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Les départs se succèdent au cabinet de Christiane Taubira

La ministre de la justice est plus populaire que jamais, mais il n'est pas toujours facile de travailler avec elle. Le monde judiciaire s'impatiente.

Par  et Franck Johannès

Publié le 20 mars 2013 à 11h38, modifié le 20 mars 2013 à 16h00

Temps de Lecture 5 min.

Christiane Taubira, ministre de la justice, lors du débat sur le

Un certain désarroi traverse la Place Vendôme : la conseillère des politiques pénales, puis le directeur et le chef de cabinet de la ministre de la justice, Christiane Taubira, sont partis ; le conseiller diplomatique, la directrice des services judiciaires, le directeur des affaires civiles et du Sceau ainsi que son adjointe s'apprêtent à le faire. Le malheureux directeur adjoint de cabinet tient le ministère à bout de bras et attend la relève en comptant les heures. Simple conjonction, se rassure la ministre, encore auréolée de son beau débat à l'Assemblée sur le "mariage pour tous". Mais le malaise est plus profond et, si chacun respecte infiniment Christiane Taubira, force est de constater qu'il est difficile de travailler avec elle et que le bilan du ministère, après dix mois de labeur, est particulièrement maigre.

Valérie Sagant est partie la première, en janvier. La conseillère des politiques publiques, pénales et de la recherche-évaluation, unanimement appréciée, était la cheville ouvrière de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, le projet phare du ministère. Elle a effectivement quitté le cabinet pour des raisons personnelles, mais aussi à cause d'une vraie difficulté à travailler dans ce cabinet. Elle a demandé à rejoindre l'inspection des services judiciaires, et attend la décision du Conseil supérieur de la magistrature, comme Michel Debacq, le conseiller diplomatique, qui veut rejoindre la Cour de cassation.

Le poids lourd du cabinet était évidemment son directeur, Christian Vigouroux, nommé le 14 mars président de la section du rapport et des études au Conseil d'Etat et qui a quitté le ministère le lendemain. Fascinant personnage ; austère, courtois, autoritaire et auteur d'une biographie du chef de l'espionnage militaire de 1896, Georges Picquart, dreyfusard, proscrit, ministre (éd. Dalloz). Picquart, qui avait découvert l'innocence de Dreyfus et refusé de se taire, était une figure "souvent irritante par ses tendances hautaines, par son ironie glaçante, son exigence à l'égard des autres, écrit Vigouroux, mais aussi fascinante par son intelligence, sa volonté absolue, son courage élégant et son sens inné de la République".

POUR LA NOUVELLE MINISTRE, LE CABINET N'EST QU'UN MOYEN, ET PARFOIS SUBALTERNE, DE SA POLITIQUE

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L'autoportrait est flatteur, mais lucide, et Christian Vigouroux, qui avait déjà vu lui passer sous le nez une belle promotion au Conseil d'Etat, a hésité à venir place Vendôme. Lui qui avait rejoint dès 1981 les ministères de l'urbanisme, puis des universités, avant de diriger en 1989 le cabinet de Pierre Joxe, ministre de l'intérieur, puis en 1997 celui d'Elisabeth Guigou, ministre de la justice, n'a rien à apprendre des rouages de l'Etat. Il a renoncé à la présidence de la section des travaux publics du Conseil d'Etat pour épauler Christiane Taubira. A une condition : avoir les mains libres, pour servir "son sens inné de la République". C'était mal connaître la nouvelle ministre, pour qui le cabinet n'est qu'un moyen, et parfois subalterne, de sa politique.

Le directeur a tiqué dès le début, lorsqu'il a appris que la ministre arrivait avec cinq conseillers, sur les quinze qu'on leur accordait. Il a obtenu très vite de muter Delphine Batho, la secrétaire d'Etat à la justice, qui prétendait elle aussi exister, mais a dû supporter les conseillers de la ministre. Les relations étaient notamment tendues avec Jean-François Boutet, conseiller spécial et proche de Mme Taubira. L'homme est discret, mais a quasiment rang égal avec le directeur, qui n'était pas homme à le supporter. Surtout, Me Boutet est avocat au Conseil, et n'a pas jugé bon d'arrêter de plaider. Pour Christian Vigouroux, auteur d'un sévère traité de la "déontologie des fonctions publiques", le conflit d'intérêts était manifeste et insupportable.

D'autant que la ministre, qui va volontiers au-devant des gens, n'est pas souvent là, mais comme son directeur, entend tout contrôler. D'où cette fâcheuse impression au cabinet de mouliner à vide pendant que les parapheurs s'entassent dans le bureau de la ministre. Christian Vigouroux, lors de son pot de départ, a donné une version aimable de son départ : il était venu installer le cabinet et composer une excellente équipe, il s'en allait mission accomplie. "Si c'était à refaire, je le referais", a indiqué le directeur, qui n'a jamais douté que la souffrance fasse partie du service de l'Etat.

Lui qui avait rêvé d'être secrétaire général du gouvernement se résigne à prendre la succession d'Olivier Schrameck, devenu président du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Son départ pose plusieurs problèmes, notamment celui des relations avec l'intérieur, qu'il connaît comme sa poche, et qui sont traditionnellement exécrables. Les personnalités approchées pour le remplacer hésitent à s'installer "dans la pétaudière". Une conseillère d'Etat, Christine Maugüé, présidente de la 6e sous-section du contentieux, a rencontré plusieurs fois Mme Taubira, mais n'a pas donné sa réponse.

Il ne reste du coup plus rien du noyau dur du cabinet, tous des anciens de chez Elisabeth Guigou. Le chef de cabinet, Jean-Louis Géraud, a été nommé le 13 mars préfet de Tarn-et-Garonne ; Michel Debacq, le conseiller diplomatique, venu par amitié pour Vigouroux, ramasse ses affaires. Reste Jean-François Beynel, le directeur adjoint, qui assure l'intérim et est promis, quoiqu'il s'en défende, à la direction des services judiciaires.

"MINISTÈRE DE LA PAROLE"

C'est que les problèmes de cabinet se doublent de ceux de l'administration centrale. Christiane Taubira s'était contentée de muter d'office le procureur de Nanterre et de remplacer la directrice des affaires criminelles et des grâces. Tous les directeurs de l'administration, nommés par la droite, sont donc restés en place. Les départs de Véronique Malbec, directrice des services judiciaires, proposée pour devenir procureure générale à Rennes, ou de Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du sceau, qui devient secrétaire général de Canal+, n'ont ainsi rien à voir avec les défections du cabinet. Mais il va falloir les remplacer vite, alors que le ministère est en apnée.

Christiane Taubira ne semble pas prendre la chose au tragique. Le monde judiciaire, d'abord charmé, commence pourtant à s'impatienter de ce "ministère de la parole" : en dehors d'une circulaire de politique pénale aux effets limités et d'un beau débat sur le mariage, rien dans la justice n'a changé – qui n'est, il est vrai, pas le premier des soucis du chef de l'Etat. Il n'y a plus depuis une semaine de pilote place Vendôme. Et Christiane Taubira part jeudi pour quatre jours au Sénégal.

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