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Actualité de la recherche

Questions à Agnès Batt-Moillo. L'autopsie psychologique pour mieux prévenir le suicide

Propos recueillis par Hélène Vaillé

Sciences Humaines N° 162 - Juillet 2005

Vous avez participé à la réalisation d'une expertise collective sur l'autopsie psychologique appliquée au suicide. Cette méthode a été mise en oeuvre dans une quinzaine de pays à travers le monde, hormis la France... Quels en sont le principe et les origines ?

L'autopsie psychologique est la réorientation d'une méthode initialement utilisée à des fins médico-légales dans les cas de morts suspectes. Dans les années 60, des psychologues et des psychiatres californiens ont pensé qu'ils pourraient tirer profit de cette méthode pour le suicide, en y ajoutant des questions relatives à l'environnement et à la santé mentale des personnes. Cette approche a été depuis mise en oeuvre dans plusieurs pays anglo-saxons et nordiques mais reste inexistante dans les pays latins, notamment la France. Elle consiste à recueillir des informations sur un grand nombre de paramètres (circonstances de la mort, préméditation, paysage familial et social, parcours et événements de vie) et auprès d'un maximum de personnes dans l'entourage proche (pas seulement la famille) de la personne décédée. Le but est d'identifier les causes du suicide et de s'approcher d'un type d'explication sur ce qui l'a motivé.

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Votre analyse des données identifie plusieurs facteurs de risque du suicide, pas seulement psychologiques. Quels sont-ils ?

Les troubles mentaux apparaissent comme le principal facteur de risque du suicide. Ils concernent en effet 81 à 100 % des cas, selon les études. Parmi ces troubles mentaux, les troubles de l'humeur (dépression majeure) sont fortement prédominants, on les retrouve chez 30 à 90 % des personnes suicidées, avec là encore d'importantes variations selon les études. La schizophrénie, impliquée dans 2 à 12 % des cas, est un facteur moins fréquent que ce que l'on attendait. L'importance de la dépression parmi les facteurs de risques doit cependant être relativisée par le fait que la majorité des enquêtes sont menées par des psychiatres ou des psychologues. Lorsqu'il s'agit de sociologues, on s'aperçoit en effet que les facteurs de risques sociaux (séparation, chômage) sont davantage pris en compte. La plupart des études sont effectuées dans un champ disciplinaire donné et ont tendance à occulter l'effet conjoint de ces deux types de facteurs. On sait par exemple que le suicide en milieu pénitentiaire est presque 10 fois plus fréquent qu'en général. L'arrivée en détention, la période de jugement, l'annonce d'une mauvaise nouvelle sont autant de situations à risque qui nécessiteraient d'être approfondies par la méthode d'autopsie psychologique.

Cette compilation d'analyses prospectives vous a-t-elle appris des choses que vous ignoriez ?

Notre analyse des quelque 350 publications scientifiques et rapports d'autopsies psychologiques confirme et précise les conclusions d'enquêtes épidémiologiques existantes, plus qu'elle ne nous apprend quelque chose de nouveau. Elle met toutefois en relief l'existence de nettes disparités selon les âges : alors que le suicide chez les jeunes est associé aux comportements antisociaux et impulsifs avec consommation de substances psychoactives, le suicide chez les personnes âgées est plus souvent corrélé à une personnalité de type psychorigide, manifestant un faible intérêt pour les expériences nouvelles.

Une vulnérabilité génétique aux comportements suicidaires a également été démontrée, comme le suggéraient déjà les données épidémiologiques. Le poids respectif des différents gènes analysés demeure quoi qu'il en soit relativement faible dans le déterminisme des conduites suicidaires. Ces facteurs de vulnérabilité génétiques sont indépendants des troubles mentaux qui prédisposent au suicide. Les résultats tendent donc à confirmer la multiplicité des facteurs de risque du comportement suicidaire, avec une interaction probable entre facteurs génétiques de faible effet et facteurs liés à l'environnement.

Dans quelle mesure jugeriez-vous utile de voir cette méthode appliquée en France ?

Les pays latins et la France en particulier ont plus d'une dizaine d'années de retard par rapport aux pays anglo-saxons sur les politiques de prévention en général. L'introduction de ces méthodes en France me paraît intéressante à la condition d'un encadrement très strict, qui pourrait être assuré par des comités éthiques et la présence d'intervenants bien formés au contact avec les familles. La rigueur exige aussi que l'on compare les données recueillies avec celles issues d'enquêtes sur des cas témoins : des personnes dont le profil (social, psychologique) est similaire à celui de la personne suicidée. Cette contrainte est coûteuse et alourdit considérablement la procédure, sachant que pour 110 témoins contactés, seuls 40 acceptent de faire l'objet d'une telle enquête... La lourdeur de cette procédure impose que l'on s'intéresse en priorité à certains groupes de populations souvent délaissés (le monde du travail, la communauté homosexuelle, les minorités, les détenus...). L'influence du contexte professionnel mériterait tout particulièrement d'être davantage explorée.

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