VGE : «La France est entre le déclin et la décadence»

Entretien. Valéry Giscard d'Estaing nous a reçus chez lui. L'ancien président parle de l'Europe, dont c'est la dernière chance, et de la France dont il redoute l'affaissement. 

VGE : «La France est entre le déclin et la décadence»

    Aux visiteurs qui continuent de défiler à son domicile de la rue Benouville (Paris XVIe) Valery Giscard d'Estaing expose inlassablement son credo : l'Europe, qu'il faut de toute urgence relancer. Mais seulement avec les quelques pays qui le veulent, sans la lourdeur ni la mollesse du système actuel. C'est ce qu'il explique dans son livre « Europa, la dernière chance de l'Europe » (XO Editions). A 88 ans, l'ancien président de la République nous confie aussi ses inquiétudes pour la France, qu'il voit péricliter. Là aussi, il faut un sursaut. A ses yeux, et bien qu'il ne le formule pas explicitement, le retour de Nicolas Sarkozy, dont il vante en privé les qualités et la vitalité, peut faire que la prochaine présidentielle marque vraiment un tournant dans notre vie politique.

    L'EUROPE, L'ALLEMAGNE ET NOUS

    L'Europe actuelle fait fausse route ?

    Valéry Giscard d'Estaing.

    Depuis l'origine, il existe, d'un côté, une Europe à vocation commerciale, et, de l'autre, un projet consistant à en faire une puissance. Je me place dans le cadre du deuxième projet. La zone de libre-échange existe de son côté, mais il y a des pays réunis dans la zone euro qui voudraient s'intégrer davantage, et qui ne le font pas. C'est à eux que s'adresse mon livre.

    Pourquoi cette intégration est-elle si importante ?

    Parce que si nous ne la faisons pas, nous risquons de disparaître. Nous deviendrons une zone de grand tourisme avec une industrialisation affaiblie, et sans influence politique dans le monde. L'appauvrissement de la France est déjà très visible et beaucoup le ressentent. Un tiers de notre industrie est parti en quarante ans ! Il faut rebâtir une puissance européenne. C'est une question de vie ou de mort.

    Il y a un déclin français ?

    Sans doute une forme de déclin. Un déclin industriel mais aussi un déclin politique. Notre influence a beaucoup diminué dans le monde. Seule une minorité de Français a voté lors des élections européennes, et au sein de cet électorat figurait une forte proportion de gens hostiles au système européen tel qu'il existe. Il faut se fixer un nouvel objectif. Les dernières élections européennes ont été la démonstration qu'il n'y en avait pas.

    Le vote FN vous a surpris ?

    Le cas du vote FN est particulier. Ce n'est pas un vote de conviction, c'est un vote de protestation. Quand j'étais président ce vote n'a pas existé. Jean-Marie Le Pen ne s'est pas présenté contre moi en 1981, parce qu'il savait qu'il n'aurait pas beaucoup de voix. Aujourd'hui, la politique française a perdu son repère qui était l'axe franco-allemand. Il existe un désaccord entre les personnes et entre les politiques.

    La faute à qui ? A François Hollande ?

    C'est assez inélégant quand on a été chef d'Etat de s'en prendre aux personnes ! Disons que le pouvoir actuel a une posture par rapport à l'Allemagne qui n'est pas raisonnable, consistant, d'une part, à la critiquer chez nous ouvertement et, d'autre part, à lui présenter des demandes inacceptables pour elle : « Abandonnez votre politique qui a réussi pour nous permettre de redresser notre politique qui a échoué ! » En conséquence, il n'y a plus de leadership en Europe, leadership qui était franco-allemand. L'Allemagne ne souhaite pas, et ne pourrait pas, être le leader unique.

    Alors que faire ?

    Aucun dirigeant européen ne propose aujourd'hui l'intégration. Ce livre la propose à nouveau. Il faut créer en Europe une puissance économique modèle du XXIe siècle. C'est-à-dire d'une taille suffisante, plusieurs centaines de millions d'habitants, d'une homogénéité suffisante et qui apparaisse comme un lieu futur de production et de créativité de l'économie européenne. Cet ensemble existe, il fait partie de la zone euro, mais ce n'est pas toute la zone euro. Dans ce grand ensemble intégré, tous les aspects économiques et monétaires doivent être les mêmes. On a commencé par le plus difficile qui était la monnaie. Aujourd'hui, la population d'aucun pays de la zone euro n'accepterait de revenir aux anciennes monnaies !

    L'euro est quand même très critiqué, pour la cherté de la vie...

    Il est critiqué parce que beaucoup de commentateurs critiquent tout ! Quand l'euro est haut on dit qu'il monte trop, et quand il baisse on dit qu'il s'effondre. Or, il est bien géré. On est censé en avoir fait de même pour les budgets, selon un traité signé et ratifié par la France en 2012. Malheureusement, elle ne respecte pas ses engagements, ce qui est le signal d'un essoufflement politique, et, en plus, certains reprochent aux autres de tenir leurs engagements !

    Mais le pouvoir dit qu'avec la crise, c'est impossible à tenir...

    Ce n'est pas exact. Il y a quantité de choses qui n'ont rien à voir avec la croissance, sur lesquelles on pourrait faire des réductions de dépenses sensibles. Si on ne le fait pas, la dette explose. Elle atteint 2 000 MdsEUR et elle passera cette année le cap des 100 % du PIB. Contrairement à ce qu'ils croient, les Français paient la dette avec leurs impôts. Sans cette dette, nous disposerions d'environ 40 MdsEUR par an pour faire des choses indispensables, comme stimuler la recherche ou créer des infrastructures. J'espère que les prochains hommes d'Etat français prendront les dispositions nécessaires. Qu'ils cesseront de dire qu'il faut reporter de deux ans, quatre ans, et ainsi de suite, un engagement qu'ils ont eux-mêmes proposé et voté.

    Cet essoufflement, c'est un manque de courage politique ?

    C'est essentiellement de l'électoralisme, car on protège le pré carré de ses futurs électeurs de 2017. Il existe des niches, mais on ne les touche pas.

    La zone Europa, cela suppose donc un marché du travail réformé en France, comme les Allemands nous le demandent avec insistance ?

    Oui. Cela veut dire qu'à terme les systèmes de protection et de rémunération sociale seront harmonisés. L'âge de la retraite sera le même, c'est-à-dire 65 ans dans une première phase, comme c'est déjà le cas dans les quatre cinquièmes de la zone. Après discussions, en fonction de la démographie, on verra s'il faut aller plus loin.

    LA CRISE POLITIQUE EN FRANCE

    Il y a en France un sentiment de malaise, de crise permanente. Comment l'analysez-vous ?

    La France est dans une situation intermédiaire entre le déclin et la décadence. Son système politique des trente dernières années est en train de se défaire. Les dirigeants politiques de demain seront-ils capables d'arrêter cette dégradation du pays, de ses valeurs, de ses structures ? C'est toute la question. Nous avons besoin d'une vraie rénovation.

    Ce déclassement est-il inéluctable ?

    Non. Je sens chez les jeunes générations une réelle volonté de changement. Mais le système politique est décadent. D'abord parce que sa qualité humaine est faible, on ne peut pas vraiment citer le nom de beaucoup d'élus à compétence reconnue, comme c'était encore le cas il y a quelques dizaines d'années. Ensuite, les votes sont émis en pensant « qu'est-ce que ce candidat peut faire pour moi », sans beaucoup réfléchir au destin collectif. Il faut que la prochaine élection présidentielle marque un tournant.

    Justement, on a l'impression qu'elle est déjà lancée...

    Le fait d'être candidat est tout à fait normal, ce n'est pas parce qu'on affiche ses ambitions qu'il faut que l'on vous tombe dessus immédiatement. Jugeons les compétences, l'expérience, les propositions.

    Vous parlez de Nicolas Sarkozy ?

    J'ai regretté que certains titres de presse parlent de réouverture de la « guerre des chefs ». Les candidats au sein de l'opposition sont un ancien président et deux anciens Premiers ministres. Ils ont parfaitement le niveau. Ils ont le droit de développer leurs idées, de parler à l'opinion et de constituer leur équipe.