Nous vivons en ce moment, dans notre belle France, plusieurs épisodes de la vie réelle qui ressemblent à s’y méprendre à ceux qu’on a l’habitude de ne voir que dans des émissions de téléréalité :

Les joueurs d’une équipe de France de football, qui devraient régler leurs comptes à huis clos, laissent connaitre plus ou moins volontairement quelques-uns de leurs dialogues d’anthologie. Un aimable gestionnaire de fortune laisse enregistrer à son insu une conversation dans laquelle il explique à une milliardaire les instructions qu’elle est supposée lui avoir donnée. Des informations non autorisées nous apprennent que nos ministres dépensent chaque mois, aux frais du contribuable, seulement pour leurs menus plaisirs, beaucoup plus que le revenu moyen des Français.

Tous ces événements ont des points communs : ils sont rendus publics sans le consentement de leurs acteurs, et mettent en scène une réalité, pour nous la faire vivre comme une fiction à laquelle nous serions amenés à avoir accès. Un monde où la réalité ressemble de plus en plus à la fiction qui était supposée la mimer.

On avait en effet inventé des fictions qui devaient nous permettre d’entrer dans une intimité plus ou moins fictive de gens plus ou moins célèbres. Le plaisir était dans le sentiment de voyeurisme, de transgression, dans une réalité reconstituée.

Et voilà que, progressivement, les nouvelles technologies permettent d’entrer vraiment, en fraude, dans la vraie vie privée des vraies gens, et de la médiatiser. Cela est vrai, pour l’instant, pour des gens plus ou moins célèbres, avec des enjeux considérables. Mais il ne faut pas s’y tromper. C’est aussi en train de se préparer pour la vie privée de tous. Personne ne sera bientôt plus à l’abri. Facebook, Google, et autres Dailymotion se préparent à nous permettre de mettre à la disposition de tous les informations que nous pouvons avoir sur d’autres.

Il est déjà possible – il sera demain courant -, de retransmettre en direct, ou en léger différé, pour protéger l’anonymat du responsable, ce qui se passe dans une salle de classe, dans un bureau, dans un atelier, dans une chambre à coucher, dans un restaurant. Sans l’accord de ceux qui seront ainsi exposés.
Plus personne ne sera plus à l’abri de la curiosité des autres, s’il laisse un inconnu, quels qu’ils soient, pénétrer dans son intimité.

La disparition de la vie privée aura des conséquences formidablement positives, en faisant disparaitre bien des hypocrisies. Mais elle aura des conséquences terriblement négatives, en rendant impossible le secret, nécessaire au succès de toute négociation, de toute vie sociale et sentimentale. Elle transformera tout en spectacle, introduisant un tiers dans toute relation bilatérale, faisant de chacun de nous des acteurs de nos propres vies, données à voir à des spectateurs aléatoires. Enfin, cela renverra à ce qui fait depuis toujours l’essentiel du spectacle : la mort, le sexe et l’argent. Nos vies y perdront en nuance, en finesse. L’art n’y sera plus que la vie même. Au lieu d’en être la sublimation.

Il est urgent de retrouver le sens de la discrétion, de refuser la tyrannie de la transparence, de rétablir le gout de l’intimité, du chuchotement et même, obscénité suprême, le plaisir du silence.