Jean-Marc Ayrault. Le faux gentil de Matignon

Ses six premiers mois à Matignon n'auront pas ménagé Jean-Marc Ayrault. A-t-il été fragilisé par la «couaco- phonie» de son gouvernement? C'est mal le connaître: loin d'être fragile, c'est un coriace. Il joue à contre-emploi le rôle de gentil. En affirmant «L'aéroport de Notre-Dame- des-Landes se fera », il jette le masque.

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Il ne tient pas ses ministres, il ajoute ses bourdes aux leurs, il blasphème le dogme socialiste sur les 35 heures, il manque d'égards pour les alliés de sa majorité, et, pour couronner le tout, il serait soupçonné de pré-disgrâce présidentielle. Le voilà habillé pour l'hiver. Mais le costume ne lui va pas: Jean-Marc Ayrault n'est pas le personnage inconsistant, velléitaire et irrésolu que se plaisent à brocarder ses adversaires et certains de ses «amis» politiques. Ses 40 ans d'engagement politique sont là pour en témoigner: c'est un dur, un rude combattant, un volontariste de l'action publique, un homme de décision qui sait assumer ses choix comme il sait les imposer. Mais c'est aussi un homme d'une grande habileté. Sinon, jamais il n'aurait tenu 11 ans à arbitrer les égos des collègues députés lorsqu'il était président du groupe PS à l'Assemblée.

Rôle de composition

Car Ayrault n'est pas le double de Hollande, c'est là son moindre défaut. Certes, ils sont tous deux des socio-démocrates pragmatiques qui tiennent à l'unité du parti. Ils partagent la même pensée politique, par conviction, et la même méthode... par nécessité. Une méthode douce et lisse, voulue à son image par le Président, mais qui a dû causer bien des souffrances à un Premier ministre qui s'est toujours plus éclaté dans la décision et l'action que dans la pédagogie discursive ou le lyrisme de tribune. Alors, comme le veulent nos institutions et la loyauté qu'impose la fonction, il met ses pas dans ceux du Président et tente d'adapter son personnage de faux gentil pour jouer en finesse une partition qui n'a pas été écrite pour lui. Un rôle de composition dont il s'acquitte honorablement, en limitant ses colères contenues à quelques froncements de sourcils, hochements de menton et regards givrants.

Casting réfléchi

Sans doute François Hollande ne s'est-il pas trompé en le choisissant: il le savait suffisamment robuste pour encaisser les coups qu'il allait devoir prendre, assez maître de ses nerfs pour retenir les siens, raisonnablement discipliné au point de faire passer la stratégie présidentielle avant ses tentations punitives, et résolu à changer radicalement de registre lorsque le temps sera venu de régler les comptes. Quand? Il se pourrait bien que ça vienne vite, la dureté des temps ne pouvant qu'entraîner la dureté du ton. Il est taxé de manque d'autorité sur ses ministres lorsque leurs propos publics s'écartent du chemin fixé par le patron? Il est vrai que les aimables «recadrages» auxquels ces sorties de route ont donné lieu ont été d'une remarquable mollesse. Ce n'était pas conforme à la nature peu indulgente d'Ayrault, dont les Nantais connaissent le côté autoritaire (voire autocratique diront certains). Mais c'était à l'évidence le choix du Président, plus enclin à laisser faire le rodage qu'à faire le ménage. Il est désigné comme tête de Turc numéro 1 par les alliés écologistes? Outre le conflit sur Notre-Dame-des-Landes, EELV l'a mis en accusation pour son côté «perso» d'annoncer les leçons sociales-démocrates qu'il a tirées du rapport Gallois. Ces accusations ont toutefois été quasi-inaudibles, en comparaison du bénéfice que lui a valu cette occasion en or de s'affirmer enfin comme porteur de décisions politiques fortes.

Iconoclaste

Il est accusé d'iconoclastie pour avoir osé dire que l'on pouvait débattre des 35 heures? Sans doute, comme pour son «couac» sur l'annonce prématurée du rejet du projet de loi Duflot par le conseil constitutionnel, a-t-il parlé trop vite. Mais dans l'écorniflage de tabous, le Président lui-même a ensuite fait assez fort lors de sa première grande conférence de presse la semaine dernière: la réduction du périmètre de l'action publique, la fin de l'anathème sur l'ennemi financier, la hausse de TVA, l'alourdissement des impôts et taxes pour la grande majorité des familles, la nécessité d'alléger les charges des entreprises, la recherche sur les gaz de schiste... Autant d'entorses à la tradition de l'écolo-socialisme à la française. Peut-être - sait-on jamais - le Président y aurait-il ajouté la révision des 35 heures, si son Premier ministre n'avait préalablement lancé son ballon d'essai avec l'insuccès que l'on sait? Quoi qu'il en soit, cette conférence aura été pour François Hollande l'occasion de rendre un hommage appuyé à Jean-Marc Ayrault, histoire de tordre le cou au rumeurs de mésentente au sein du binôme exécutif et de l'installer dans la durée.

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