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Pré-rentrée reportée : quand les syndicats humilient les enseignants

PATRICK KOVARIK/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Anne-Sophie Letac, professeur en prépa, s'indigne de la mobilisation stérile des syndicats pour le recul de la pré-rentrée, à laquelle Benoit Hamon a cédé. Selon elle, ils se trompent de combat et donnent une image déplorable du corps enseignant.


Anne-Sophie Letac, ancienne élève de l'École Normale Supérieure, agrégée d'histoire, est professeur en classes préparatoires au Lycée Lavoisier et à Intégrale. Elle anime le blog- La passoire et les nouilles. Twitter: @ASLetac


C'est avec une légère migraine que j'ai assisté à la volte face du Ministère de l'Education Nationale sur la date de la prérentrée des enseignants, journée d'organisation qui précède la rentrée des élèves. La France retenait son souffle, tout entière suspendue aux lèvres du ministre, puisque un grand nombre de citoyens, incidemment

Selon le site du Café pédagogique , le calendrier officiel aurait franchi « un Rubicon administratif en grignotant de façon symbolique le mois d'août ».

parents d'élèves, est concerné par la date fatidique de la rentrée des écoliers et de leurs maîtres. Devant la menace de grève brandie par plusieurs syndicats, Benoît Hamon a été contraint de réviser le calendrier scolaire qui prévoyait pour trois ans une prérentrée le 29 août 2014, le 28 août 2015, et le 31 août 2016. La décision s'inscrivait dans un projet de raccourcissement des vacances d'été au profit de deux semaines pleines à la Toussaint, justifié par des spécialistes de la chronobiologie des élèves, et qui conforte par un heureux hasard la spécialisation touristique croissante de notre beau pays. Mais selon le site du Café pédagogique, le calendrier officiel aurait franchi «un Rubicon administratif en grignotant de façon symbolique le mois d'août». Et puis, commencer l'année un vendredi, c'est un peu comme un démarrage en côte qui calerait. Arguant de difficultés techniques qui eût empêché l'accueil serein des nouvelles recrues un vendredi, le ministre a donc sagement reposé les dates de la prérentrée et de la rentrée là où elles étaient, au début du mois de septembre.

Cette palinodie du 29 août est le fruit d'un jeu objectif de «win win» pour les syndicats et le gouvernement: les premiers manifestent à bon compte leur force de frappe et leur prétendu souci des intérêts de leurs mandataires, tandis que le gouvernement démontre que s'il ne réforme pas, c'est parce que les enseignants sont des fainéants aussi difficiles à bouger qu'une caravane stationnée au camping des Flots Bleus un 30 août. Mais cette querelle picrocholine, cette minuscule victoire ont des effets ravageurs sur l'image des enseignants, il suffit pour s'en convaincre de lire les réactions incrédules, consternées, voire insultantes sur les réseaux sociaux. L'épisode confirme l'image dégradée et simpliste qui s'attache aux «profs», tout en légitimant un vieux procès en fumisterie. Le dialogue entre parents et professeurs, qui s'apparente souvent à une guerre de tranchées, n'en sort pas amélioré, les fédérations de parents soulignant qu'il faudra trouver des modes de garde pour les enfants le lundi 1er septembre, comme si la prérentrée était une sorte de grève parmi d'autres. Mais qui s'intéresse à ces dommages collatéraux?

Le scandale n'est pas de « rentrer » le 29 août ou le 1er septembre, ce dont tout le monde se fiche comme d'une guigne, mais d'avoir une école otage des nécessités touristiques.

La vraie question est de savoir comment une profession et ses représentants peuvent arriver à un tel degré de déconnexion de l'extérieur, et faire montre d'une ignorance aussi complète des lois de la communication. Refuser une journée de travail au bout d'un bon mois et demi de vacances revient non seulement à encourir l'hostilité générale, mais à tomber dans un piège machiavélique tendu aux enseignants. Animés d'un sentiment obsidional, gelés dans leurs salaires et dans leurs ambitions, beaucoup se sentent dans leur droit, liés par un contrat tacite à leur institution de tutelle: nous sommes mal rémunérés, mal considérés, ne nous demandez pas de travailler plus. Travailleurs anonymes déjà opprimés par la cadence, nous refusons d'être grugés. Les 60000 postes promis par le gouvernement nous assurent de rester dans ce jeu perdant-perdant. Des professeurs mal rémunérés, un niveau catastrophique puisqu'il suffit désormais d'avoir 4/20 de moyenne pour être reçu au CAPES dans l'Académie de Créteil, et des syndicats qui garantissent la paix sociale en se félicitant de négocier des «acquis». La communication des enseignants n'est pas illisible, elle est dramatiquement contre productive. Elle est abandonnée à des syndicats dépassés, en mal de popularité, qui clament leur victoire sur twitter au lieu de lancer des chantiers innovants.

L'occasion était pourtant belle de jouer la communication en inversant le raisonnement. Lâchons du lest sur les vacances, mais insistons sur une rémunération à notre juste valeur. Dissipons le nuage d'encre du raccourcissement des vacances d'été, destiné à culpabiliser les enseignants et à les mettre au pied du mur en suscitant leur mauvaise volonté. Le scandale n'est pas de «rentrer» le 29 août ou le 1er septembre, ce dont tout le monde se fiche comme d'une guigne, mais d'avoir une école otage des nécessités touristiques, des vacances de deux semaines qui reviennent par vagues, interrompant l'apprentissage des élèves les plus lents, de conserver un premier trimestre démesuré et rallongé par une éventuelle rentrée en août, tout en clôturant l'année des élèves de seconde fin mai. Le mépris, c'est de présenter le gain d'un jour de congé comme une avancée sociale pour les enseignants par ailleurs toujours aussi délaissés.

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