
L'ancien trader de la Société générale Jérôme Kerviel, poursuivi pour une perte record de près de cinq milliards d'euros début 2008, a été condamné à cinq ans de prison, dont trois ferme, et à payer 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts à son ancienne banque. Le tribunal correctionnel de Paris l'a déclaré coupable d'"abus de confiance", "faux et usage de faux" et "introduction frauduleuse de données dans un système informatique", les trois délits pour lesquels il était poursuivi.
"Les éléments indiqués par la défense ne permettent pas de déduire que la Société générale ait eu connaissance des activités frauduleuses de Jérôme Kerviel", a déclaré le président de la 11e chambre du tribunal correctionnel, Dominique Pauthe. L'intégralité du jugement est disponible sur le blog de Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde.
L'ancien trader a "outrepassé le cadre de son mandat en prenant des positions spéculatives à l'insu de la banque, et dans des proportions gigantesques", a jugé le tribunal après plus de trois mois de délibéré. Il s'est "livré à un total renversement des rôles en se positionnant comme victime d'un système dont il se dit la créature", a poursuivi le président, évoquant "l'impassibilité trompeuse", le "sang-froid permanent", le "cynisme des agissements" de l'ancien trader.
177 000 ANS POUR REMBOURSER
Ses actes ont "porté atteinte à l'ordre économique mondial", a estimé le tribunal, reprenant quasiment mot pour mot ce qu'avait dit le ministère public, qui avait requis contre lui cinq ans dont quatre ferme durant le procès, du 8 au 25 juin. Le tribunal a opté pour cinq ans dont trois ferme, sans prononcer d'amende ni ordonner l'incarcération immédiate du condamné, qui a déjà fait trente-huit jours de détention provisoire début 2008. A l'annonce de la peine, Jérôme Kerviel, assis, blême dans son costume sombre, a encaissé le coup, visiblement accablé par sa sévérité.
Me Olivier Metzner, l'avocat de Jérôme Kerviel, a dénoncé le jugement du tribunal, le trouvant "inacceptable par son caractère totalement excessif". Il a annoncé que l'ex-trader allait faire appel de la décision sur le principe qu'il n'y a pas "d'abus de confiance". Il restera libre jusqu'au jugement définitif. Au début de son procès, en juin, Jérôme Kerviel, s'était présenté comme simple "consultant informatique", au salaire mensuel de 2 300 euros. S'il consacrait tout son salaire au paiement de ces 4,9 milliards d'euros, cela lui prendrait 177 000 ans.
"Il a été très clairement démontré que le comportement de Jérôme Kerviel, ses mensonges étaient si sophistiqués que la banque ne pouvait pas se douter de ce qu'il était en train de faire", a rétorqué Me Jean Veil, l'un des avocats de la partie civile. Il estime que "le tribunal ne s'est pas trompé" dans cette affaire.Olivier Metzner a ajouté que son client ne s'exprimerait pas dans l'immédiat.
"RÉPARATION MORALE"

Dans son jugement, le tribunal a également déclaré que "les carences de la Société générale ne sauraient exonérer un trader de ses devoirs professionnels" et que "le dossier ne permet pas de déduire que la Société générale connaissait les activités de Kerviel ou a pu le suspecter". Selon les juges, il n'avait eu aucune autorisation de sa hiérarchie pour spéculer à outrance et s'est attaché à tromper les services de contrôle de la banque, se situant en parfaite connaissance de cause en dehors de son mandat de trader.
Jugé pour avoir pris sur les marchés financiers des positions spéculatives de dizaines de milliards d'euros, dissimulées à l'aide d'opérations fictives et de fausses écritures, il encourait un maximum de cinq ans de prison et 375 000 euros d'amende. Durant le procès, qui avait entendu une trentaine de témoins, Jérôme Kerviel n'avait pas dévié de sa ligne de défense. Il avait admis avoir perdu le sens des réalités, mais également répété que sa hiérarchie l'avait laissé faire, voire encouragé à prendre des risques, dès lors qu'il gagnait de l'argent. Il refusait d'ailleurs d'endosser la responsabilité des pertes, affirmant que ses positions avaient été soldées ("débouclées") dans les pires conditions, en janvier 2008.
Les avocats de la Société générale, outrés que la défense ait cherché à faire "le procès de la banque", avaient taillé en pièces ses arguments, même s'ils n'avaient pu contester les défaillances avérées des contrôles. Le jugement prononcé mardi "est une espèce de réparation morale", a réagi Me Jean Veil.
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