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Google : "Notre ambition est d'organiser toute l'information du monde, pas juste une partie"

Cofondateur de Google, président en charge des produits, Larry Page répond aux questions du "Monde" sur la stratégie du géant américain de l'Internet.

Par Propos recueillis par Alain Beuve-Mery, Cécile Ducourtieux, Nathaniel Herzberg, Damien Leloup et Sylvie Kauffmann

Publié le 21 mai 2010 à 13h58, modifié le 21 mai 2010 à 16h34

Temps de Lecture 9 min.

Larry Page, cofondateur de Google, en février 2010.

Cofondateur de Google, président en charge des produits, Larry Page répond aux questions du Monde sur la stratégie du géant américain de l'Internet, ses relations difficiles avec les éditeurs et la protection des données personnelles.

Google a lancé, jeudi 20 mai, Google TV, un système pour connecter son téléviseur au Web, avec Intel, Sony et Logitech. Dans quel but ?

Les gens n'accèdent pas encore au Web depuis leur téléviseur. Internet n'a pas été conçu pour ça, mais ce serait bien que YouTube [propriété du groupe] soit accessible sur cet écran, que l'on puisse y consulter ses courriels. Les gens ont un grand écran, qu'ils ont acheté cher, qui prend de la place, ils aimeraient qu'il sache faire le plus de choses possible !

A la fin des années 1990, Google n'était qu'un moteur de recherche. L'entreprise propose désormais une multitude d'autres services. Vous commercialisez même un téléphone. Pourquoi se diversifier autant ?

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C'est tout simple : nous voulons gagner encore plus d'argent ! Avec notre moteur de recherche, nous avons réussi à créer l'équivalent d'une brosse à dent, un outil qui a pris une place importante dans nos vies. Même chose avec GMail [la messagerie de Google], pour le courriel. Tous les produits que nous lançons devraient être comme ça. Voilà notre raisonnement : de quoi les gens ont vraiment besoin, qu'est-ce qui a de la valeur pour eux ? Il y a un autre aspect : quand les entreprises grossissent, souvent elles ne cherchent pas à changer de métier, et emploient des milliers de salariés à faire la même chose. Ce n'est pas forcément très fructueux.

La plate-forme de vidéos YouTube est très populaire. Mais vous n'avez pas encore trouvé le modèle économique...

Les journalistes sont un peu durs : YouTube vient tout juste de fêter ses cinq ans. Cinq ans après sa création, Google avait un chiffre d'affaires comparable. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Nous voulons attirer sur la plate-forme des contenus originaux, de qualité, si possible professionnels, pour lesquels les auteurs puissent être rémunérés [par un partage des revenus publicitaires] et pour qui YouTube représente la première source de revenus. Nous n'y sommes pas encore, mais je ne suis pas inquiet.

YouTube sera-t-il rentable cette année ?

Nous ne communiquons pas ces informations. Mais cela ne me surprendrait pas.

Pourquoi le groupe vient-il de renoncer à la vente en direct de son téléphone, le Nexus One ?
L'équipe d'Android [le système d'exploitation pour téléphones mobiles de Google], qui a travaillé sur le Nexus One, a sous-estimé la quantité de travail que représentait la vente en direct. Elle ne disposait pas des systèmes de facturation des opérateurs de télécommunication ni de leurs offres promotionnelles. Néanmoins, le système d'exploitation Android est un succès : en avril, aux Etats-Unis, il s'est vendu plus de téléphones avec ce système que d'iPhone.

Google Docs [logiciel de bureautique accessible gratuitement depuis un navigateur web] devait faire beaucoup de dommages à un des produits phares de Microsoft, Office, mais il n'a pas non plus eu tant de succès. Pourquoi ?

Je suis plutôt satisfait de ce produit. Notre but n'était pas de tuer Office de Microsoft, mais de proposer 80 % des besoins basiques des utilisateurs, avec un produit plus rapide, plus simple. C'est exactement le contraire de la stratégie de Microsoft, qui passe son temps à rajouter des fonctionnalités à Office, mais que très peu de personnes utilisent vraiment. Nous avons beaucoup de succès dans les entreprises, et presque 100 % des salariés de Google utilisent Google Docs en interne. Certes il y a encore une cinquantaine de salariés en interne qui utilisent absolument toutes les fonctionnalités possibles du logiciel Excel, de Microsoft. Eux, je n'arriverai pas à les convaincre, et d'ailleurs, ce n'est pas mon but !

Ne pensez vous pas que Chrome OS, votre système d'exploitation pour PC, va arriver trop tard sur le marché ? Les constructeurs annoncent en effet de plus en plus de terminaux équipés d'Android : systèmes embarqués dans les voitures, tablettes, etc.

Nous nous sommes posé beaucoup de questions en interne. Je pense quand même que les deux systèmes d'exploitation, Chrome OS et Android, sont destines à deux usages ou deux types de terminaux différents. Android a été conçu pour les téléphones tactiles, peu consommateurs en énergie. Les contraintes matérielles pour un ordinateur restent différentes, et Chrome OS pertinent. Vous avez des machines munies d'un processeur de téléphone, qui consomment relativement peu d'énergie, et peuvent tourner sous Android, et d'autres, avec un processeur de PC, qui auront besoin de Chrome OS, qui est optimisé pour ce genre de machines. Eventuellement, nous aimerions qu'ils fusionnent, que n'importe quel système d'exploitation puisse fonctionner sur n'importe quelle machine, mais nous n'y sommes pas encore.

Certains de vos concurrents viennent de lancer des tablettes numériques. Quelle vision vous avez de ce marché ?

Pour moi, à ce stade, les tablettes sont des gros téléphones. Elles ont le même type de processeurs, d'interface tactile. Mais je pense que nous allons aussi assister à l'apparition d'une multitude de terminaux différents, dont beaucoup fonctionneront à partir d'Android, avec des écrans de toutes les tailles.

Vous n'avez pas de réseau social comparable à Facebook. N'est-ce pas un handicap ?

C'est une chose à laquelle nous réfléchissons. Notre réseau Orkut est très populaire au Brésil, mais pas ailleurs. Pour aller plus loin, quand vous vous inscrivez sur Facebook, on vous propose tout de suite d'y amener vos contacts GMail. En revanche, Facebook n'autorise pas l'exportation des membres Facebook dans GMail. Contrairement à nous, Facebook n'est pas vraiment un système ouvert.

Votre succès repose sur le lien de confiance avec le consommateur. L'affaire "Google Street View" n'a-t-elle pas brisé cette confiance ?

Nous avons commis une erreur, nous avons collecté des données que nous ne voulions pas collecter. Nous voulons coopérer le mieux possible avec les autorités pour la corriger. Je pense néanmoins que nous avons été directs : nous avons signalé notre erreur dès que nous l'avons décelée. Je ne suis pas sûr que beaucoup d'autres entreprises en pareil cas se seraient comportées de la même façon. La leçon à tirer, c'est que nous devons rester modestes et améliorer nos processus.

Vous stockez énormément de données sur vos serveurs. Est-ce vraiment nécessaire ?

La plupart de ces données sont des pages web, des mots clés, des adresses IP [l'identifiant d'un ordinateur]. Mais vous n'êtes pas identifié : nous n'avons que peu d'informations personnelles, au contraire des sociétés de cartes de crédit. Pour que le moteur fonctionne, pour améliorer la qualité des réponses aux recherches, nous avons besoin de toutes ces informations. Notre ambition est d'organiser toute l'information du monde, pas juste une partie. Je suis néanmoins préoccupé par ce sentiment que peuvent avoir certains, que conserver autant d'informations n'est pas bon. Nous proposons des outils pour que les internautes puissent voir et contrôler l'usage que nous faisons de leurs données [service "dashboard"].

Quelle est votre opinion sur la protection des données privées ?

Les sociétés évoluent, les gens communiquent de plus en plus en ligne. Les frontières de la vie privée bougent. Pour nous, parfois, c'est un peu compliqué. Il y a beaucoup d'attention portée notamment sur la durée de détention des données de connexion. A côté de cela, les gens mettent de plus en plus de données personnelles en ligne : des photos d'eux ivres, etc. Conserver les données peut avoir une très grande valeur : voyez le service de suivi de la grippe A que nous avons mis en ligne il y a quelques mois. Nous avons fait économiser beaucoup d'argent aux agences américaines, grâce aux données de connexion des internautes.

En France, où vous avez été condamnés pour non-respect du droit d'auteur, il y a un projet de taxation de la publicité sur Internet... Comment réagissez-vous ?

C'est l'une des raisons pour lesquelles je suis venu à Paris. Dans le domaine de l'édition, mettre notre technologie au service de la culture nous motive beaucoup. Quand j'étais étudiant à Stanford, une inondation a détruit 50 000 ou 100 000 livres irremplaçables. Si seulement on les avait numérisés... Notre projet est simple : nous voulons passer des accords [avec des bibliothèques], sélectionner des ouvrages dans le domaine public et les numériser à nos frais. Mais à ce projet se sont mêlées des polémiques sur les droits d'auteur.

Sont-elles légitimes ou entravent-elles l'innovation ?

Evidemment, le droit d'auteur est important. Et évidemment, il pose des problèmes. Prenons les magazines : pour les mettre en ligne, vous devez régler les droits sur des images dont vous ignorez les auteurs, les ayants droit, etc. Si nous devions réécrire la loi, nous le ferions autrement. Nous voudrions trouver une façon acceptable d'identifier les ayants droit, de les rétribuer, d'ouvrir l'accès aux ouvres. Trouver la solution parfaite prendra du temps. D'ici là, je voudrais trouver un compromis satisfaisant. Sinon, le risque, c'est que des contenus disparaissent définitivement.

Qu'attendez-vous de la décision de la justice aux Etats-Unis qui doit se prononcer sur votre proposition d'accord avec les éditeurs américains [pour rémunérer leurs ouvrages qu'ils ont numérisés] ?

Nous espérons obtenir une décision rapidement et nous espérons qu'il va reconnaitre le bénéfice de cet accord pour tout le monde. Nous pensons que notre accord est équitable pour les différentes parties autour de la table : les ayants-droits, auteurs et éditeurs.

Il n'y a pas si longtemps, Google passait pour sympathique. Aujourd'hui, vous êtes perçus comme une menace. En êtes-vous conscients ?

Oui, nous en sommes très conscients et si vous avez des solutions à nous proposer, n'hésitez pas ! Je crois que nous devons être plus présents en France, avoir davantage de monde ici. Nous grossissons, on nous réclame de l'argent, on parle de nous tout le temps. Nous jouons un rôle de plus en plus important dans la vie des gens, cela suscite des interrogations, c'est normal. Mais si nous continuons à faire de notre mieux, nous surmonterons ces difficultés. Cela va dépendre de la manière dont les individus pourront contrôler nos services en ligne. C'est aussi une question de produits. Et là, nous pouvons faire mieux.

Etes-vous satisfait du niveau d'innovation en Occident ? Ne pensez vous pas qu'il a été affecté par la crise  ?

Je constate que le niveau d'innovation dans notre industrie augmente beaucoup. Vous le voyez quand vous voulez acheter une start-up : leur prix a été multiplié par trois. Même les très jeunes sociétés sont devenues considérablement plus chères. Et c'est parce que la technologie est plus efficiente, et donne beaucoup d'opportunités aux gens de faire plus d'argent. Les investisseurs l'ont bien compris, c'est pourquoi les valorisations des sociétés ont tellement progressé. La crise n'a pas vraiment affecté cette tendance. En revanche, ce qui me préoccupe davantage, c'est que nous ne valorisons pas vraiment dans la société les carrières d'ingénieurs, d'informaticiens. Le pourcentage de jeunes embrassant ce type de carrières diminue, il n'y a presque pas de femmes qui s'y engagent.

Quel est le principal défi que vous devez relever aujourd'hui, chez Google ?

Mon challenge n'a pas changé ces dernières années, il s'agit d'accompagner la croissance de la société, de faire en sorte qu'elle continue à bien fonctionner, que nous restions bien organisés, que les salariés restent motivés. Et continuer à la faire grossir : nous avons embauché environ 800 personnes au niveau mondial lors du précédent trimestre [1er semestre 2010]. Google compte aujourd'hui plus de 20 000 salariés.

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