Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

La France peut-elle encore échapper à un scénario grec ?

Les marchés ont raison de s'inquiéter de notre vertu, estime dans une tribune au "Monde" Charles Wyplosz, professeur d'économie internationale au Graduate Institute de Genève.

Publié le 11 août 2011 à 15h49, modifié le 11 août 2011 à 22h45 Temps de Lecture 5 min.

La machine infernale est en train de s'enclencher. Il est désormais possible que la France suive la Grèce, le Portugal, l'Irlande, l'Italie et l'Espagne dans le club peu enviable des pays dont la dette publique est considérée comme toxique par les marchés financiers. Le scénario est bien rodé. La pression monte lentement mais inexorablement, la notation par les agences est abaissée, la panique s'installe et, au bout du chemin, il faut se résoudre à aller quémander de l'aide au FMI, aux partenaires européens et à la BCE, qui prennent le contrôle de la politique économique. La purge exigée en contrepartie des prêts est sévère. C'est le grand traumatisme national.

Ce processus est lent. Il a duré six mois pour la Grèce, l'Irlande et le Portugal. Il durera sans doute moins longtemps pour l'Italie et l'Espagne. Pour la France, le point de non-retour n'est pas encore franchi, mais les prémices sont là. Une fois le point de non-retour franchi, le gouvernement ne peut plus rien faire pour empêcher le rouleau compresseur d'avancer.

Les marchés sont-ils fous et méchants ? La réaction de la classe politique est toujours la même : dénégation des risques et propos vengeurs à l'égard des spéculateurs et autres financiers sataniques qui veulent faire fortune sur le dos de la mère patrie. Mais les marchés ne sont ni fous ni méchants. Ils détiennent une grosse part de la dette publique de la France, quelque 1 700 milliards d'euros, soit 85 % de notre PIB, et ils sont effrayés de perdre une partie de leurs patrimoines. La panique n'est pas bonne conseillère, mais elle est très humaine. Faut-il leur en vouloir, voire les cadenasser ? Il fallait y penser plus tôt, avant de leur demander de nous prêter ces sommes colossales. Nous avons eu besoin d'eux et nous en aurons encore besoin, quoi que nous fassions. Les insulter et les attaquer peuvent nous soulager, mais cela ne changera rien à la situation.

Car la France est impardonnable. Nos budgets ont été en déficit chaque année depuis 1974. En 2006, avant la crise, la dette publique représentait déjà 64 % du PIB. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis presque quarante ans ont superbement ignoré la notion de discipline budgétaire. Tous. Les déficits sont devenus une routine, une facilité pour dépenser plus que ce dont ils disposaient, et personne n'y a trouvé à redire. Ils sont tous coupables et nous, les électeurs, le sommes tout autant. Les marchés, par contre, n'y sont pour rien. La sagesse, dont nous allons avoir besoin dans les années qui viennent, doit commencer par un grand mea culpa national.

Au lieu de cela, nous allons assister à des accusations réciproques. La gauche va répéter que la dette a augmenté de 20 % du PIB depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir ? C'est exact, mais 2007 est aussi le début de la plus grave crise depuis les années 1930. S'il y a de bons déficits, ce sont ceux tolérés durant les années de crise, car ils servent à en atténuer la sévérité. On aurait pu se passer du Grand Emprunt. Comme toujours, les objectifs étaient nobles, mais ils auraient du être financés sans recours à l'emprunt. La droite va noter que la dette s'est accrue sous tous les gouvernements de gauche. Certes, il y a aussi eu de mauvaises passes sous les gouvernements de gauche, qui justifiaient elles aussi des déficits. Mais ces déficits auraient dû être temporaires, compensés par des surplus les bonnes années, ce qui ne s'est jamais produit. Nous ne gagnerons rien à ces récriminations, c'est toute la classe politique qui s'est fourvoyée.

Ces erreurs répétées ne sont pas l'apanage de la France. La plupart des démocraties les ont commises, à un moment ou à un autre. Avant la crise, en 2006, les dettes publiques des pays de l'OCDE s'élevaient déjà à 74 % de leurs PIB. Partout on retrouve le même mécanisme. Chacun veut recevoir la manne de l'Etat, et chacun s'imagine que ce sont les autres qui paieront les impôts, mais personne ne veut payer plus d'impôts. Pour être élus, ou réélus, les gouvernements payent sans lever les impôts correspondants. Toutes ces dépenses sont présentées comme indispensables : santé, défense, éducation, justice, culture, aides aux démunis, transports. Rien que des bonnes causes auxquelles il serait politiquement suicidaire de s'opposer. C'est ainsi qu'aujourd'hui l'Etat dépense la moitié du PIB de la France. C'est ce qu'on appelle vivre au-dessus de ses moyens, et ça ne peut que mal se finir. Nous y sommes.

Est-il trop tard ? Probablement, mais pas nécessairement. Car, contrairement à une opinion bien ancrée, les marchés financiers ne fonctionnent pas à courte vue. Ils ne pensent pas que les Etats sont en faillite irrémédiable, un pays ne peut pas être vraiment en faillite. Par contre, ils se demandent si les Etats rembourseront leurs dettes, pas cette année ni l'année prochaine, mais dans dix ou vingt ans. Ils sont prêts à attendre, mais ils veulent des preuves solides que les budgets seront en surplus dans les années qui viennent, lorsque tout ira mieux. Ce sont les gouvernements qui sont coupables de courte vue, eux qui font des déficits chaque année parce que chaque année est spéciale et qu'on verra plus tard pour les surplus.

La seule chance, et elle est maigre, qui reste à la France d'échapper au couperet est de s'engager sur la voie de la vertu budgétaire. L'Allemagne l'a fait il y a deux ans en inscrivant dans sa Constitution non seulement le principe que le budget doit être en équilibre, mais une date butoir (2016) et un mécanisme clair, net et précis pour s'en assurer. De manière à préserver de la souplesse et éviter que la politique budgétaire ne soit contractionniste dans les mauvaises années, le mécanisme allemand comporte un compte qui enregistre les déficits et les surplus. Lorsque le compte est déficitaire, le gouvernement est tenu de combler le trou en quelques années. Plus l'Etat accumule de surplus, plus il a de marge de manoeuvre pour les mauvaises années.

La commission Camdessus, dont j'ai fait partie, a été chargée l'an passé par le président de la République de proposer d'inscrire l'équilibre budgétaire dans la Constitution (la règle d'or). A la quasi-unanimité, elle a rejeté la règle allemande, parce que "nous ne sommes pas des Allemands", comme si la discipline budgétaire était une affaire de culture nationale.

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir

Politiques et hauts fonctionnaires ont préféré une usine à gaz non contraignante, sans objectif précis, et sans date butoir. Apparemment, même cette règle flasque ne convient pas à la gauche, parce qu'elle veut avoir les mains libres si elle devait arriver au pouvoir en 2012. La droite n'est pas plus vertueuse. Visiblement, députés et sénateurs veulent aussi se garder d'être enfermés dans une règle vertueuse, sans doute parce que la vertu implique d'arrêter de se voter chaque année l'autorisation de distribuer des cadeaux impayés. Les marchés ont bien raison de s'inquiéter.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.