"Les Y" font la révolution au bureau

"Les Y" font la révolution au bureau
Génération Y illustration (DURAND FLORENCE/SIPA)

Une nouvelle génération de salariés bouleverse la culture d'entreprise. Oubliez les parcours linéaires et les rapports froids. Par Charline Blanchard

Par Le Nouvel Obs
· Publié le · Mis à jour le
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(Article publié dans l'hebdomadaire du 22 septembre 2011)

 

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 Ordinateur sur les genoux, sourcils froncés, une rangée de patrons tape frénétiquement sur son clavier. Imperturbable. Devant eux, Benjamin Chaminade, père de la génération Y, ces jeunes de 20 à 30 ans nés avec internet. C'est lui qui a importé le concept anglo-saxon en France. Depuis son iPhone 4, qui commande à distance un MacBook, le consultant observe : "Aujourd'hui, la majorité des candidats à un poste va voir sur Google à quoi ressemble son recruteur avant l'entretien." Soucieux de ne pas passer pour des attardés question nouvelles technologies, ils murmurent les réponses, bons élèves - " A part Viadeo et Linkedin il y a..." "DoYouBuzz !" Les Y, c'est presque une nouvelle espèce pour eux. Celle qui les fait râler parce qu'elle "arrive en retard au bureau", s'est "mis la tête à l'envers" la veille et reste "constamment branchée sur son iPod". Chasseur de tendances, Benjamin Chaminade, 40 ans, avait flairé le bon filon. La génération Y défrisait les chefs d'entreprise en Australie quand il y résidait, il y a environ quatre ans. Elle n'a pas tardé à faire jaser en France, une bonne occasion pour lui de prendre un aller simple pour l'Hexagone et monter un business afin de coacher les chefs d'entreprise et les employés quadras et quinquas. L'idée ? Les aider à s'adapter à cette génération, née entre 1978 et 1994, qui vit sur une autre planète. Car le décalage générationnel ne se passe pas toujours en douceur. Sylvie Salinié, 43 ans, a monté en 2006 sa boîte de télécommunications, Agiscom. A l'époque, 90% de ses 53 salariés, âgés de moins de 25 ans, étaient des "Y". Sa carrière à elle une X, comme ses camarades de la génération précédente - a suivi un tout autre itinéraire. Ses contemporains rêvaient d'une belle ascension dans la société les ayant formés. En passant par la petite porte pour décrocher ensuite un poste à responsabilités. Aujourd'hui, rester un ou deux ans dans la même maison suffit amplement. "Un de mes employés a changé trois fois de poste en un an et demi, et c'est loin d'être le seul", affirme Sylvie Salinié. Phobiques de l'engagement, les "Yers" seraient plus enclins à papillonner. Selon un sondage Ifop réalisé pour Manpower en septembre 2010, seuls 43% des jeunes diplômés souhaitent rester dans la même entreprise pendant trois ans d'affilée. Résignés à la loi de la jungle qui leur est imposée, certains hésiteraient même à signer un CDI quand il se présente. Chez Disneyland, la grande majorité des jeunes 29 % des salariés ont moins de 25 ans - débutent comme saisonniers. En CDD, pour les plus chanceux. Ces conditions de travail leur permettant de ne pas se sentir liés à l'entreprise, ils avouent sans rougir être inscrits sur des job boards et chercher le bonheur ailleurs. A Disneyland, "on ne cache rien", assure Jean-Noël Thiollier, directeur de l'emploi. Pas même le montant des salaires, qui sont "d'environ 1 500 euros" à l'embauche.

Plus de parcours linéaires

Lucides, les Y ont abandonné les parcours linéaires de leurs aînés car les règles du jeu ont changé. CDI au compte-gouttes, plans de licenciement à foison, diplômes quasi inutiles. La plupart d'entre eux ont grandi dans un univers où les contes de fées se terminent mal. Leur existence a souvent été ponctuée de divorces des parents et de nombre de désillusions, l'engagement a fini par devenir ringard, et le zapping un vrai mode de vie. Face à cette génération "iPodée", certains managers, désorientés, paniquent. Notamment les partisans de la discipline, effrayés par le déballage de gadgets high-tech. Vade retro internet, téléphones portables et iPod. Stéphane Bailliet, quadra formateur à l'Institut de Genech, spécialisé dans les métiers de la nature (paysagistes... ) s'en désole. "C'est dans le camion qui nous mène sur les chantiers qu'on discute de ce qu'on a fait de bien ou de mal la veille avec les apprentis, le casque vissé sur les oreilles, qui envoient des textos." Même topo dans le service informatique d'une grande compagnie de textile, que dirige Dominique. A l'instigation de ses collègues, une charte a été montée pour interdire l'utilisation de l'iPod au bureau. "Ces objets coupent du reste de l'équipe", dit-elle.

La retraite ? une chose vague et lointaine

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Mais la grande majorité des entreprises s'adapte. Pour exorciser la méfiance que suscite le long terme, ils offrent du palpable : des chèques repas, des chèques emploi-service ou encore le prêt d'une voiture de fonction. Car "même la souscription à une mutuelle et la retraite sont des choses qui leur semblent vagues et lointaines", note Benoît Ochs, DG d'une équipe de douze personnes chez Eliance, société de services informatiques. Les X s'efforcent d'associer ces jeunes. "On doit constamment expliquer pourquoi l'entreprise a pris telle ou telle décision, pourquoi telle mission est confiée à telle personne", explique Geoffroy Fourgeaud, DRH de Voyages-sncf com, membre des X lui aussi. Il les écoute s'épancher sur leurs tracas quotidiens. "Je voudrais m'installer avec ma copine, m'acheter une voiture, je me pose des questions sur les taux d'intérêt, vous me conseillez quoi ?", lui a demandé un Y.

Sylvie Salinié s'est elle-même sacrée "maman-wonderwoman". Aux premiers soubresauts de la crise économique, elle a dû momentanément fermer la porte de son bureau. Fini les discussions sur le pas de la porte, les demandes et petites confessions. Elle a alors organisé des réunions collectives et stimulé son monde. "C'était incroyable, en peu de temps, la productivité a augmenté de 15%."

 Les consultants pullulent

Le phénomène a pris une telle ampleur que la génération Y suscite des vocations. On ne compte plus les consultants spécialistes du sujet. Partout en France, dans les PME comme les grandes entreprises (Vinci, Danone), les écoles prestigieuses (la Sorbonne) comme les formations d'apprentissage, Benjamin Chaminade explique les subtilités de cette nouvelle génération. Le consultant, qui a monté un site web, épaulé par une petite dizaine de personnes, organise une centaine de présentations par an. Il décrypte les profils Y, parle surtout web, outil indispensable pour s'adapter à cette nouvelle génération. Le mouvement " Yers " est en marche. D'abord limité à certains secteurs ou à la culture numérique - les nerds, puis les grandes écoles -, il touche aujourd'hui aussi bien le commerce du luxe que les CFA (centres de formation d'apprentissage) de campagne. Les irréductibles ne devraient pas tarder à succomber.

 

Charline Blanchard - Le Nouvel Observateur

 

(Article publié dans l'hebdomadaire du 22 septembre 2011)

 

 

Le sondage sur l'attente des jeunes

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