MH370 : "Il faut refuser l'absurdité de la version officielle"

La journaliste Florence de Changy a enquêté deux ans sur le plus grand mystère de l'aviation civile. Son verdict ? Gare à la parole institutionnelle !

Propos recueillis par

La journaliste Florence de Changy a décortiqué une par une les thèses relatant la disparition du MH370. Passionnant (photo d'illustration).
La journaliste Florence de Changy a décortiqué une par une les thèses relatant la disparition du MH370. Passionnant (photo d'illustration). © Yu ming

Temps de lecture : 8 min

Deux ans, jour pour jour, après la disparition du MH370, un vol de la Malaysia Airlines en provenance de Kuala Lumpur et à destination de Pékin, le mystère reste entier. Où est donc passé le Boeing 777 avec ses 239 personnes à bord ? A-t-il, comme on l'a entendu, été détourné en plein vol ? S'est-il désagrégé après un dysfonctionnement ? A-t-il été touché par un missile ? Ou, version plus fantasmée encore, a-t-il atterri sur Diego Garcia, une des bases américaines les plus secrètes au monde ? Experts, amateurs, conspirationnistes… La disparition du MH370 fait l'objet des thèses les plus folles. Une incertitude permise par la grande opacité de l'enquête et le silence – pour ne pas dire l'incompétence – des gouvernements malaisien, australien ou encore américain. Alors que les familles de victimes n'ont jamais pu faire leur deuil, Florence de Changy, correspondante du Monde à Hong Kong, en est convaincue : faire croire, en 2014, qu'un « objet volant de la taille de deux baleines bleues » peut disparaître ainsi sans laisser aucune trace est une « insulte à l'intelligence humaine ». La journaliste, auteur du livre Le vol MH370 n 'a pas disparu (éditions Les Arènes), pointe les responsabilités de chacun. Interview.

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Le Point.fr : Le Boeing 777 disparaît dans la nuit du 7 au 8 mars, à 1 h 20, alors qu 'il vient de quitter la zone du contrôle aérien malaisien. On va très vite nous affirmer que le transpondeur, le principal moyen de communication de l 'avion, a été éteint et que l 'avion a effectué un demi-tour ouest-sud-ouest. La thèse d'un détournement est dès lors sur toutes les lèvres...

Florence de Changy : C'est le gouvernement malaisien, une semaine après la disparition de l'avion, qui a affirmé qu'il avait tourné quelques secondes à droite avant d'amorcer un demi-tour vers sa gauche. Mais il n'y a pas une image radar, pas une preuve tangible mise à la disposition du public pour étayer ce parcours. À 1 h 7, tout allait bien, l'avion a émis son premier bulletin Acars (un système qui transmet automatiquement ses données à terre, NDLR). Celui de 1 h 37 n'est jamais tombé. Mais je n'ai rien trouvé qui indique que le système a été coupé intentionnellement. Le 15 mars pourtant, le Premier ministre malaisien, Najib Razak, va évoquer un « acte délibéré » par « quelqu'un de l'intérieur ». Il va également confirmer la théorie de l'Immarsat (une société spécialisée dans l'étude des communications satellites, NDLR) selon laquelle le Boeing aurait volé jusqu'à 8 h 19 en suivant soit l'arc sud, soit l'arc nord.

Le Premier ministre attend donc une semaine pour faire ces annonces alors que ses voisins parcourent la mer de Chine depuis des jours et des jours

Oui, on va complètement détourner l'attention du monde sur la mer de Chine pour porter les recherches à 5 000 kilomètres de là, en plein océan Indien. Il y a pourtant un certain nombre d'indices qui laissent penser que l'avion s'est crashé à l'endroit où l'on a perdu contact avec lui. Le 8 mars au matin, le journal China Times publie une dépêche selon laquelle le Boeing aurait réclamé un atterrissage de toute urgence à 2 h 43. C'est une base américaine de Thaïlande qui aurait capté le SOS du pilote. La dépêche a été retirée et n'a jamais été confirmée. Cela reste une information très bizarre : on n'invente pas un truc pareil ! Il y a également les témoignages de plusieurs habitants de la côte nord-est de la Malaisie, et d'un homme sur sa plateforme pétrolière, qui affirme avoir vu « un avion volant très bas et à contresens », suivi d'« une longue traînée de feu orange ». Il ne faut pas non plus oublier le ministère vietnamien de la Défense, qui avait annoncé dès le 8 mars l'heure et le lieu exacts du crash. Le Vietnam Express (un site d'informations en ligne, NDLR) va même affirmer que les autorités ont capté le signal de l'une des balises de détresse de l'avion ! Des journalistes vont photographier une immense traînée de fioul et des débris vont être retrouvés dans les heures suivantes. Mais le 9 mars en fin d'après-midi, tout s'arrête : les Américains déclarent que ces débris n'ont rien à voir avec le MH370.

Comment expliquer que les recherches en mer du Sud aient été stoppées si rapidement. C'était pourtant le scénario le plus logique, non ?

J'ai effectivement trouvé cela très étonnant. Le temps que la presse envoie ses correspondants, la couverture médiatique mondiale n'a commencé que le lundi matin. On ne parlait déjà quasiment plus de la mer de Chine du Sud. A-t-on forcé la main du Vietnam, qui avait pourtant donné de nombreuses informations précises ? Les recherches australiennes dans l'océan Indien n'ont-elles été qu'une diversion ? Toujours est-il que, depuis le début, les ministres malaisiens racontent n'importe quoi. Quant à l'Australie, elle a arpenté des dizaines de milliers de kilomètres d'océan sans savoir exactement où chercher. En avril, Tony Abbott, le Premier ministre australien, a dit publiquement être « très confiant » dans l'issue des investigations. Plusieurs experts de renom disaient pourtant au même moment qu'il était quasiment impossible que l'Australie ait détecté les « pings » émis par le MH370... Quelques jours plus tard, tout le monde a jeté l'éponge. Les pings détectés par les Australiens n'étaient peut-être que ceux d'un requin blanc…

On a du mal à se rendre compte à quel point l 'intox a été totale : les recherches dans l 'océan Indien étaient vouées à l 'échec, les discours officiels totalement contradictoires et étayés par du vent, les données rendues publiques au compte-gouttes, voire pas du tout. Deux ans après la disparition du vol, la Malaisie n 'a toujours pas publié une liste complète des passagers

Ce n'est pas très réconfortant pour la confiance que l'on place dans la parole de nos institutions publiques. La Chine, qui comptait parmi ses ressortissants les deux tiers des passagers du vol, a à peine participé aux recherches en Australie. Comme une façon de dire : « Bon, on sait où est l'avion et on ne va pas dépenser des dizaines de millions de dollars pour chercher quelque chose à un endroit où on sait qu'il ne se trouve pas… » Tout est allé trop vite. Nous, les journalistes, essayons de faire notre travail, le mieux et le plus vite possible, avant de passer à autre chose. Quand on reprend la chronologie des faits, minute par minute, on s'aperçoit que tout n'était que contradiction.

Comme l 'histoire fausse des Maldives, par exemple ?

Oui. Plusieurs habitants de la côte sud des Maldives ont affirmé dans les médias locaux avoir vu passer tôt le matin un avion à l'apparence étrange avec du rouge autour des hublots et de la porte comme s'il était en feu. L'histoire a été relayée par un journal australien et par Paris Match en France. Je me suis rendue sur place. Je me suis aperçue, sur la base des témoignages récoltés, que l'avion qui avait été vu volait dans une direction opposée à celle qu'aurait dû emprunter le MH370 s'il était passé par cette route. Les heures ne correspondaient pas non plus. Après plusieurs recherches, je me suis rendu compte qu'il existe en réalité un aéroport à quelques dizaines de kilomètres de l'île et que les avions exploités sur cette ligne ont le nom de la compagnie auxquels ils appartiennent écrit en rouge autour des hublots…

Après autant de cafouillages, et alors que la vérité s 'enlise toujours plus, un flaperon est découvert sur une plage de La Réunion le 29 juillet 2015. Il faudra attendre le 3 septembre pour que le parquet de Paris affirme « avec certitude », par voie de communiqué, que le flaperon correspond bien à celui du vol MH370

Le 5 août, les experts français indiquent qu'il y a de « très fortes présomptions » que la pièce retrouvée à La Réunion appartienne au Boeing 777 de la Malaysia Airlines. Le lendemain, on explique aux familles de victimes que, s'il y a encore un doute, c'est parce que le flaperon a perdu sa plaque d'immatriculation, la seule chose qui pouvait l'identifier de manière certaine… Des experts m'affirment pourtant que c'est quasiment impossible, que même l'érosion causée par la mer n'aurait pas pu provoquer un tel effet. Autre problème : Malaysia Airlines a affirmé avoir fait des réparations sur ce flaperon. Celles-ci n'apparaissent pas sur la pièce retrouvée sur la plage. Enfin, douze numéros de composants ont été identifiés par les experts français à l'intérieur du flaperon. Ces numéros ont été transmis au sous-traitant espagnol de Boeing, seul apte à savoir à quel avion étaient destinées les pièces qu'il a fabriquées. Lorsque le parquet de Paris communique, le 3 septembre, il affirme qu'un seul des numéros a matché sur les trois qui avaient pu être identifiés. On est donc passé, en l'espace de quelques semaines, de douze numéros lisibles à trois... Je ne dis pas que tout ça est faux, je dis que c'est quand même très léger. D'autant plus que les tests de flottabilité ont été déclarés « inexploitables ». Comment le flaperon a-t-il pu dériver ainsi sur des milliers de kilomètres jusqu'à arriver jusqu'à l'île française ? On ne le saura pas. La France a encore beaucoup de réponses à apporter.

Que faut-il conclure de toutes ces contradictions et ces non-dits ? Y a-t-il vraiment eu un détournement, un acte terroriste, une prise d 'otages ? Le MH370 transportait-il une cargaison si secrète que personne ne doit savoir la vérité ? Où s 'agit-il simplement d 'une énorme défaillance qui aurait contraint Boeing à endosser les responsabilités ?

Quels que soient les scénarios, la Malaisie n'est pas seulement victime dans ce dossier. Elle est également complice. Espérons que le Premier ministre dise un jour toute la vérité. Il y a des dizaines de gens qui connaissent des petits bouts de la véritable histoire. J'ai bon espoir que ces gens parlent un jour. Par solidarité pour la douleur des familles, il faut arrêter avec la stratégie du mensonge. Il faut refuser l'absurdité de la version officielle.

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Commentaires (11)

  • henri29810

    Ce livre est la preuve qu'une journaliste, aussi performante soit-elle, ne peut être une enquêtrice technique de haut vol dans tous les domaine que doit couvrir une enquête aussi complexe. Prenons l'habitude de laisser les vrais enquêteurs recueillir les éléments nécessaire à la résolution de cette énigme et faisons leur confiance ! Nous saurons un jour, pas si lointain...

  • Saint-Romain

    "On nous cache tout, on nous dit rien.
    Plus on apprend plus on ne sait rien
    On nous informe vraiment sur rien"
    Et sur les théories du complot, j'ajouterais que ce n'est pas parce que vous êtes parano qu'il n'y a pas quelqu'un qui vous suit dans la rue. En résumé, tout expliquer par des théories du complot est stupide. Cependant des complots existent : l'un des chefs d'accusation du procès de Nuremberg était bien le "complot".

  • jf25

    On se croirait un peu en Amérique avec les théories de complot. Que chacun n'ait pas fait son boulot correctement, c'est certain, mais il est facile de voir des coups tordus partout si on le cherche vraiment et en oubliant le peu de vérité avérées qui existent tout de même.