La Chaine Parlementaire (LCP), Live TNTpar LCP
MOTION DE CENSURE - La gauche pouvait-elle imaginer pire scénario? Alors que la motion de censure défendue ce mercredi 20 mars par le groupe UMP à l'Assemblée nationale s'annonçait comme un épisode convenu du jeu parlementaire, coup de théâtre: la veille, le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, est emporté par l'affaire de son compte bancaire présumé en Suisse.
Gênée aux entournures, la droite, qui s'est toujours refusée d'exploiter politiquement l'affaire Cahuzac, assure que cela ne changera en rien le sens de cette première motion de censure du quinquennat visant à faire tomber le gouvernement Ayrault. Mais en plein séisme gouvernemental, qui voit l'un des hommes clés du dispositif Ayrault rayé de la carte de l'exécutif, l'occasion est belle pour Jean-François Copé de tirer à boulets rouges sur le bilan "catastrophique" du premier ministre dont il réclamera la tête.
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Impossibilité quasi-mathématique de voter la censure
Si le timing est parfait pour le chef de file de l'UMP, l'issue de cette motion de censure ne fait toutefois pas l'ombre d'un doute. Comme c'est l'usage sous la Ve République, ce recours éminemment politique à l'article 49-2 de la Constitution n'a statistiquement aucune chance d'aboutir. Pour entraîner la chute de l'exécutif, cet acte de défiance de l'opposition ciblant "la politique économique du gouvernement" doit réunir 289 voix exprimées sur 577... alors que le seul groupe socialiste réunit plus de la moitié des effectifs du Palais Bourbon.
Le coup de grisou de la démission de Jérôme Cahuzac devrait d'ailleurs probablement inciter les députés frondeurs de la majorité à resserrer les rangs derrière leur premier ministre.
Cette impossibilité quasi-mathématique à faire tomber les gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, n'a rien de très nouveau. En 55 ans, une seule motion de censure n'a abouti sur 55 déposées, et ce au prix de circonstances politiques exceptionnelles. C'était en 1962 et la motion ne visait pas la politique du premier ministre Georges Pompidou, mais la personne du président de la République Charles de Gaulle, qui voulait alors imposer au forceps l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel direct.
Depuis, aucune motion n'a été adoptée. Ce qui n'a pas empêché les minorités successives à l'Assemblée de profiter de cet outil parlementaire pour exprimer officiellement (et médiatiquement) leur opposition aux décisions de la majorité de l'époque. Depuis 1988, 24 motions ont été déposées, essentiellement pour critiquer la politique économique de l'exécutif (50%) ou pour dénoncer des scandales (8% avec l'affaire Habache en 1992, affaire Clearstream en 2006). Un seul premier ministre, l'éphémère Maurice Couve de Murville (1968-1969), y a échappé.
Alors, si ce n'est pour obtenir la tête de Jean-Marc Ayrault, à quoi sert cette motion de censure? Et, au-delà des remous de l'affaire Cahuzac, pourquoi intervient-elle maintenant?
Ces trente dernières années, l'opposition a déposé en moyenne une première motion de censure sept mois après la nomination d'un nouveau premier ministre. Pour les chefs de gouvernement nommés dans la foulée d'une élection nationale (présidentielle ou législatives), ce délai se rallonge à 10 mois. C'est précisément le timing qu'a choisi Jean-François Copé pour marquer ce premier acte de défiance officiel à l'égard de la politique de l'exécutif, qui intervient 10 mois presque jour pour jour après la nomination de Jean-Marc Ayrault à Matignon.
Compte tenu du contexte économique exceptionnellement tendu, cette première motion de censure intervient d'ailleurs presque tardivement par rapport aux précédentes. En 1995, en plein automne social sur la réforme des retraites, l'opposition socialiste n'avait attendu que sept mois après l'élection de Jacques Chirac pour dénoncer la politique d'Alain Juppé.
Le retard de cette motion 2013, que Jean-François Copé entend désormais combler, s'explique par les difficultés internes rencontrées par l'opposition UMP, paralysée pendant presque deux mois par le psychodrame de l'élection de son président fin 2012, mais également par l'intervention militaire française au Mali début janvier, peu propice au dépôt d'une motion de censure politique.
Tous les ingrédients d'une motion de censure sont pourtant bel et bien réunis, et ce depuis plusieurs semaines. Et ce même si l'on met en sourdine le coup de tonnerre du départ de Jérôme Cahuzac. Depuis 1958, le recours à l'article 49-2 l'a toujours été afin d'affaiblir ou de constater l'affaiblissement de l'exécutif, notamment sur le front économique. Celle qui vise Jean-Marc Ayrault ne fait pas exception. Inflation galopante du chômage, crise de la dette, politique d'austérité contestée... Dix mois après la présidentielle, le gouvernement est au plus mal et le couple exécutif bat des records d'impopularité.
L'enchaînement des couacs politiques, l'opération séduction ratée de François Hollande à Dijon la semaine dernière et la défaite cinglante du PS ce dimanche lors de la législative partielle dans l'Oise sur fond d'aggravation de la crise des déficits offrent un contexte idéal à une riposte ne serait-ce que symbolique de la part de l'opposition pour surfer sur le mécontentement.
Opportunisme politique? Sous le précédent quinquennat, le groupe socialiste, mené par un certain Jean-Marc Ayrault, ne s'est jamais privé d'utiliser la motion de censure pour accabler un gouvernement en proie aux difficultés économiques, qu'il s'agisse de la motion du 27 janvier 2009 déposée contre "l'inaction économique" ou celle du 8 juillet 2009 contre "la politique économique et sociale" du gouvernement Fillon.
Message adressé à la majorité, la motion de censure est également un acte d'autorité de la part de celui qui la déclenche. Président contesté du premier parti d'opposition, Jean-François Copé veut se poser en premier opposant au gouvernement et s'affirmer ainsi comme le chef de file d'une droite revancharde face à son adversaire François Fillon.
"C'est un acte très important car c'est la première fois depuis l'élection de François Hollande que l'UMP formalise le contenu de son opposition", a confié lundi le député-maire de Meaux à l'AFP. Quatre mois après son élection controversée, cette motion de censure tombe à pic pour s'affirmer au vu et au su de tous les Français comme le principal opposant au gouvernement, alors que François Fillon s'est lancé tout récemment dans un marathon électoral en visant la primaire UMP de 2016.
L'exercice n'est pas aisé pour Jean-François Copé, critiqué notamment par certains élus UMP qui n'ont pas été associés (ou trop tardivement) au dépôt de la motion de censure. Pour autant, assure-t-on à droite, tout le monde votera pour la chute du gouvernement Ayrault, y compris parmi les troupes de Jean-Louis Borloo. Fillonistes, copéistes et UDI qui votent comme un seul homme derrière le président de l'UMP: voilà précisément le but recherché par Jean-François Copé.
Cette motion de censure intervient enfin dans un contexte politique particulier à gauche. Désarçonné par la stratégie "sociale-libérale" du gouvernement, l'aile gauche du PS, les écologistes et surtout les communistes auraient pu se laisser tenter par un vote d'humeur. D'autant que le groupe socialiste et les alliés du Parti radical sont en mesure de faire échouer la motion à eux seuls.
Finalement, les groupes EELV et Front de Gauche ne franchiront pas le Rubicon. Le président des députés FG, André Chassaigne, a affirmé mardi que son groupe ne voterait pas la motion. "Non seulement parce qu'elle est portée par la droite mais aussi parce qu'elle développe des propositions à l'opposé des orientations qu'on veut voir prendre par le gouvernement", a-t-il dit lors d'une conférence de presse. Tout en rappelant que son groupe sera "très critique sur la politique gouvernementale" qui "va dans le mur".
"Nous exprimerons notre soutien au gouvernement et notre appartenance à la majorité et en même temps nous inviterons le gouvernement à ce que les engagements soient tenus", a par ailleurs menacé le président du groupe écolo, François de Rugy.
Comme toujours, cette motion de défiance résonnera donc avant tout comme un avertissement. Comme si la démission de Jérôme Cahuzac n'avait pas suffi.