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Le Conseil constitutionnel recadre les fichiers de police

Le Conseil constitutionnel a demandé à ce que les enquêtes informatiques ne soient pas conservées au-delà de trois ans après leur enregistrement. JEFF PACHOUD/AFP

Policiers et gendarmes voulaient désigner des suspects à la chaîne en faisant tourner leurs ordinateurs afin d'élucider un maximum de petits délits. Mais les Sages y ont mis un frein.

La désignation des suspects par ordinateur inquiète visiblement le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 10 mars dernier sur la loi d'orientation pour la sécurité, dite Loppsi 2, il a, en tout cas, mis un frein au développement des fichiers d'analyse sérielle appliqués à la délinquance de masse. En clair: l'utilisation intensive des croisements de fichiers informatiques pour résoudre les cambriolages, les vols à l'arraché ou les dégradations de véhicules.

Des outils de rapprochements criminels, les autorités en utilisent depuis longtemps pour résoudre les crimes les plus graves. Ils ont pour nom Salvac (Système d'analyse des liens de la violence associée aux crimes), à la PJ, ou Anacrim, dans la gendarmerie. Et ceux-là ne posent pas de problèmes. Leur caractère intrusif pour la vie privée se justifie par l'impérieuse nécessité de mettre hors d'état de nuire des individus dangereux, en cas de viol, de meurtre ou de toute infraction passible de cinq ans de prison au minimum.

Mouliner des milliers de données

Mais les fichiers qui fâchent aujourd'hui obéissent à une autre démarche. Ils visent à débusquer les petits délinquants d'habitude. Avec peut-être une chance d'isoler dans le lot de grands délinquants bien cachés. Comment? En puisant, sur une simple requête, dans toute la mémoire informatisée des services, qu'il s'agisse des fichiers d'antécédents criminels ou même des simples notes inscrites en procédure. Ces supermoteurs de recherche fonctionneraient pour tous les types de délits, y compris un simple vol d'autoradio. Ils iraient même jusqu'à puiser dans les informations disponibles sur Internet et ses réseaux sociaux.

La gendarmerie a ainsi développé en toute discrétion le système Périclès («L'Illustre», en grec), rebaptisé dans l'urgence par l'acronyme imprononçable d'AJDRCDS (Application judiciaire dédiée à la révélation des crimes et délits en série), après la polémique sur le malchanceux fichier Edvige. D'un clic, avec ce programme, l'enquêteur allait, de sa propre initiative, pouvoir comparer, par exemple, tous les numéros mobiles ayant activé un relais de téléphone, avec tous les numéros de carte bancaire utilisés lors d'opérations de retrait d'espèce dans ce périmètre. Et croiser l'ensemble avec des témoignages, des dépositions, des rapports. Et pourquoi pas vérifier, par la même occasion, de possibles corrélations avec les signalements de plaques d'immatriculation? Tout allait devenir possible. La gendarmerie espérait ainsi mouliner des milliers de données, voire des millions, pour que certaines se singularisent et conduisent, aux contacts d'autres, vers des suspects tout désignés. Il s'agissait en somme de faire émerger des séries de coïncidences troublantes pour qu'elles deviennent autant d'éléments à charge.

Mais voilà: les Sages se sont méfiés. Plutôt que de partir d'un tumulte, mêlant inévitablement des noms de personnes victimes du hasard, pour faire surgir des suspects, ils préfèrent nettement un système qui parte de faits établis dans le cadre d'une enquête précise. Pour eux, on ne cherche pas des séries dans le vague. On part d'une série déterminée que l'on s'attache à décortiquer sous le contrôle des magistrats. «Ces logiciels ne pourront conduire qu'à la mise en œuvre, autorisée (par le juge d'instruction ou le procureur), de traitements de données à caractère personnel particuliers, dans le cadre d'une enquête ou d'une procédure déterminée portant sur une série de faits et pour les seuls besoins de ces investigations», préviennent-ils.

Difficile d'être plus clair: pour autoriser une intrusion numérique dans la vie privée, il faut que le jeu en vaille la chandelle. Les Sages ne s'arrêtent d'ailleurs pas là. Pour être bien sûr que la police et la gendarmerie ne conservent pas dans leurs mémoires numériques des suspects virtuels plus longtemps que de raison, ils ont demandé à ce que les résultats de ces enquêtes informatiques ne soient pas conservés au-delà de trois ans après leur enregistrement. L'Intérieur réclamait trois ans après «le dernier acte d'enregistrement». Pour relancer sans cesse le délai? «Inconstitutionnalité partielle», a tranché le juge suprême. L'administration devra se mettre en conformité.

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