Les sénateurs, contre toute attente, ont passé outre l'avis du gouvernement. La Haute Assemblée examinait, mardi 23 mars, une proposition de loi qui renforce sensiblement les pouvoirs de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Le secrétaire d'Etat à la justice, Jean-Marie Bockel, avec une exquise courtoisie, s'est employé à vider le texte de sa substance. Mais les sénateurs sont têtus, et avec force politesse, ont voté leur texte contre l'avis du gouvernement avec le sentiment délicieux de s'être offert une petite nuit du 4 août.
C'est que la CNIL, bête noire du gouvernement, a ses entrées au sénat : Alex Türk, président depuis 2004 de cette autorité administrative indépendante, est aussi sénateur du Nord. L'affaire est née d'un rapport déposé en mai 2009 par Yves Détraigne (Union centriste) et Anne-Marie Escoffier (RDSE) sur le respect de la vie privée à l'heure des mémoires numériques. Il se concluait par quinze propositions, les unes banales, comme une meilleure information des jeunes sur la protection de la vie privée, d'autres assez en pointe sur la défense des libertés individuelles pour inquiéter le gouvernement, en réservant notamment au seul Parlement le droit de créer des fichiers de police.
Les deux sénateurs en ont fait une proposition de loi, expurgée par Christian Cointat, le rapporteur UMP de la commission des lois - au point que la gauche s'est abstenue -, mais encore inacceptable pour le gouvernement. "Nous avons un certain nombre de points d'accord, ils sont importants, a souligné M. Bockel, d'autres font débat." Le point d'accord, c'est de parler du numérique à l'école, les points de désaccord, le reste.
Mais le rapporteur a repoussé un à un des amendements du gouvernement et une petite vingtaine de sénateurs a entièrement voté la proposition de la commission. Désormais, "tout numéro identifiant le titulaire d'un accès à Internet" entre dans le champ de la CNIL, la désignation d'un correspondant informatique et libertés est obligatoire dans les structures où plus de cinquante personnes ont accès à des fichiers, c'est-à-dire les très grandes entreprises, mais aussi les collectivités locales et les administrations.
"C'est non, non, non"
Les avis de la CNIL seront systématiquement publiés après chaque création de fichier, la durée de conservation des données et "les modalités de traçabilité des consultations" devront être mentionnées, pour éviter une nouvelle affaire Soumaré. Le procureur de la République aura un mois pour donner suite aux demandes d'effacement dans les fichiers, la CNIL pourra saisir un juge pour visiter sans prévenir un fichier suspect, les entraves à son contrôle seront plus sévèrement punies. La Commission pourra même être entendue devant les juridictions.
Le ministre a laissé passer l'orage, l'Assemblée nationale, si tant est que le texte arrive jusqu'à elle, saura y mettre bon ordre. Mais il en a pris pour son grade. "Malgré les efforts du ministre, c'est non, non, non, a grondé Jean-Jacques Hyest, le président UMP de la commission des lois. Comme si le législateur était un enfant. Vous auriez proposé quelques modifications, on discutait, mais vous voulez supprimer tous les articles. C'est quand même un petit peu dommage. On n'est pas encore dans un hyper-parlement, mais on a commencé aujourd'hui."
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