
Attentifs, sérieux et drôlement motivés : les élèves du "cours d'informatique débutants" de l'association Fraternité numérique ont entre... 71 ans et 83 ans. Ils veulent "correspondre avec leurs petits-enfants" et surfer sur Internet "comme tout le monde". "Ma famille me reproche de ne pas avoir d'adresse e-mail et de ne pas pouvoir recevoir de photos", explique Marcel, 75 ans. Monique, elle, veut maîtriser le traitement de texte, pour peaufiner ses lettres de protestation au syndic. Et "savoir (se) servir d'Internet parce que c'est désormais indispensable pour s'inscrire à la moindre activité", ajoute Monique.
Toutes ces personnes âgées s'initient à l'informatique dans le cadre du programme Seniorcité de la RATP, destiné aux Franciliens de plus de 60 ans. Elles paient 280 euros pour douze cours de trois heures, un tarif relativement bas du fait que les formations sont assurées par des bénévoles. "Nous avons créé ce programme parce qu'il correspondait à une demande", assure Laure Fourniol, une des responsables.
Antoinette veut régler ses factures et ses impôts via le Web. Pierre, mordu de généalogie, souhaite l'utiliser pour ses recherches. Bien qu'ils affirment ne "rien y connaître", la plupart ont déjà découvert, tout seuls, et souvent à tâtons, les charmes des moteurs de recherche ou des blogs. "Je regarde les cours de la Bourse, parce que j'ai quelques actions, et je vais chercher tout ce qui m'intéresse, comme, l'autre jour, la musique d'un film dans lequel jouait Lee Marvin", confie André, 75 ans. Il a du mal à se servir de la souris, mais chez lui il utilise le pavé numérique de son ordinateur portable.
Gilles, qui fait partie de la Société des amis du Louvre, en montre le site à sa voisine épatée, Régine, 80 ans. Christiane, 82 printemps, joue au bridge "contre l'ordinateur, trois heures par jour, lorsqu'(elle) ne (se) refrène pas". Christiane utilise des sites spécialisés ou des logiciels dédiés : "J'espère qu'après le cours je saurai les installer moi-même et qu'ils seront compatibles avec mon système d'exploitation Windows Vista", déclare cette ancienne professeure de biologie, à l'esprit toujours vif. "Les jeunes seniors qui participaient à la dernière session voulaient tous aller sur des sites de rencontres", assure-t-elle.
"Après quelques heures de formation, ils en redemandent, constate Brice Alzon, le président de l'association. Ils reviennent prendre des cours à la carte, de retouche de photo, par exemple." Les seniors français accusent un grand retard dans l'usage d'Internet, observe le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc). Si 74 % de la population dispose d'un ordinateur à domicile, seuls 21 % des plus de 70 ans et 62 % des 60 à 69 ans sont équipés, selon le dernier baromètre de novembre 2009 sur la diffusion des nouvelles technologies. Seuls 48 % des plus de 70 ans disent se connecter tous les jours, contre 59 % des seniors de moins de 70 ans et 71 % de la population. Principale raison avancée : "C'est trop compliqué."
"Pour que les seniors se mettent à l'informatique, il faut leur assurer une formation à domicile", avance Brice Alzon. En effet, installer du matériel informatique n'est pas à la portée tout le monde. Même lorsqu'il s'agit d'un ordinateur de type "e-sidor". Conçu par un jeune informaticien, Emmanuel Freund, pour sa grand-mère de 92 ans, ce modèle possède un écran tactile permettant de choisir son programme sans utilisation de la souris, le grand ennemi des seniors.
"Un mois et demi après le Salon des seniors, nous avons appelé les personnes qui nous en avaient acheté : très peu avaient ouvert la boîte !", témoigne Christophe Lorieux, le directeur général adjoint de la société Isidor, située à Paris, à l'origine de l'e-sidor.
"La France est l'un des pays de l'Union européenne où les seniors ont le plus de mal à utiliser Internet", constate Bernard Benhamou, directeur de la Délégation aux usages de l'Internet (DUI). "C'est sans doute dû à notre absence de culture du clavier. Pendant très longtemps, dans les entreprises, le clavier était confié aux secrétaires, alors qu'aux Etats-Unis les patrons des grandes sociétés répondent eux-mêmes à leurs mails", avance M. Benhamou.
Le directeur de la DUI rappelle que le "plan Borloo" de 2005 sur les services à la personne permet de déduire de sa feuille d'impôt la moitié de la facture d'informatique à domicile. "C'est sans intérêt, car la plupart des personnes âgées ne paient pas d'impôts", juge Christiane Balagué, coprésidente du think tank Renaissance numérique, composé des grands patrons de l'Internet français et d'universitaires.
"Rien n'a été fait pour inciter les seniors à se mettre à l'informatique, regrette Mme Balagué. Nous demandons depuis longtemps, hélas sans succès, qu'il y ait des émissions de télévision l'après-midi communiquant sur les bénéfices de l'Internet - rupture de l'isolement, communication avec la famille... Les seniors entendent seulement parler de virus et de pédophilie !"
Tél. : 0899-700-430. Sur le Web : www.seniorcite.com.
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