnelles pour éviter d'être considéré comme le vrai chef du gouvernement. Nicolas Sarkozy et François Hollande, il est vrai, en ont tiré une tout autre conclusion, empiétant tous les deux largement sur l'espace dévolu à l'action gouvernementale. L'un s'adjoignant, avec François Fillon, un Premier ministre ravalé au rang de « collaborateur », l'autre se dotant, avec Jean-Marc Ayrault, d'un alter ego qui a bien du mal à acquérir une existence propre.

Publicité

Cette implication du président dans les affaires courantes constitue-t-elle le prix à payer pour faire avancer les dossiers qu'il a le plus à coeur ? Pas sûr, l'intervention de l'Elysée compliquant souvent le travail gouvernemental plus qu'elle ne le fluidifie. En revanche, sa banalisation fait que le chef de l'Etat, davantage exposé qu'auparavant aux mouvements d'humeur de l'opinion, use son crédit à grande vitesse. La loi sur la famille a mis des masses dans les rues puis a été retirée, sans qu'au demeurant on sache ce qu'en pense le président. A l'inverse, il est significatif que Nicolas Sarkozy comme François Hollande n'aient jamais paru aussi à l'aise dans l'exercice de leur fonction présidentielle que sur des sujets transcendant la politique « ordinaire » : le choc financier mondial de 2008 et la crise européenne pour le premier, les deux opérations militaires africaines pour le second.

Cette « cannibalisation » des rôles au sommet de l'Etat a un autre inconvénient : lorsqu'il rencontre un échec, le président a moins la possibilité de le traduire politiquement par un changement de Premier ministre. Le prédécesseur de François Hollande est tombé à ce point dans le piège qu'il n'a jamais pu se résoudre à changer François Fillon. Malgré l'échec de son pari sur le chômage, axe essentiel de son début de mandat, l'actuel chef de l'Etat a pourtant repoussé à plus tard toute idée de remaniement. Les événements et les annonces qui se sont succédé depuis ses voeux du Nouvel An paraissent indiquer qu'il préfère tenter de se remanier lui-même. Encore un pari bien difficile à tenir...

Les points à retenir

De l'inversion de la courbe du chômage à la stabilisation des impôts, le chef de l'Etat semble avoir fait des promesses impossibles à tenir un principe de leadership.

Le pur volontarisme est désormais affiché comme une figure d'autorité.

Cette stratégie de communication s'avère dévastatrice pour sa crédibilité.

Directeur des développements éditoriaux des « Echos » Henri Gibier

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité