Lettre à un jeune entrepreneur #4

Cher Jean-François, j’ai lu avec attention ton email très excité où tu parlais de ton idée “qui vaut des millions”. Réponse.

Roald Sieberath
Lettre à un jeune entrepreneur #4
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Roald Sieberath, Multi-entrepreneur, coach de start-up pour accélérateurs, dont LeanSquare


Cher Jean-François,

J’ai lu avec attention ton email très excité où tu parlais de ton idée “qui vaut des millions”.

J’en avais quasi la larme à l’oeil, sans trop savoir si c’est de nostalgie (oui, ça me rappelle ma jeunesse), d’ironie (à force de voir des idées à X millions), ou de tristesse (en songeant aux déconvenues qui risquent de t’attendre).

Le mythe de l’idée toute puissante

Le mythe de « l’idée a succès » a la vie dure.

Il suffit d’écouter ce qui est relaté des startups : dans le storytelling qui les entoure, on insiste bien davantage sur l’idée (parce que c’est compréhensible) plutôt que sur les nuits blanches à coder, à préparer des sales meetings, à défendre le projet face à son banquier (tout cela est bien moins intéressant à raconter…même si c’est l’essence même de la startup life).

Et parfois on entend des idées que l’on trouve géniales. Et parfois on entend des idées que l’on trouve banales (soi-même, on y avait pensé sous sa douche l’an dernier). Et parfois les idées géniales font un flop, et parfois les idées banales sont un succès.

D’un autre côté : l’idée ne vaut rien !

De nombreux entrepreneurs ou théoriciens de la startup l’ont déjà mieux dit avant moi :

une idée sans exécution, ça ne vaut rien.

Pour rendre le point encore plus clair, certains ont dit de l’aventure startup “1% d’idée, 99% d’exécution”

Voilà qui est bienvenu pour contrer la mythologie startup, où parmi les qualités que l’on prête à l’entrepreneur, “avoir des idées” semble peut-être plus typique que “travailler dur” (parce que ça, on se dit que cela peut se retrouver à tous les étages d’une entreprise “classique”).

Entrepreneur : un homme (ou femme) d’action

Pourtant, la capacité à passer à l’action est véritablement un trait auquel on reconnaît l’entrepreneur. “Better done than perfect” : mieux vaut agir, que perfectionner sans cesse et (trop) reporter le lancement de son produit.

Dans le même ordre d’idées, les VCs (Venture Capitalists, investisseurs à risque) préféreront à tous les coups “Une équipe A avec un plan B”, qu’un “plan A avec une équipe B”. Parce que l’équipe B, même avec une bonne idée, risque d’échouer à l’implémenter. Alors qu’une équipe A, même avec une idée moyenne, peut s’adapter, pivoter, chercher, trouver.

Ces points ont même été illustrés par une mise en chiffres (tout à fait fictive) que l’on doit à Derek Sivers (créateur de CDbaby). La valeur d’un projet, c’est la multiplication de la valeur de l’idée, et de l’exécution.

Il n’y a pas que “idée” et “exécution” !

S’il est utile pour faire comprendre à l’entrepreneur l’importance de l’action, ce débat caricatural passe à mon avis à côté de deux ou trois choses essentielles qui ne sont ni de l’idée, ni de l’exécution.

A. La validation

Entre l’idée et l’exécution existe quelque chose, qui prend une place assez énorme (on dirait bien 40%, là ) et qui fait à coup sûr partie du métier de l’entrepreneur, c’est la validation.

C’est Steve Blank (et ensuite, le mouvement lean startup) qui a sans doute le plus insisté sur ce point : il ne sert à rien “d’exécuter” une idée qui n’a pas été validée (c’est pourtant ce que l’on voyait dans nombre de startups jusqu’il y a peu). Dans son processus de customer development, il s’agit de distinguer la phase de recherche d’un business model (animée d’études du marché, mais surtout de rencontres clients) de l’exécution proprement dite (c’est tellement fondamental que l’on y reviendra plus d’une fois)

B. Le timing

Si vous avez raison un quart d’heure avant tout le monde, vous passez pour un con pendant 15 minutes” (on dirait de l’Audiard, mais je pense que c’était de Jean-Marie Messiera.k.a J6M).

Je suis devenu particulièrement sensible à ce sujet par mon histoire entrepreneuriale (à sortir l’email sur mobile en 1999, trois ans avant BlackBerry, et six ans avant le premier iPhone, on se sent “con” pendant de nombreuses années…)

Face à cette question du “right time”, l’entrepreneur peut être en avance. J’ai participé récemment à une table ronde d’entrepreneurs autour du 3D printing : si pour les applications professionnelles (B2B), le timing est mûr (voyez ce que font Materialise, Sirris, AddiParts,…), pour le grand public (B2C), il me semble que l’on est un peu en avance. La technologie est là, mais la killer application n’est pas encore là (suivez tout de même ce que fait Vigo à Namur). Le défi, pour ceux qui se lancent maintenant, est de “tenir” jusqu’à ce que le marché décolle…

A l’inverse, l’entrepreneur peut être “en retard” aussi, alors que les bonnes idées ont une date de péremption : lancer une application “SoLoMo” (social, local, mobile) vers 2010 c’était innovant, à présent c’est d’une banalité de nougat en plein Montélimar.

C. Les contacts : équipe, marché

Vous avez une idée, bien.

Vous avez une idée, et vous avez sous la main les 2-3 talents (rares) qui permettent de la lancer, c’est déjà beaucoup mieux.

Vous avez une idée, une équipe, et des contacts dans l’industrie qui valident la demande pour votre produit / service : là on commence à être franchement bien (tout en n’ayant toujours rien exécuté)…

Conclusions

J’ai tendance (moi qui reste malgré tout un fan des bonnes idées), à considérer qu’une vraie bonne idée, c’est une qui intègre ces éléments clés de timing, de (pré-)validation, d’équipe, de marché.

Une idée, ce n’est jamais qu’une graine.

Rien n’arrivera si elle n’est pas arrosée, développée (en cela on peut donner raison à l’insistance sur l’exécution).

Mais il existe des différences de nature entre une semence d’ortie, et de baobab, entre l’idée banale (voire naïve), et l’idée qui s’est construite par des années de pratique de marché.

On peut donc renvoyer dos à dos les tenants du “tout à l’idée” et ceux qui ne jurent que par l’exécution.

La réussite entrepreneuriale, (ça on le sait), est particulièrement multi-factorielle.

Une idée ça se travaille, dans nombre de dimensions (que l’on a esquissées ici), et puis ça s’exécute.

J’espère donc, cher J-F.., que ces réflexions t’auront permis d’enrichir les perspectives sur ton “idée à un million”. Je te souhaite de rassembler l’équipe, de trouver la validation de marché, et de mener l’exécution qui pourront en faire véritablement un business à un million (et même bien davantage).

R.

roald@roald.com

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