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Le Parlement européen vote le retour des aides pour de nouveaux navires de pêche

Les députés européens ont accepté jeudi le retour de subventions interdites depuis quinze ans, au risque d’aggraver la surexploitation des stocks.

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Publié le 05 avril 2019 à 09h37, modifié le 05 avril 2019 à 09h57

Temps de Lecture 5 min.

Pour un peu plus de 6 milliards d’euros, le Parlement européen a mis à mal, jeudi 4 avril, les engagements pris il y a quinze ans pour lutter contre la pêche excessive dans les eaux communautaires. Les eurodéputés ont en effet approuvé le retour de subventions – interdites depuis 2004 – permettant de financer de nouveaux bateaux, plus sûrs sans doute, mais aussi plus puissants, encore plus performants alors que de nombreux stocks de poissons sont déjà largement surexploités.

Le contexte de campagne à la veille des élections européennes n’a apparemment pas joué en faveur de la protection de la biodiversité et des ressources marines lors de ce vote sur la répartition de l’enveloppe du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp), destiné aussi à l’aquaculture, durant la période 2021-2027. Probablement attentifs à ne pas décevoir les professionnels du secteur dans leurs pays respectifs, une majorité hétéroclite de parlementaires se sont prononcés pour un net assouplissement des conditions d’attribution de fonds publics, permettant de fait d’augmenter la capacité globale de pêche. Ils ont ainsi répondu favorablement aux propositions du rapporteur espagnol, Gabriel Mato (PPE). Les parlementaires des pays de l’est de l’Europe qui ont récemment rejoint l’Union se plaignaient pour leur part de n’avoir pas pu bénéficier de l’âge d’or de ce type de subventions.

L’affaire était suivie avec appréhension par les défenseurs de l’environnement, et les ONG n’étaient pas les seules à s’alarmer. Mercredi 3 avril, dans une tribune publiée par Libération, des députés européens socialistes et radicaux s’interrogeaient sur l’usage qui serait fait des 6 milliards d’euros du Feamp. Evoquant une « responsabilité historique », ils exhortaient leurs homologues à « faire le choix éclairé de la durabilité ».

« Trop de bateaux de pêche chassant trop peu de poissons sont encore une réalité dans nos eaux européennes. On ne compte plus les articles et les travaux scientifiques expliquant les conséquences désastreuses de notre modèle d’exploitation halieutique », soulignaient-ils. La veille, dans Le Parisien, des universitaires européens et américains s’inquiétaient eux aussi publiquement de la voie que choisirait le Parlement : « La protection de l’océan ou sa destruction ». Parmi les signataires apparaît le nom de Pascal Lamy, ancien commissaire européen et ex-directeur général de l’Organisation mondiale du commerce.

Grands principes de conservation et intérêts professionnels

Or l’Union européenne œuvre depuis des années auprès de cette organisation afin que les Etats qui en sont membres parviennent à un accord sur l’élimination des aides à la pêche néfastes pour les ressources marines. Par ailleurs, Bruxelles s’est engagée en 2015 aux Nations unies, en approuvant l’objectif du développement durable sur les océans qui appelle en toutes lettres à « interdire d’ici à 2020 les subventions qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche. » Conclusion du député socialiste Eric Andrieu (groupe S&D) : « Il en va non seulement de l’avenir des écosystèmes marins, mais aussi de la crédibilité de l’Union européenne sur une scène internationale. »

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Un quart des stocks de poissons sont trop pêchés en France

Mais que valent les grands principes de conservation de la faune marine lorsque des intérêts professionnels immédiats sont en jeu ? Alain Cadec (groupe PPE), président de la commission de la pêche au Parlement européen, se réjouit, lui, de la tournure du vote. Le Feamp, commente-t-il, « doit soutenir l’attractivité et la compétitivité du secteur de la pêche ». Il souligne qu’une part du budget ira à la protection des écosystèmes. Car « il faut préserver la ressource en respectant la biodiversité, afin de maintenir une activité de pêche durable et rentable au bénéfice de tous », assure-t-il. L’Europe n’étant pas à une contradiction près, les nouvelles orientations devraient financer aussi la destruction de navires. Des enquêtes européennes ont pourtant montré par le passé que ce type de mesures ne permettait pas de réduire la surexploitation des stocks.

ClientEarth, ONG de défense de l’environnement, regrette un « énorme pas en arrière de la part des députés »

« Consacrer un quart du Feamp à la protection des espèces est la seule de nos demandes qui a été entendue, pour tout le reste, c’est la catastrophe », déplore Mathieu Colléter, responsable science et relations institutionnelles de Bloom. L’association, qui note dans un communiqué que « l’argent ne ressuscitera pas les poissons », espérait 25 % de l’enveloppe pour la collecte de données. Les députés ont choisi de maintenir à 15 % le montant consacré à ces observations essentielles à la connaissance du bon état ou du déclin des populations de poissons et au contrôle du respect des réglements par les professionnels. Ils ont fixé à 60 % les investissements à bord (modernisation, renouvellement des flottes), sans exiger d’efforts de transparence.

ClientEarth, une autre ONG de défense de l’environnement, regrette cet « énorme pas en arrière de la part des députés ». Elle dénonce notamment l’assouplissement de la distribution d’aides publiques pour la modernisation des moteurs, et pour des arrêts temporaires ou définitifs d’activités alors qu’il s’avère très difficile de contrôler l’utilisation de ces financements. Les deux organisations s’inquiètent en particulier de la possibilité accordée aux Etats de modifier la définition de la petite pêche côtière dans les régions ultrapériphériques.

Cette décision comporte un risque sérieux de voir la petite pêche des Antilles, de la Réunion, de Madère ou des Canaries – des zones d’une très riche biodiversité –, prendre des allures de flottes industrielles. Le cas des artisans martiniquais et guadeloupéens a été beaucoup mis en avant : ces derniers sont en effet contraints de s’éloigner des côtes, où de vastes zones sont interdites à la pêche à cause de leur contamination au chlordécone, un insecticide très persistant. C’est ainsi que le malheur des uns a nourri l’offensive de tout un secteur. Les Etats devraient faire connaître leur position prochainement, avant que ne se mette en place une discussion en trilogue.

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