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Libération
Reportage

A La Défense, une manif en noir et blanc contre le mariage gay

Au nom du bien-être de l’enfant, ils récusent le mariage gay. Ils sont venus le dire, à l’initiative de l’association Alliance Vita, à la Défense – comme dans 75 villes de France.
par Charlie Dupiot
publié le 23 octobre 2012 à 19h18

Ce mardi, c'est un spectacle inhabituel qui attendait les salariés descendus de leurs tours à la Défense, et tous les autres passants sillonnant l'esplanade. Entre les tours et les effluves du MacDonald's tout proche, des manifestants – 4 000 selon les forces de l'ordre – se sont assis dos à la Grande Arche: à gauche, les hommes, tous en noir ; à droite les femmes en tee-shirt blanc pour la plupart. L'idée, c'est de «donner la spécificité du papa et de la maman», nous explique Michelle, 70 ans, venue pour «défendre les droits des enfants».

Cette retraitée trouve «effrayant» l'avant projet de loi sur le mariage et l'adoption pour des couples de même sexe, qui selon elle ne concerne de toute façon «qu'une minorité». Fière d'être la grand-mère de «plein de petits-enfants», elle craint que ce projet - qui sera débattu en janvier à l'Assemblée - n'entérine une «destruction de la famille et de la transmission». Elle a appris l'existence de cette manifestation sur internet, et elle est contente de venir défendre ses idées à la Défense.

A mesure qu'avance la pause déjeuner, des passants s'approchent, curieux, attirés par le refrain de «Mamma Mia» d'Abba qui passe plusieurs fois. Certains osent même s'asseoir parmi la foule, sandwich à la main. Le rassemblement est organisé par une association, «Alliance Vita», créé par Christine Boutin en 1993 même si aujourd'hui «elle n'a plus rien à voir avec nous», assure la responsable communication. Et pour cause : l'association, qui milite pour éviter les avortements, l'euthanasie et désormais le mariage gay, veut rester en dehors de tout positionnement politique ou religieux. D'ailleurs, «Alliance Vita» ne participera pas à la manifestation nationale du 18 novembre contre le projet d'union pour tous, organisée par l'institut Civitas, «qui porte un message dans lequel on ne se reconnaît pas du tout, en montrant les personnes homosexuelles du doigt».

Aujourd'hui, il s'agit, à travers ces manifestations simultanées dans 75 villes différentes, de montrer que le débat ne «se passe pas qu'entre Parisiens» et qu'il faut «le rendre aux français»: «Le débat a commencé à prendre, même si cela a un peu tardé», reconnaît Tugdual Derville, délégué général de l'association depuis 18 ans et catholique croyant, «même si cela n'a rien à voir avec le débat, qu'on ne doit pas confessionnaliser». Pour lui, le message, qu'il faut transmettre de manière paisible, est simple : «tous les enfants doivent avoir la chance d'avoir un père et une mère, si c'est possible». Centrer le discours sur la question du bien-être de l'enfant permettra, peut-être, d'être mieux entendu, lui qui avoue qu'il est difficile de porter un tel message sans être «vite taxé d'homophobe».

Pour l’association, l’enfant est l'«oublié du débat»

L'«enfant» aujourd'hui, ce sera ce jeune homme déguisé en combinaison brillante grise. Il a de longues ailes d'ange fixées sur chaque bras : une verte, sur laquelle est inscrit en majuscules le mot «Papa», l'autre rose indiquant «Maman». Il passe – comme il le fera quatre fois le temps du rassemblement - entre les deux groupes assis, divisés entre hommes et femmes, titubant, comme en déséquilibre. «Vous pouvez regarder : il ne sait pas voler, notre enfant», commente une voix au micro. Quand il menace de tomber du côté des papas, vite, les mamans lèvent les bras, et crient «maman, maman» pour l'attirer à nouveau vers elles.

Au Mans, c'est le même spectacle, avec un autre «enfant aux deux ailes», qui a été mis en scène par les manifestants d'Alliance Vita.

Puis c'est au tour de Tugdual Derville, le délégué général, de prendre la parole : «Cet enfant portant deux ailes a déjà du mal à trouver son équilibre. De quel droit imposer à l'enfant une fiction, avec les termes mensongers d'homoparentalité et d'homofiliation ?». Sur ces mots, il est hué par un petit groupe, qui ne se fera ensuite plus entendre. Le responsable continue à dérouler son discours, affirmant qu'un droit à l'enfant ne doit pas primer sur le droit des enfants, grands oubliés du débat. A la fin de son intervention, la foule se met à scander le slogan du rassemblement, imprimé sur plusieurs des affichettes rose que chacun tient à la main: «Un papa, une maman: on ne ment pas aux enfants».

Beaucoup dénoncent la loi d’une « minorité»

Dévisageant la foule, un passant s'étonne de voir «autant de vieux manifester, c'est fou le nombre de plus de 60 ans». Les têtes grisonnantes ne sont pas rares en effet, du côté des papas comme du côté des mamans. Mais, pour Gabrielle, la trentaine, «s'il n'y a pas beaucoup de jeunes, c'est parce qu'ils travaillent, en journée. Moi, je suis là pendant ma pause déjeuner, et je travaille dans la banque, dans le quartier». La jeune femme, qui a mis un tee-shirt blanc comme le demandaient les organisateurs, est venue avec son amie Camille, qui s'exclame: «j'ai eu la chance de grandir avec un père et une mère. Priver d'autres enfants de cette chance, pour moi, ça pose problème.» Elle estime que les promoteurs de ce projet de loi n'ont pas «réfléchi aux conséquences qu'il pourrait avoir sur l'enfant». Et puis pour le mariage gay, «il y a déjà le PACS, donc il n'est pas justifié».

Côté hommes, on partage la même crainte face à ce projet de loi: Krieix et Pierre-François, tous deux âgés de 24 ans, parlent de «destruction de la normalité», qui est pour eux celle de l'hétérosexualité. Krieix, qui vient de se fiancer, craint que le mariage ne perde de son sacré et dit qu'«au Brésil, ils ont déjà reconnu un mariage à trois». Il rappelle également qu'en 1998, Elisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, affirme pour défendre le PACS alors en projet qu'il ne s'agit pas d'une étape vers le mariage homosexuel (la députée a depuis changé d'avis sur le mariage gay): «14 ans après, on dirait qu'on n'a plus le même regard», sourit-il, avant d'ajouter: «les politiques se foutent complètement de notre avis sur ce sujet.» Et l'adoption par des couples d'homosexuels? «Si on est contre l'un, on est contre l'autre», répond le jeune homme. Avec ce projet de loi qui consacrerait l'union pour tous et l'adoption, on risque selon lui de «perdre nos repères».

«D’habitude, ce genre de manifestations rassemble des extrémistes; là non.»

Autour des manifestants, les réactions sont diverses. Beaucoup passent leur chemin sans s'arrêter, saisissant au vol un des tracts distribués par des militantes au tee-shirt rose. Certains s'arrêtent, intrigués par le spectacle. Un homme en costume-cravate confie à son collègue: «Je suis agréablement surpris: d'habitude, ce genre de manifestations rassemble des extrémistes; là on dirait que non.» D'autres enfin s'immiscent dans la foule, posent des questions aux militants et détaillent le tract, comme Alexandra, la trentaine, qui rejoint une amie pour déjeuner: «Je suis assez d'accord avec ça, et plutôt attachée au schéma traditionnel. Désolée, je ne suis pas très progressiste !», dit-elle en riant.

Bien qu'elle n'ait «rien contre les couples homos», elle affirme que sur le sujet de l'adoption par deux personnes de même sexe, «on ne sait pas où on va, on ne saura ses effets sur les effets que dans vingt, trente ans.» Mais il y a eu aussi, lorsque l'«enfant» déguisé est repassé parmi la foule, cette femme criant, à côté de la foule: «C'est scandaleux, ce message réactionnaire que vous portez !» A la responsable presse qui se précipite vers elle, elle déclare: «Je ne suis pas homosexuelle, mais soyons tolérants!». Avant de quitter l'esplanade, le pas rapide.

Des manifestations étaient également organisées à Lyon et à Marseille.

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