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Des peines de principe pour les faucheurs volontaires

Le propriétaire d'une parcelle de maïs OGM fauchée en 2006 regrette "des peines bien aimables".  La défense se félicite, au contraire, que la société se soit emparée du débat sur les OGM grâce notamment aux faucheurs.

Par Florence Moreau

Publié le 16 novembre 2010 à 10h54, modifié le 16 novembre 2010 à 13h43

Temps de Lecture 5 min.

José Bové lors d'une opération de fauchage de maïs OGM à Civaux, en août 2008.

Prévenus et victime sont au moins d'accord sur une chose : le procès de 86 faucheurs volontaires qui s'est tenu les 11 et 12 octobre devant le tribunal correctionnel de Marmande (Lot-et-Garonne) a eu le mérite de relancer le débat en dormance sur les OGM. José Bové, le plus médiatique des prévenus, et trois autres personnes ont été condamnés à 120 jours-amende à 50 euros, mardi 16 novembre.

Le 2 septembre 2006, deux cent cinquante à trois cents militants anti-OGM, venus de toute la France et emmenés par José Bové, avaient arraché 9 hectares d'une parcelle de maïs transgénique, situé à Grézet-Cavagnan. "J'étais au Canada quand c'est arrivé, se souvient Claude Ménara, le propriétaire. Mais je m'y attendais, ça se rapprochait. D'autant que j'ai toujours joué la transparence."

D'autres actions du même type dans le Sud-Ouest avaient précédé l'expédition punitive en Lot-et-Garonne. Et un mois auparavant, des partisans de Greenpeace avaient marqué son champ d'une grande croix entourée d'un cercle qui avait été photographiée par Yann Arthus-Bertrand, le désignant ainsi à la vindicte populaire.

Servant de énième tribune, la petite juridiction lot-et-garonnaise qui doit d'ailleurs fermer ses portes pour cause de réforme de la carte judiciaire, a rendu, ce mardi matin, un délibéré très attendu. Concrètement, José et trois autres faucheurs doivent donc payer une amende de 6 000 euros dans un délai de 120 jours, faute de quoi ils devront effectuer 120 jours de prison. Les autres se voient infliger une peine de deux mois de prison avec sursis.

Les prévenus étaient poursuivis pour destruction de biens en réunion, les faits ont été requalifiés en destruction de parcelle OGM autorisée, conformément à une loi de 2008 spécifique aux fauchages qui prévoit une peine maximale de trois ans de prison et 150 000 euros d'amende.

"UNE DÉCISION BIEN AIMABLE"

Ces différences de traitements s'expliquent par les casiers judiciaires déjà noircis de certains. Les sanctions sont en tout point conformes aux réquisitions du parquet qui avait demandé la requalification des faits en destruction de parcelle autorisée.

"Une décision bien aimable", commente Claude Ménara. "Dans ce genre de dossier, les réquisitions sont toujours faibles par rapport à d'autres actes de délinquance", regrette Me Laurent Verdier, du cabinet parisien Le Prat-Verdier, qui défend les exploitants victimes de fauchages d'OGM commerciaux.

"C'est une intrusion extrêmement violente et douloureusement vécue pour un acte soi-disant symbolique. Les agriculteurs ont un rapport à la terre particulier. C'est plus qu'un gagne-pain. Devant les tribunaux, ils ne viennent pas chercher vengeance ni la peine maximale mais souhaiteraient l'application de la loi pour qu'un droit au fauchage ne soit pas toléré. Car il y a d'autres moyens pour se faire entendre que d'enfreindre la loi. Claude Ménara a semé un maïs autorisé, en respectant la loi", rappelle l'avocat qui déplore "des sanctions a minima". "La justice, qui est souvent très timorée, a trouvé là une échappatoire à la récidive et prononce des sanctions, trop modestes, qui ne sont pas dissuasives."

"Mais comment pourrait-il en être autrement", rétorque Me Marie-Christine Etelin, une des avocates de la défense. "Alors que l'opinion publique donne raison aux faucheurs volontaires qui bénéficient d'un capital sympathie indéniable, la société toute entière s'est emparée du débat et grâce à eux la France a encore une agriculture saine", se félicite-t-elle.

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En partie remboursé de son préjudice matériel par un chèque remis par la défense quelques minutes avant le début du procès, Claude Ménara tenait à une sanction, même de principe.

Il avait le soutien de l'Association générale des producteurs de maïs (conventionnels et transgéniques) qui "condamne les actes délictueux effectués au mépris du droit, des personnes et des biens et attend de ce procès que soient jugés les agresseurs et non l'agressé".

"Quand je suis rentré du Canada, je suis allé voir directement dans les champs. J'étais dégoûté, scandalisé, abattu, conte Claude Ménara. Faire autant de dégâts pour un coup médiatique ! De quel droit on entre chez vous détruire des mois de travail ? Comme si on arrivait dans votre jardin pour tout saccager ! " Parce qu'il "ne veut pas vivre comme Jacquou le Croquant , mais produire plus, mieux, plus propre en respectant l'environnement", Claude Ménara a opté pour la culture de maïs génétiquement modifié il y a quelques années. Il ne se dit pas "farouchement pour les OGM", considérés comme un outil de travail, mais refuse "qu'on soit connement contre".

LE CONTEXTE A CHANGÉ

Devenu depuis le chantre passionné de la culture transgénique, il vante partout et dès qu'il le peut "son intérêt agronomique, économique, sanitaire et environnemental". "Ce maïs résiste aux insectes, donc pas besoin d'être traité à l'insecticide, ce qui permet notamment de réduire le bilan carbone."

Mais le contexte a changé. Les cultures hier détruites sont aujourd'hui interdites. Depuis janvier 2008, la France a en effet activé la clause de sauvegarde et a imposé une suspension de la culture du maïs Mon 810, céréale développée par le géant américain de l'agrochimie Monsanto. "C'est bien grâce à notre combat. Nous sommes jugés pour avoir eu raison avant l'heure", avait fait valoir José Bové durant l'audience, justifiant a posteriori ces fauchages.

C'est pourquoi Me Marie-Christine Etelin avait plaidé la relaxe à l'audience. Depuis plus de douze ans qu'elle défend des faucheurs volontaires, elle suit de près le combat de ces hommes et de ces femmes, simples citoyens, n'hésitant pas à passer pour des voyous ou à comparaître pour leur cause.

"C'est à l'origine une révolte des paysans contre la féodalité. Le paysan s'est soulevé parce qu'il ne pouvait plus faire ce qu'il voulait des semences." Face à l'urgence à agir, ses clients n'ont pas trouvé d'autre solution, d'autre recours que le fauchage volontaire alors que les canaux classiques et légaux restaient sourds à leurs arguments et signaux d'alarme.

"A l'époque, la Confédération paysanne est allée jusqu'à Luxembourg. Mais toutes les actions politiques, judiciaires, économiques sont restés sans effet", dit-elle. "C'était pour eux une façon d'alerter l'opinion par une action de résistance, pour faire évoluer la loi et protéger l'environnement. Cela peut paraître violent, mais c'est pour répondre à une autre violence". Le Conseil a d'ailleurs plaidé l'état de nécessité pour légitimer l'action des faucheurs.

"Il y avait un danger sanitaire, les parcelles de Claude Ménara contaminant les champs voisins", ajoute-t-elle. "Car les OGM se disséminent. Y compris sur une longue distance. Et lorsqu'un champ conventionnel est contaminé, c'est irréversible. Or 2008 a consacré, même si on attend toujours le décret d'application, le droit du plus faible à exister."

"Ce moratoire était un acte politique à la sortie du Grenelle de l'environnement", estime Claude Ménara, qui attend une nouvelle autorisation pour la fin de l'année. "Et à cause d'une poignée de fêlés, d'anti-tout de contre-tout qui entretiennent le virus de la peur, il n'y a plus d'expérimentation en France", peste-t-il.

"Heureusement", réplique Me Marie-Christine Etelin. Le Conseil estime cependant que le combat des faucheurs volontaires n'est pas pour autant terminé. "On n'imagine pas à quel point la multinationale Monsanto [Monsanto, incriminée pour son maïs OGM Mon810 est plus connue pour son insecticide Roundup et pour l'agent orange utilisé pendant la guerre du Viet-Nam] est puissante. Mais que peut-on attendre d'une culture d'entreprise fondée sur l'élimination ?"

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