L’un fut pendant trois décennies le guitariste du groupe de rock Noir Désir. L’autre est un joueur d’oud syrien. Avant la guerre, il enseigna au Conservatoire de Damas et à l’Institut de musique de Homs. Ces deux-là n’étaient pas destinés à jouer ensemble. Pourtant, Serge Teyssot-Gay et Khaled Al Jaramani font musique commune depuis 2002 sous le nom d’Interzone.

Ils font connaissance lors d’une tournée de Noir Désir au Moyen-Orient, au Centre culturel français de Damas où l’oudiste est invité à jouer. La connivence, favorisée par des amis communs, est immédiate. Par leurs parcours, Serge et Khaled ont des accointances : quand le premier partage régulièrement la scène avec des poètes ou des musiciens d’autres univers que le sien, contemporains ou de jazz, le second alterne le jeu en trio ou avec l’orchestre symphonique de Damas. Leur dialogue, d’abord musical, sans échange verbal faute de langue commune, sera suivi de deux premiers albums nés de résidences à Royaumont, sur lesquels chacun propose à l’autre ses compositions.

« Notre musique est le fruit de notre vécu »

Ce « troisième jour » intervient après une pause de quatre ans. Cette fois, les duettistes ont composé en phase. « Nous avons recherché des couleurs plus que des mélodies structurées, pour ne plus savoir au final qui a composé quoi », explique Khaled Al Jaramani. « Notre musique est le fruit de notre vécu, de l’exil en France de Khaled, déstabilisé », confirme Serge Teyssot-Gay.

Le résultat, Waiting for Spring, est impressionnant. « Comme si l’on cherchait à voir le peuple syrien à travers un brouillard », commente le guitariste. Le premier thème, Sur la route de Homs, est inspiré à l’oudiste alors que, prisonnier en Syrie, il est transporté en bus, enchaîné. Lors de ce temps où la vie est en suspension, lui vient pour conjurer l’angoisse le besoin de réfléchir à « une échelle musicale sans texte ».

Musique tendue, mélodieuse, contemplative

12 644, le morceau suivant, fait référence aux kilomètres qui séparent Damas et Mexico, les villes où ils se trouvent au moment où chacun compose en pensant à l’autre. Le thème fusionne ces inspirations sœurs, et abolit la distance en se terminant à l’unisson. Suivent l’entêtant In Between et son rythme millénaire, puis Brume du matin, prière des Nabatéens, habitants du désert, adressée à la fraîcheur apaisante.

Enfin la douceur des vers sur la mort d’un poète soufi du XIIe siècle. La musique se révèle tour à tour tendue, mélodieuse, contemplative, enivrante. Les rythmes impairs s’entrelacent, la mélancolie de l’oud et les tempêtes de la guitare s’influencent, entraînent l’oreille sur une passerelle entre jazz, musique orientale et rock progressif. Une bande-son du monde. Une méditation au cours de laquelle se ressentent la joie de vivre et la désolation, la peur et l’élan des retrouvailles…