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Manuel Valls à Matignon : la communication a-t-elle remplacé la politique?

KENZO TRIBOUILLARD/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Le nouveau premier ministre fut l'homme de communication de Lionel Jospin et de François Hollande. Le philosophe Thibaud Collin rappelle que, si l'image a toujours fait partie de l'art politique, elle ne remplacera jamais les actes de gouvernement.


Thibaud Collin est un philosophe et écrivain français. Agrégé de philosophie, il travaille sur des questions de philosophie morale et politique. Il enseigne en classes préparatoires à Paris, au Collège Stanislas.


Beaucoup d'observateurs ont noté que Manuel Valls est, comme on dit aujourd'hui, un «communicant». Déjà à l'époque de la défunte «gauche plurielle» il officiait à Matignon pour le compte de Lionel Jospin. A la suite de Nicolas Sarkozy, il a su utiliser le siège de la place Beauvau comme épicentre d'un perpétuel mouvement médiatique. Il semble aujourd'hui en cueillir les fruits politiques. Au vu de l'état de notre pays, de plus en plus de citoyens s'accordent à penser que seule une politique courageuse évitera à la France un déclassement non seulement économique mais aussi «civilisationnel». Le courage est la vertu grâce à laquelle quelqu'un se confronte aux obstacles que le réel oppose à sa poursuite du bien. Sans préjuger de l'avenir, pointons quelques distinctions autour de «communication et politique» ; afin de disposer de quelques critères de vigilance permettant d'interpréter l'action du nouveau gouvernement.

Il ne s'agit pas de nier le rôle de la communication en politique. Le langage est, en effet, au cœur de la vie de la cité. Aristote dans La Politique confirme que l'homme est bien «un animal politique» en soulignant qu'il est doué de logos (raison, parole). «Le langage existe en vue de manifester l'avantageux et le nuisible et par suite le juste et l'injuste. Avoir de telles notions en commun, c'est ce qui fait une famille et une cité». Si on considère que la finalité de l'action politique est le bien commun, communiquer devient certes un moyen important de gouverner. La question est désormais: de quoi la communication du responsable politique doit-elle être le vecteur? Que s'agit-il de faire connaître, de partager, de rendre commun? Sa propre image ou son diagnostic politique nommant les problèmes et mobilisant un effort collectif pour les résoudre?

Une société dans laquelle le personnel politique a pour finalité de rester au pouvoir par le truchement de la communication s'enfonce dans le déni. Elle peut différer la sanction d'un réel qu'elle a mis de côté

Sans valider les présupposés marxistes de Guy Debord, on peut utiliser son jugement sur notre société contemporaine qu'il nomme La Société du spectacle (1967). Il y affirme que «le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social, médiatisé par des images» (thèse 2). La communication risque de devenir dans une telle société ce par quoi l'homme politique construit son image. Quel est le lieu de cette image si ce n'est l'esprit des citoyens dont il est le représentant et le gouvernant? Dans toute société mais a fortiori dans une démocratie représentative, le pouvoir consiste à faire naître des représentations mentales, celles-ci disposant à agir. Un homme politique ne se maintient alors au pouvoir que s'il suscite l'adhésion constante de ses concitoyens. Dans une telle optique, l'action politique tend alors à se réduire à la bonne gestion de son image afin de sauvegarder sa crédibilité à agir. Le mode de cette gestion est le maniement du langage, qu'il soit verbal ou non-verbal. Comme Platon le fait dire à Protagoras le sophiste est «celui qui, pour l'un quelconque d'entre nous, auquel apparaissent, c'est-à-dire pour lequel sont, des choses mauvaises, en fait par le changement qu'il opère, apparaître et être de bonnes. (…) Opérer un changement, le médecin le fait à l'aide de drogues, tandis que le sophiste c'est par ces paroles» (Théétète). La politique sophistique des communicants considère que l'être s'identifie à l'apparaître puisque «chacun est mesure de toute chose». Celui qui sait faire naître les apparences est maître du réel… ou se croit tel.

Car telle est bien l'illusion du sophiste: penser qu'il pourra perpétuellement réduire le réel à la représentation qu'il s'en fait ou qu'il crée chez les autres. Une société dans laquelle le personnel politique a pour finalité de rester au pouvoir par le truchement de la communication s'enfonce dans le déni. Elle peut différer la sanction d'un réel qu'elle a mis de côté ; elle peut mettre à sa tête des prestidigitateurs chargés de cacher ses maux voire de nommer bien ce qui est mal mais le langage n'est pas tout puissant. L'homme ne vit pas que dans son monde de représentations. Il est soumis à certaines exigences constitutives de son être.

Seul l'accueil du réel social et humain est le point de départ d'une communication politique au service du bien commun. Il ne s'agit pas de rendre commun son image, il s'agit de prendre le langage comme un vecteur de manifestation de la vérité. C'est cette vérité communiquée qui peut mobiliser les énergies disséminées dans le peuple pour les orienter vers un même but, en l'occurrence aujourd'hui le redressement national.

Manuel Valls à Matignon : la communication a-t-elle remplacé la politique?

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26 commentaires
  • Lou Becarut

    le

    Excellent article. Applicable aussi à l'ancienne équipe, et à toutes les équipes, au moins depuis Mitterand, sans oublier Chirac, et l'inénarable Sarkozy.

  • gérard108

    le

    Avec un beau parleur dont l'efficacité est plus déclarée que prouvée, sous les ordres d'un apparatchik égotique, addict aux petites combines qui constituent son seul savoir-faire, que peut-on espérer ?

  • Rob g

    le

    Valls est comme l'on dit communément en Catalogne" Un Canta Ma^nanes" a ego surdimensionné et un vrai Pittbull quand l'auditoire n'est pas d'accord avec ses idées. monsieur détient la Verité sur Tout

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