Le pacte de responsabilité est une embrouille

Le « pacte de responsabilité » génère des débats sans queue ni tête.

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Le pacte de responsabilité est une embrouille

Publié le 4 avril 2014
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Par Acrithène.

Bulletin de paieCe qui est fascinant dans le marketing politique, c’est sa capacité à générer des débats absurdes dont la longévité atteint souvent des semaines, et parfois des décennies. La méthodologie est simple, lire Descartes, et suivre l’inverse de ses préceptes. Si vous êtes mathématicien, vous essayez de poser votre problème de la plus simple des manières pour le résoudre le plus rapidement. Si vous êtes politicien, faites le contraire, et vous embrouillerez peut-être les électeurs bien au-delà de votre propre horizon politique.

Sans aucun doute, le « pacte de responsabilité » est un concept qui sonne, même à l’oreille peu avertie, plus pipologique que mathématique. Et comme tous les concepts ainsi définis, il a le potentiel de générer des débats sans queue ni tête. D’un côté du champ de bataille, ses promoteurs défendent les emplois créés par une réduction du coût du travail. À l’opposé, ses adversaires dénoncent un cadeau fait, sans contrepartie, au patronat.

Ce débat est ubuesque pour la simple raison que les cotisations sociales ne sont, pour l’essentiel, pas payées par les entreprises. En conséquence, ne faisant pas partie du coût du travail, leur réduction n’est ni un cadeau pour les entreprises ni une piste prometteuse pour lutter contre le chômage. Ce qui, bien entendu, ne signifie pas qu’il ne faille pas les baisser.

Suis-je à ce point ignorant qu’il faille me montrer une feuille de paye pour me faire constater que les entreprises doivent s’acquitter de cotisations patronales conséquentes ? Justement, le « pacte de responsabilité » n’est finalement qu’une embrouille parmi un spectacle de prestidigitation qui dure depuis des décennies et dont l’illusion fondamentale est le partage légal du financement de la Sécurité Sociale entre salariés et employeurs.

L’idée que l’État répartit, par des taux administratifs, le poids des charges sociales entre employeurs et salariés n’a que trois conséquences concrètes. Organiser un débat absurde sur la définition de ces taux. Faire croire à la population salariée qu’elle obtient un service remarquable au regard de ce qui lui en coûte. Et enfin de devoir consacrer trente minutes du cursus de sciences économiques à expliquer aux étudiants que cette répartition légale n’a aucune espèce d’importance. Comme le résume Joseph Stiglitz dans Economics of the Public Sector (1988), « cela ne fait aucune différence que les cotisations sociales soient payées pour moitié par l’employeur et pour moitié par le salarié, ou entièrement par l’un ou l’autre. »

Ce n’est pas l’État qui décide de qui paye les charges sociales (et les impôts en général), mais l’offre et la demande. La partie sur laquelle tombe le poids des cotisations est celle qui ne peut dire à l’autre : « si tu ne les prends pas à ta charge, je m’en vais ». Que les salariés décident de démissionner s’ils n’obtiennent une augmentation de salaire pour compenser la hausse des charges, et les employeurs devront prendre à leur charge des cotisations dites salariales. Que les employeurs réduisent leur demande de travailleurs en réaction à une hausse des charges dites patronales, et le salaire net de l’économie baissera (ou ralentira) de sorte que le coût en sera en définitive porté par les salariés.

En somme, l’État décide de la somme des taux, et les mécanismes décrits plus haut se chargent de la répartition réelle de l’impôt, de ce que les économistes appellent « l’incidence fiscale ». Le taux administratif ne fait que créer une ligne comptable, le salaire brut, qui n’intéresse ni l’entreprise (ce n’est pas ce qu’elle paye) ni le salarié (ce n’est pas ce qu’il reçoit).

Évidemment, cette illusion existe depuis plus d’un demi-siècle et imprègne si bien la société toute entière qu’on n’hésite pas à bâtir des politiques économiques dessus. Leur effet, généralement contenu dans la marge de l’inflation, est limité au temps de renégociation des salaires. Aussi, la première question à se poser est de savoir qui paye les cotisations (patronales) ? En effet, si ces cotisations sont réellement payées par les salariés, la mesure ne changera, à moyen terme, ni le coût du travail ni le taux de chômage.

Trois intuitions théoriques conduisent à penser que les charges sont essentiellement portées par les salariés. La première est que le coût du travail est lié à la productivité au sein d’un marché qui dépasse les frontières nationales. On ne peut faire payer aux entreprises le coût de la santé si elles peuvent s’installer ailleurs. La seconde est que les entreprises sont plus enclines à adapter leur masse salariale au coût du travail que les salariés ne sont sujets à adapter leurs temps de travail aux variations du salaire net. La dernière raison est que le salarié devrait être relativement indifférent à l’existence des cotisations vu que celles-ci lui sont rendues sous la forme de prestations. Bien sûr, cette dernière condition suppose une Sécurité Sociale relativement efficace.

D’un point de vue empirique, un grand nombre de pays, France comprise, ont connu des variations de taux de cotisations depuis la création des États-providence. La plupart du temps à la hausse, mais parfois aussi à la baisse. Un résultat récurrent se dégage des études empiriques sur ces politiques : les variations de cotisations se répercutent sur les salaires nets et non sur le coût du travail, et surtout n’ont en conséquence pas d’effet significatif sur le chômage. Le cas le plus frappant et extrême est sans doute la suppression de la Sécurité Sociale chilienne en 1981. Sur la seule année 1982, les cotisations patronales chutèrent de 8,5% au Chili, sans effet ni sur le taux de chômage ni sur le coût du travail (Gruber, 1997).

Les emplois au SMIC constituent une exception importante à ces raisonnements, dans la mesure où la contrainte légale empêche le marché de s’ajuster librement. Mais dans ce cas faudrait-il concentrer la réduction de charges sur cette partie de la population, voire prendre le problème à la racine en supprimant le salaire minimum.


Sur le web.

Références :

  • Gruber, Jonathan, 1997. « The Incidence of Payroll Taxation: Evidence from Chile, » Journal of Labor Economics, University of Chicago Press, vol. 15(3), pages S72-101, July.
  • Stiglitz, Joseph, 1988. Economics of the Public Sector, Second Edition, W W Norton and Company, New York and London, chapter 18 (« Tax incidence ») (traduit par l’auteur).

Voir les commentaires (14)

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  • C’est surtout une carambouille !

  • Selon nos politocards, c’est un peu comme si l’entrepreneur n’était jamais responsable ❗
    Ils ont raison : il faut être con pour payer des cotisations sociales et ne pas avoir le droit d’en profiter en cas d’accident.
    Rassurez-vous, les cons disparaissent … 🙄

  • Ils ont commencé leur sac d’embrouille avec le pacte de compétitivité, ensuite pour « simplifier » l’entourloupe, ils ont sorti de leur chapeau troué une nouvelle astuce et ainsi réussi un parfait tête-à-queue à la mord-moi-le noeud : LE PACTE DE SOLIDARITE… miam-miam… ils s’en lèchent déjà les babines. C’est bizarre, ils ont omis d’y mettre leur mot fétiche : SOCIAL. On leur fait confiance, y’en a bien un qui va y penser… le pacte de solidarité sociale… hummmm… miam-miam… ça sonnerait bien… tellement bien qu’on en resterait tous sonnés.

  • L’ambiguïté vient de ne pas appeler « assurance » ou « mutuelle » les assurances sociales, mais dans le langage courant de les appeler « sécurité sociale ».
    Il serait bon que les libéraux prennent l’habitude dans les textes et les discours de revenir aux bon mots. Arrêter de prononcer « sécurité sociale » mais le remplacer par « assurances sociales » systématiquement.
    Dans la tète des gens, la sécurité est du domaine régalien, l’assurance est dans le domaine concurrentiel.

  • Je l’avait oublié celui ci, encore un pacte.
    les pactes, les chocs…pathétique.

  • Une embrouille, bien entendu, mais consciente, voulue, conçue pour.

    Pas une erreur.

    Et cela fonctionne.

    Tout le monde parle depuis le 31 décembre au soir… de quelque chose qui n’existe pas.

    -Les uns prennent position par rapport à quelque chose qui n’existe pas.
    -Les autres manifestent contre (ou pour) quelque chose qui n’existe pas.
    -on remanie un gouvernement pour quelque chose qui n’existe pas.

    Souvenez-vous… Hollande avait déclaré qu’il présiderait personnellement CHAQUE SAMEDI une réunion du « Conseil stratégique de la dépense publique » censé financer le « pacte » …. Il y en a eu… deux
    (en tout cas rendues publiques).

    Plus de 3 mois d’hallucination collective.

    C’est quand même une performance.

    C’est Hollande dans ses oeuvres orwéliennes : « croissance », « gouvernement de combat », « justice sociale », « solidarité », « maîtrise des déficits », « emplois d’avenir », « inversion de la courbe » etc.

  • Désolé mais je suis chef d’entreprise et ne comprends pas votre message. Je suis bien d’accord que in fine le particulier paie la non-compétitivité de son pays, à un niveau TRES MACRO.
    Mais la réalité de tous les jours c’est la tartine de charges que l’entreprise doit payer (je vous rappelle d’ailleurs que les charges patronales sont beaucoup plus élevées que les charges employés et non partagées également). Ce n’est pas un hasard si la marge des entreprises françaises est à 28% contre 40% chez nos voisins. C’est parce que les pouvoir publics ont lâchement fait du social en le faisant payer par les entreprises en non par les bénéficiaires. Même si en théorie cela résulte de négociations paritaires, l’état est toujours derrière, et c’est lui qui a donné un pouvoir honteux à des syndicats qui ne représentent que 3% de la population du privé.
    Cela état, je suis bien d’accord avec vous sur le fait que le pacte de responsabilité est une bombe fumigène.

    • Une partie de l’article explique simplement que le chef d’entreprise se fout des termes employés.
      Charges sociales salariales + charges sociales patronales + salaire net = le coût total de votre employé.
      Ce qui compte c’est le coût total.
      Or un salarié n’est gardé dans son emploi que si ce qu’il rapporte est supérieur à ce qu’il coûte.
      En résumé, c’est toujours le salarié qui paye avec son travail la totalité des charges.

      Le syndicats et les hommes politiques sont de parfaits salauds lorsqu’ils annoncent qu’ils vont faire payer les patrons en augmentant les charges patronales. Ils ne peuvent pas ignorer qu’ils vont accroître la pression sur les salariés.

  • Effectivement, il n’y a pas qu’une seule charge sociale versé à l’Etat. Mais si je comprends bien le principe de l’incidence fiscale, les charges ont une incidence sur les prix (ici les salaires).
    La répartition se fait sans intervention de l’Etat mais fait toujours grimper les prix/salaires. Et comme vous le soulignez bien, il est plus facile pour une entreprise de faire varier sa masse salariale que pour un salarié de voir son salaire baisser afin de compenser.
    Baisser les charges (et non « donner des sous aux patrons » comme on peut entendre) a bien pour objectif très honorable de relancer l’emploi mais c’est scientifiquement certain que l’Etat n’aura aucune incidence sur comment sera reparti cette baisse de charge.

  • L’art de la politique, c’est d’effectuer des actions que l’on pense bonne en vue d’un objectif à long terme et de les justifier par des explications vaseuses qui carressent les électeurs dans le sens du poil.

    Avec son pacte de responsabilité, il me semble que Hollande n’a pas fait grand chose mais parvient à se mettre d’emblée tout le monde à dos.

  • Les commentaires sont fermés.

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