Défense : la faute de François Hollande

La valse-hésitation du Président de la République sur le budget des armées aggrave le mécontentement et la désorientation du monde militaire, qui fait bloc
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«Le ministre Le Drian s’est battu, au sens civil du terme, au sens politique du terme, pour que le budget de la Défense puisse être préservé. Il a obtenu satisfaction, non pas parce que c’était lui, non pas simplement parce que c’était moi, mais parce que la représentation nationale l’a voulu ainsi et parce que c’était une nécessité.» Voilà ce que François Hollande déclarait, le 8 janvier sur la base aérienne de Creil, lors de ses voeux aux armées. Quatre mois plus tard, ce même président de la République laisse délibéremment se développer une crise très grave au sommet de l’Etat, avecmenace de démission des quatre chefs d'état-majors, sur ce même sujet.

Certes, Manuel Valls s’est voulu rassurant, ce vendredi, en affirmant que « la loi de programmation militaire sera totalement préservée». Mais le doute s’est installé et la confiance est sérieusement ébréchée : les paroles d’un Premier ministre le 23 mai valent-elles plus que celles d’un Président le 8 janvier ? D’autant qu’on doit s’interroger sur le sens des déclarations du Premier ministre. Entend-il prendre la main sur ce dossier régalien contre les hésitations de l’Elysée ? Ce n’est pas exclu. En effet, vendredi en fin de matinée , soit six heures avant la sortie de Manuel Valls, l’Elysée faisait savoir que les arbitrages seraient rendus «dans les prochaines semaines». La veille, une source bien informée assurait d’ailleurs à l’Opinion que les arbitrages n'étaient pas rendus et, regrettant une «communication indisciplinée», précisait que le chef de l’Etat «ne réagirait pas sous la pression».

Comment en est-on arrivé là ? La réponse est essentiellement politique. François Hollande «ne croit pas au principe même d’une programmation sur six ans» explique un proche du dossier, peu suspect d’antisocialisme. Le chef de l’Etat estime, comme Bercy, que les engagements pris peuvent être rediscutés chaque année. Dominique Strauss-Kahn a eu récemment, si l’on en croit les propos rapportés par l’Express, des mots terribles pour décrire la méthode Hollande, en le qualifiant de «petit arrangeur»...

Selon nos informations, croisant il y a quelques semaines, un important parlementaire socialiste, le président lui aurait dit : «Il faut qu’on se voie pour discuter de la LPM». Stupeur de l'élu qui n’est pas sans savoir que cette loi de programmation militaire, validée par l’Elysée après plus d’un an de travail, a été voté en décembre dernier ! Qu’importe... Un autre socialiste raconte : «François Hollande a voulu tester, il a lancé une crêpe en l’air pour voir de quel côté elle retombait». Sans penser qu’il pourrait se la prendre, brûlante, sur le crâne. Et que croyez-vous qu’il arriva ?

Le contexte politique se prêtait à une telle manoeuvre. Il faut trouver 50 milliards d'économies, sans désespérer totalement l’aile gauche de la majorité, au lendemain de la déculottée des municipales. En pratique, le pouvoir exécutif vient d'être profondément réorganisé. Il y a un nouveau Premier ministre (qui n’a pas de conseiller défense), un nouveau ministre des Finances et des Comptes publics (Michel Sapin, qui ne passe pas pour être très porté sur la chose militaire, contrairement à son prédécesseur Bernard Cazeneuve), un nouveau secrétaire général de l’Elysée (Jean-Pierre Jouyet, peu familier du dossier ), sans oublier un nouveau directeur du budget, Denis Morin, nommé en novembre et qui n’a donc pas participé aux discussions du Livre blanc et de la loi de programmation militaire. Bref, une nouvelle conjonction astrale jugée favorable par Bercy, qui après tout est dans son rôle : réduire les dépenses de l’Etat. L’offensive est lancée, il y a environ deux mois, avec des propositions visant à réduire les crédits de la défense de l’ordre de six milliards en trois ans, sans compter une remise en cause des recettes exceptionnelles (la vente des fréquences et de l’immobilier pour financer la LPM)...

Le problème est que François Hollande laisse faire délibéremment. Et ce, dans le dos de son vieil ami Jean-Yves Le Drian, qui en fut, si l’on en croit un témoignage digne de foi, «étonné». D’une manière assez exceptionnelle, ce qu’il est convenu d’appeler la «communauté de défense» a fait bloc derrière le ministre.

Au sein du gouvernement, le ministre de l’Economie Arnaud Montebourg, très sensible aux conséquences négatives qu’aurait une nouvelle baisse des crédits sur l’industrie de défense, partage l’analyse de Le Drian. Il en va de même, sur un autre mode, du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, élu de Cherbourg et bon connaisseur des dossiers de défense. Au Parlement, les deux commissions spécialisées (Défense à l’Assemblée et Affaires étrangères et Défense au Sénat) font bloc derrière leurs présidents respectifs, Patrica Adam (PS) et Jean-Louis Carrère (PS), au delà des clivages partisans. La commission des Finances de l’Assemblée, sous l’impulsion de son président (UMP) Gilles Carrez s’est saisie du dossier et auditionnera Jean-Yves Le Drian, mardi. A la suite de Xavier Bertrand, qui a sorti l’affaire sur la place publique, la droite monte au créneau pour défendre une LPM qu’elle n’a pas votée... alors que le PS, qui l’a votée, reste muet ! Les industriels de la défense se sont également fortement mobilisés, publiquement et en coulisses, pour crier casse-cou en termes d’emplois et de délocalisations (nous y reviendrons).

La haute hiérarchie militaire a enterré la hache de la guerre des boutons pour présenter un front commun. C’est à mettre au crédit du général Pierre de Villiers, qui est parvenu à apaiser les fortes tensions qui régnaient, il y a peu encore, entre les chefs d'état-major des différentes armées. Dans un contexte difficile, chacun estimait en effet que ses petits camarades n’en faisaient pas assez... Pour l’heure, ces querelles de boutiques semblent oubliées. Les experts de défense sont unanimes : aucune voix n’est venue soutenir la possibilité d’une nouvelle réduction.

Le président de la République n’a visiblement pas pris la mesure du «sentiment de trahison» ressenti par les militaires (et les industriels). L’idée que la Défense est la variable d’ajustement s’est profondément enracinée dans ce milieu. Le sentiment d’un «deux poids, deux mesures» est très vif. Et l’actualité récente ne le dément pas : il suffit d’un grognement des syndicats d’enseignants pour que la rentrée des classes soit reportée du vendredi au lundi...

Un bon connaisseur du monde de la défense, peu suspect d’hostilité au chef de l’Etat, le reconnait : le monde militaire est à la fois «mécontent et polytraumatisé». Au delà des problèmes de budget –et de leurs conséquences concrètes sur la capacité des militaires de faire leur métier dans des conditions acceptables, des réformes permanentes et des scandales comme Louvois– une partie importante des cadres militaires sont, en tant que citoyens et hors de leurs responsabilités directes, hostiles à la politique du gouvernement socialiste. Sur au moins deux sujets : les réformes de société (mariage gay, notamment) et la situation internationale, avec un tropisme prorusse plus fort que celui de la diplomatie française. «Désorientée, une partie de l’armée nous est hostile. C’est très préoccupant» constate-t-on dans les milieux du pouvoir. Le président de la République serait bien avisé de ne pas jeter de l’huile sur le feu, comme il vient de le faire.

Photo : Paysan Breton. François Hollande mangeant des crêpes, avec Jean-Yves Le Drian...

Secret Défense Par Jean-Dominique Merchet

Rien de ce qui est kaki, bleu marine ou bleu ciel ne nous sera étranger

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