Internet serait-il en train de devenir la matrice d'un nouveau système féodal, où une poignée de grands seigneurs exploitent des légions de serfs ? Et non cette société de pairs tant célébrée ? On avait déjà l'impression ces derniers temps, en se baladant sur le Net, d'une foule de gueux faisant la manche en ligne, histoire de récupérer quelques sous auprès des généreux internautes afin de réaliser un film, sortir un disque ou financer une ascension au Népal. Une pratique en pleine expansion appelée crowdfunding , sorte de palliatif honteux de la «culture libre» et de l'économie du don : un pis-aller pour financer la création.
Ce dont l'internaute se doute moins, c'est qu'il est lui-même exploité, souvent à son insu. Une exploitation soft et sans douleur, parfois même consentie en échange de services gratuits ou de menues compensations financières, selon le système du crowdsourcing . Modèle économique apparu vers 2005, il s'appuie sur la disponibilité d'une armée d'internautes assis devant leur écran. Exemple le plus extrême, celui du Mechanical Turk , service d'Amazon qui agrège une myriade de microtâches fastidieuses (traductions, tags, commentaires), proposées par des entreprises désireuses de sous-traiter certaines besognes sans embaucher d'intérimaires. Les turkers , comme on appelle ces soutiers du Net qui acceptent des corvées simples mais gourmandes en temps, sont payés (sauf