France's President Francois Hollande (L) and French Prime Minister Jean-Marc Ayrault attend a ceremony marking the 68th anniversary of the Allied victory over Nazi Germany in World War II, on May 8, 2013 in Paris. AFP PHOTO / POOL / BERTRAND LANGLOIS

François Hollande et Jean-Marc Ayrault, les "colocs" du pouvoir. Leur couple est un échec politique.

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Ça suffit ! Les circonvolutions gouvernementales, les zigzags de la décision et la versatilité faite gouvernance mènent le pays de tension en tension. Aujourd'hui, la France est au bord de la crise de nerfs parce qu'on en manque à l'Elysée et à Matignon. Lundi 3 février, le pouvoir repousse la loi famille pour calmer la rue ; mardi 4, le pouvoir rafistole la loi famille pour calmer les parlementaires ; jeudi 6, le pouvoir rétablit la loi famille pour calmer l'opinion de gauche. Résultat : l'exécutif s'est fâché avec tout le monde, n'a gagné aucune voix et a perdu tout crédit.

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C'est, comme la dépeint un hiérarque socialiste, la "politique des ajustements permanents" - qui ne fait pas une politique. Chaque décision est rationnelle à l'instant où elle est prise, mais considérées sur une semaine, un mois ou un trimestre, elles n'offrent aucune cohérence, elles sont comme des perles qui glissent sur le fil fort penché de la popularité du président.

Le début d'année de François Hollande, avec son cap clair et ses lignes droites, apparaît soudain comme un trompe-l'oeil : voici revenu le temps des arabesques, à nouveau le président pilote le pays comme il gérait hier les courants du PS, par une permanente composition qui veut plaire à tous et ne mène à rien. Le quinquennat ayant instauré l'hyperprésidence, le moindre flottement élyséen crée une hyperpanique.

Le Parlement étant faible dans l'action et fort dans la grogne, la moindre hésitation du dompteur, à Matignon, déchaîne les fauves à l'Assemblée et au Sénat. Mais le plus grave est qu'à la fébrilité du haut répond l'agressivité du bas : la France s'énerve, elle s'adonne aux invectives et songe aux affrontements.Depuis vingt et un mois, François Hollande et Jean-Marc Ayrault, les "colocs" du pouvoir, ont additionné leur confiance mutuelle, leur modération naturelle et leur inexpérience ministérielle. Réussi au plan humain, leur couple est un échec politique et illustre toute la différence entre la bonne volonté et la volonté. Ils rament aujourd'hui à l'unisson sur un même esquif, qui dérive et prend l'eau, et sur lequel il n'y a qu'un seul gilet de sauvetage, pour le président.

A cet instant, l'homme qui ne laisse jamais rien paraître a rougi. Il est midi, le 25 janvier. Depuis une heure, François Hollande accorde un entretien au magazine américain Time. Détendu et loquace, quand il s'agit de parler des affaires du monde et de la situation économique. Beaucoup moins, lorsque arrive la question sur sa vie privée. Dans quelques heures, le chef de l'Etat va appeler l'AFP pour officialiser la fin de sa " vie commune" avec Valérie Trierweiler.

A cet instant, sa main tremblerat-elle ? François Hollande considère que l'une des erreurs fatales de Nicolas Sarkozy réside dans son entêtement à ne pas adapter sa politique en cours de mandat. Lui se veut plus souple. De même, son prédécesseur, après avoir souhaité le contraire, ne changea pas de Premier ministre. Le socialiste commettra-t-il une erreur identique ?

Du couple exécutif, on attend deux choses : qu'il forme un couple et qu'il exécute. Uni comme les deux doigts de la main dans l'impopularité, le tandem peine à se révéler complémentaire ; surtout, il ne décide plus. Quand il tire, c'est à hue et à dia. Quand il annonce, c'est blanc puis noir. En novembre 2013, la remise à plat fiscale devient l'alpha et l'oméga de l'action gouvernementale ; en janvier 2014, elle est un sous-paragraphe du pacte de responsabilité. Entre-temps, à peine deux mois. Avec le projet de loi sur la famille, c'est en jours, presque en heures que se sont comptés les ordres, contrordres et désordres.

Le pouvoir ne peut plus. Chaque semaine qui passe permet d'en prendre la mesure : le pacte de responsabilité provoque une cassure à gauche. La préparation s'est faite à la Hollande. Personne n'avait une vision de l'ensemble. "Il a vécu le calvaire de dix ans à la tête du PS, où tout le monde voulait exister et palabrait dans les réunions, rappelle un dirigeant socialiste. Les plus bavards disaient le plus d'âneries. Maintenant, il ne s'emmerde plus à être entravé."

Le 6 janvier, la réunion hebdomadaire des dirigeants de la majorité, à Matignon, est consacrée à... saisir la portée exacte des voeux du chef de l'Etat. Les éléphants se demandent s'ils doivent appeler un chat un chat. " Le président est très attentif à ce que vous allez dire ", commence Jean-Marc Ayrault.

Le temps des Premiers ministres boucliers est fini

Harlem Désir tente alors de se convaincre qu'il n'y a pas eu de rupture : "Ce que Hollande a dit est l'approfondissement de ce qui a été lancé ces derniers mois." Le député Olivier Faure, proche du chef de l'Etat comme du Premier ministre, proteste : "Il s'est tout de même passé quelque chose, on ne va pas faire comme si François Hollande n'avait rien dit de nouveau !" Jean-Christophe Cambadélis s'inquiète ensuite que l'ode à l'entreprise soit mal perçue à gauche : "François est-il en train de se piéger tout seul ? Il risque de se couper de sa propre base électorale, indispensable pour être au second tour de la présidentielle."

Le lendemain, c'est au siège du PS que les inquiétudes percent, cette fois ouvertement. Le parti bat de l'aile gauche. L'un de ses porte-parole, Emmanuel Maurel, fulmine. "Je viens de relire le texte voté au congrès de Toulouse, fin 2012, dit-il en plein bureau national. Je ne vois pas où il est question des gaspillages de la Sécurité sociale, des transferts de charges sociales ou du culte de l'entreprise, avec un E majuscule." Le séminaire du parti, le 10 février, ne suffit pas à colmater les brèches.

François Hollande pousse loin l'exercice solitaire du pouvoir. Pour l'explication de texte - le propos liminaire de sa conférence de presse du 14 janvier, qui aura été revu "de fond en comble quatre ou cinq fois" -, Matignon attendra l'ultime moment avant de recevoir, via un mail du secrétaire général adjoint de l'Elysée, Emmanuel Macron, et du conseiller politique, Aquilino Morelle, confirmation des principaux points. "Le président a fait tapis avec le pacte. C'est sa vérité", souligne Pierre Moscovici. Un temps, la droite s'interroge. En le regardant ce jour-là, François Baroin constate que François Hollande sera un "solid player". "Je me suis dit que l'on avait un client pour 2017", avoue l'ancien ministre de l'Economie.

Mais les nuages reviennent vite. Cela fait déjà plusieurs semaines que le président le confesse : "Je ne suis plus protégé." Il aimerait se concentrer sur l'essentiel, sauf que le temps des Premiers ministres boucliers est fini, avec Jean-Marc Ayrault en tout cas, avec un autre aussi, peut-être. Si rien ne va plus, il en faudrait toutefois davantage pour entamer son humeur publique. Le 4 février, il accueille 6 des 50 patrons signataires du "manifeste des entreprises étrangères installées en France". Il se montre très décontracté, met à l'aise ses convives, y compris ces trois qui sont introduits à l'Elysée pour la première fois. Drôle, sympathique, et surtout à l'écoute, connaissant parfaitement les sujets dont ses interlocuteurs viennent l'entretenir.

Car il existe un Français qui ne doute pas du président : c'est François Hollande. Jean-Marc Ayrault, lui, se rassure comme il peut. A un visiteur, il confie, à propos du pacte de responsabilité : "Je lui avais conseillé de le faire il y a plusieurs mois déjà." Mais il doit se battre pour exister. En entamant, ce 15 février, son vingt-deuxième mois à Matignon, il donne l'impression d'occuper les lieux depuis une éternité. Or, à ce jour, seuls quatre de ses 18 prédécesseurs ont duré moins que lui.

"La France apaisée", un engagement enterré

Les ministres ne se racontent plus d'histoires : "La lune de miel entre les deux est terminée depuis bien longtemps", note l'un. Et les postulants se racontent une histoire: "Il faut changer de Premier ministre très vite. Personne ne le tiendra pour responsable des résultats des municipales et cela ne peut que les améliorer, en limitant l'abstention à gauche. La France va être en vacances et se retrouver en famille : d'abord on prend des nouvelles, puis on dit du mal des absents, enfin on tape sur le gouvernement. S'il y a un nouveau Premier ministre, on s'interroge : "Tu en penses quoi?""

On ne change pas une équipe qui perd. L'idéal serait tout de même d'attendre les régionales de 2015. Garde-t-on une équipe qui s'écroule ? Les socialistes ont longtemps pensé éviter le pire aux municipales de mars. Ils ont changé d'avis. "Il faut préparer ces élections comme un rendez-vous qui peut faire très mal", prévient Benoît Hamon. "Dans les dernières semaines, un glissement de terrain est possible", complète Pierre Moscovici, qui n'a pas oublié cette campagne menée dans le Doubs : les sondages de début de campagne lui prédisaient une courte défaite, sa liste fut écrabouillée.

Plus grave que les couacs, plus compromettant que les renoncements, c'est un engagement fondateur de sa campagne que le chef de l'Etat enterre. "La France apaisée", disait-il. Si l'expression n'avait pas eu le retentissement de " la force tranquille "en 1981, elle montrait l'un des axes forts de 2012. Apaisée, parce que le président saurait faire entendre " la voix du rassemblement et de la réconciliation". Apaisée, parce que le chef lui-même le serait - tels sont les deux sens qu'il donne au mot lors de son discours du Bourget. L'arrièrepensée est limpide : il s'agit, bien sûr, de rompre avec le sarkozysme.

Cette obsession-là, clef de son succès, est la clef de ses erreurs. Non, ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui a bouleversé l'équilibre des institutions, tout juste en a-t-il accentué certains effets : c'est bien le quinquennat qui a rebattu la donne. Non, ce n'est pas - seulement - Nicolas Sarkozy qui a provoqué les divisions de la société française, tout juste les a-t-il exacerbées : c'est bien le pays qui est désormais, comme rarement, crispé, tendu, irascible.

L'heure est au désaccord, Hollande prône la réconcialiation

Une étude récente d'Ipsos sur les "fractures françaises" l'a prouvé : entre les Français et la politique, la coupure s'approfondit ; entre les catégories populaires et les plus aisées, le clivage s'accentue. Au point que le chef de l'Etat ne parvient plus à incarner la concorde. "Au-delà des divergences bien naturelles, ce qui nous rassemble est plus puissant encore, c'est l'amour de notre patrie" : le 17 mars 1986, au lendemain de la victoire de la droite aux législatives, François Mitterrand annonce la première cohabitation de l'histoire de la République en même temps qu'il enfile son costume de père de la nation, qui le conduira à une triomphale réélection deux ans plus tard. On pourrait alors croire que les menaces d'éclatement sont plus fortes que jamais ; pourtant, à cette époque, il est encore possible pour le premier des responsables publics de symboliser une forme d'intérêt supérieur.

Depuis quelques mois, François Hollande ne manque pas une occasion de prôner la réconciliation. Il l'a fait pour le pacte de responsabilité, il l'a encore souligné le 4 février, pour la présentation du plan contre le cancer, insistant dès le début de son allocution sur ce "qui fédère, qui rassemble, au-delà des sensibilités, des clivages, des alternances". Mais les mots présidentiels, dont on devine bien le dessein - améliorer l'assise de François Hollande et préparer la campagne de 2017 -, tombent pour le moment dans le vide.

Sur tant de sujets, l'heure est au désaccord et, bien davantage, à l'affrontement. La société s'est entre-déchirée hier sur le mariage homosexuel, la PMA et la GPA. Qu'en sera-t-il, demain, sur la fin de vie, préoccupation qui ne relève cette fois en rien, selon le mot d'un conseiller ministériel, d'un "caprice sociétal de la gauche"? La rumeur s'emballe pour renvoyer chacun à ses certitudes.

Que le pouvoir trébuche sur un texte et les deux camps s'insurgent : la droite retient les menaces qu'elle a cru percevoir, la gauche pleure son identité perdue. Un dimanche de janvier, un défilé au mot d'ordre factieux - la démission du chef de l'Etat - dégénère en slogans antisémites ; le dimanche suivant, une manifestation paisible réunit une foule importante qui place ses valeurs au-dessus de la loi de la République. Ainsi le pays traverset-il l'aube de 2014.

La promesse fondatrice a donc vécu. Ni la politique de François Hollande, ni le couple exécutif qu'il constitue avec Jean-Marc Ayrault, ni sa personne n'apaisent la France. Seul son caractère renvoie une image différente de celui de son prédécesseur : un animal à sang froid a succédé à un autre à sang chaud. Si cela avait suffi à tranquilliser la nation, elle s'en serait déjà rendu compte.

En décembre, le responsable des Radicaux de gauche, Jean-Michel Baylet, a soufflé au chef de l'Etat une phrase de Mitterrand : "Dans chaque Français, il y a un chouan et un soldat de l'an II." Les Français d'aujourd'hui ne sont pas moins irréconciliables que ceux d'hier ; mais le chouan qui réclame la tête du président crie plus fort que le soldat de l'an II du quinquennat.

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