Vous, les visages #TFV #LesVisages #LeLivre

TFV
Chers Visages,

Voilà quatre mois que je suis rentré de mon tour des visages (http://j.mp/_TFV). Assez de temps s’est écoulé pour que je prenne mon clavier et que je raconte comment le projet est né, comment il s’est réalisé, combien il a été beau, dur, vivant, bouleversant, étonnant, dynamisant et autres superlatifs que ma langue encore trop pauvre n’arrive pas à définir.

J’ai fait mon plan avec dans le viseur l’envie d’en faire un livre – un récit de voyage, un récit des visages, un récit à la première personne où le « je » va lentement se transformer en « nous », nous, deux à deux et nous, collectif. Un récit de vous, en somme, avec moi comme pilote et Fafnerito comme témoin. La route, seul dans mon auto et sur les aires de repos, prendra aussi sa place dans le récit. Cortàzar et Dunlop seront les guest-stars bien entendu, fantômes magnifiques qui m’ont accompagné du début jusqu’au la fin, la toute fin du périple lorsque j’ai refermé « les autonautes de la cosmoroute », le 9 août sur la plage, avec dans mes yeux toute la buée de leur vie dans la mort et vos regards en miroir.

Vous, les visages qui, le temps de quelques heures, d’une soirée, d’un après-midi, d’un café sur une terrasse, m’avez tant donné, j’ai pensé que je devais vous laisser la parole. J’ai donc décidé que la dernière partie du livre serait pour vous et formerait la postface, un autre angle de vue, le vôtre, sur notre rencontre et sur le voyage.

Chacun de vous, visages aujourd’hui refermés dans la lucarne, est donc invité, s’il le souhaite, à me donner son ressenti sur l’expérience, sincèrement sans détours ni ambages. Je souhaite un texte de votre part et de votre patte littéraire de maximum 2500 signes, (les plus bavards peuvent déborder, ce n’est à ce jour qu’un projet). Rien ne presse, bien sûr. L’écriture de ce récit va prendre du temps, les mots vont murir encore, s’affiner mais il faut que je vous le demande maintenant avant que le temps ne fasse son travail de sape et disperse le souvenir de cette aventure qui, pour moi, fut, bien au-delà du côté chaleureux et « fun », déterminante dans mon parcours de vie.

Merci d’avance. Je vous embrasse.

Christophe


Envoi à ch.sanchez@fut-il.net - format .docx ou rtf – fichier nommé : nom.prenom titre.ext avec votre nom au début du texte.

#Fafnerito (Palavas _25/07/15)

  • 28.11.15

Incipit #TFV #LesVisages #LeLivre #WorkInProgress

TFV
Je ne sais pas d’où cette envie m’est venue. Je ne suis pas certain que ce fût une envie, mais plutôt une nécessité. Une nécessité d’être au monde.

A la fin du mois de mars deux mille quinze, après un hiver coton et un début de printemps chahuteur, je décompense. Je perds mes repères, dans ma tête comme dans mon corps. Une asthénie longue me cloue au sol, fixant mes jambes dans une terre grasse, versant dans mes artères une purulente gangue. Une purée envahit mes pensées et bloque mon cerveau. Je suis en dépression, une météo maussade entre les oreilles, une pluie grasse sur les os, une intempérie interne, un débordement profond par lequel toutes les digues lâchent. Les remparts à la grosse fatigue cèdent par la force de trop longues années de maraudage sur place d’une pièce à une autre, à ne vivre que par procuration la vie rêvée des autres. Ces autres, mille visages, qui, comme moi, s’ébrouent dans une vie pleine de contradictions, d’atermoiements livides, d’inexpressions pantelantes.

Dans la langueur de mes jours, j’en connais plusieurs qui oeuvrent dans le clair-obscur des chambres chaudes. Des visages à mille couleurs qui, dans le silence des claviers, distribuent sur le réseau du beau, du laid, du dégagé, de l’hautain ou du puérile - mais du vrai. Le grand réseau interconnecté des gens. Mes seuls et réels contacts sont dits virtuels, parce qu’ils ne sont que des pages-écran plates sans consistance physique, sans chair ni os, que de la matière intérieure, que de la substance intellectuelle et stomacale, le tout mixé et projeté à mes yeux par la technologie folle de la publication en ligne. Chaque visage se colle à des vignettes, petits carrés de pixels qui enferment l’âme et figent les traits. Derrière, c’est l’inconnu des expressions, des gestes, des allures, des pleurs, des rires, des rictus nerveux, des voix et de leur sinusoïdale.

Qui sont-ils ? Sont-ils vraiment là où je les crois ? Entendent-ils ma voix ? Qui vit comme moi l’inéquation d’être EN vie et DANS la vie ? Qui tire sur la corde chaque jour pour trouver le chemin qui réconcilie la tête et le corps ?  Qui se cache derrière ces visages que je reçois chaque jour dans la lucarne de mon ordinateur ? Qui sont ces gens qui me raccordent à la vie au travers d’un écran blanc ?

Voilà la série de questions qui m’assaille aux premiers rayons de soleil d’un printemps de pagaille. Il faut que je sorte, que j’aille souffrir leurs mots dans mes oreilles. M’offrir un voyage à leur rencontre, vérifier leur existence pleine et belle. Pour ceux qui partagent avec moi l’écran depuis des années, me mettre en face, yeux dans les yeux, les écouter, les retrouver pareils à leur état connecté. Ils écrivent, ils lisent, ils vivent et ils le disent, partout. Je veux les vérifier, je veux me vérifier, je veux découvrir que je suis en ligne comme en vie. Que je suis les autres.


#fafnerito au repos


  • 23.11.15

Une journée d’errance #after #TFV #LesVisages

19/09, il est 16h45, et je n’ai vu aucun visage. Mise à part celui de mon fils au réveil, à midi. Il avait les traits oscillant entre émerveillement et fatigue de vivre. Un visage qui me ressemble, paraît-il.  En début d’après-midi, je l’ai ramené chez sa mère, tourné au tour du pâté de maison sans avoir envie de retourner chez moi. J’ai garé Fafnerito (http://www.fut-il.net/search/label/TFV) sous la terre, place de la Comédie. Pris mon sac de voyage dans le coffre, une trousse de toilette, mon ordinateur et deux livres à l’intérieur. Le mini-voyage était prémédité.
Je suis sorti du parking et suis tombé sur l’arrêt de tramway. Une multitude de visages se presse autour d’un distributeur de billets. D’autres rodent autour de la place, à la recherche d’âmes charitables. Peut-être eux aussi en quête de visages à croiser, de corps à toucher, de paroles à échanger. J’ai tourné, moi aussi, un instant, ne sachant pas vraiment où aller. Au fronton de l’opéra, un restaurant affiche ses menus sur deux ardoises accrochées à un poteau. Les ardoises se balancent au vent et joue une musique pareille à un tempo afrobeat. Ça m’interpelle, je calme la première ardoise de la main et lis les plats proposés. Pas de barbaque mais une salade de chèvre chaud sur son lit de salade à la sauce blablablabla me fait de l’oeil. Je m’installe.
Seul sur le parvis, assis à une table posée sur un parquet flottant, je commande et interroge l’instant en prenant une photo des bâtiments avoisinants. Le centre de Montpellier est beau, cette place est aussi belle qu’usuelle. Je n’y prête pas assez attention. C’est ce que je me dis quand je m’aperçois que le parquet flottant n’est en fait qu’une vulgaire palette posée sur le sol et que le va-et-vient de la serveuse provoque des soubresauts sous ma chaise donc dans mon corps. Ça passe rapidement de cocasse à très désagréable et je gobe ma salade en laissant le trop plein de vert dans l’assiette.
Je remonte la rue de la Loge bondée comme un jour de solde. Les visages s’entremêlent sous mes yeux. Je goutte à la mixité montpelliéraine et je suis ravi de vivre près de cette ville dans laquelle, sous mon vernis clair et certainement naïf, toutes races et religions semblent converger vers le même appétit de consommation.
Ce n’est pas un jour de solde mais au milieu de la rue, je remarque la vitrine d’une échoppe affichant à grands renforts d’affichettes rouges une foire aux vins exceptionnelle. Je prends en photo un grand cru St Emilion à 13,45 euros et l’envoie à un ami féru de bons vins et de prix sacrifiés. 
Je continue ma route vers la promenade du Peyrou décidé à perdre un livre sur un banc (http://j.mp/partagelitt). Le vent se lève soudain et dégage une fine poussière qui forme un nuage ocre en suspension sur les visages. La température jusqu’ici très agréable baisse et vient me rafraîchir l’échine. J’éternue et affole une passante par le cri aigu poussé sous la violence de mon éructation. Voilà un visage dégouté à qui je n’adresserai pas la parole, même pour demander un mouchoir. Je m’excuse et elle sourit. C’est étonnant ce que convoque dans le corps un éternuement ; chaque muscle se tétanise sous la force et la vitesse du déploiement. Eternuer est un volcan intérieur que je ne suis jamais arrivé à maîtriser. 
J’arrive près du Peyrou face à l’arc de triomphe. Je prends conscience que ce week-end ce sont les journées du patrimoine dès que j'aperçoie la file d’attente au pied du monument. Anglais, belges, australiens, américains et autres nationalités imprécises s’agglutinent là en serpentin autour du pied droit de l’édifice. Deux gendarmes en gilets jaunes font la circulation des voitures et des gens. Et malgré ce, c’est une pagaille sans nom. Je trace mon chemin pour rejoindre le parc, lieu plus calme et propice à ma journée de rêverie post-visages.  
Le vent redouble et l’air se charge de particules allergènes propices à l’éternuement que je retiens tant bien que mal. Je m’assois un instant et ouvre « se taire ou pas » d’Isabelle Flaten, éditions Le réalgar (http://www.tulisquoi.net/se-taire-ou-pas-isabelle-flaten). Isabelle est un visage rencontré lors de mon tour cet été. Une belle rencontre dont je garde un souvenir émouvant. Je poste ma lecture sur Instagram et aussitôt Isabelle réagit sur Messenger. Nous bavardons quelques minutes et je reprends le fil du livre. Il s'agit de relater les pérégrinations d’un couple en prise à des difficultés, sujet ô combien rabattu mais qui ici est pris dans une poésie sombre et intérieure très intéressante. L’écriture d’Isabelle est pleine et belle, acérée et douce à la fois. Lire Flaten est un plaisir. J’oublie un livre de Jean-Jacques Marimbert (autre visage d’été http://jjmarimbert.blogspot.fr/) sur le banc avec un petit mot à l’intérieur invitant la personne qui le trouvera à faire de même et sort du parc pour rejoindre la place Candolle. Quelques SMS pleins d'alacrité échangés avec mon oursine nouvelle et je continue Flaten avec dans la tête l'image des visages rencontrés cet été et de la liberté de vivre éprouvée pendant ces deux semaines.
Je pose le livre et me souviens, le regard balayant la terrasse du Black Cat, bar où je me suis installé. Comme un automate, je me saisis de l’ordinateur pour raconter cette journée d'errance belle avec une excitation d’écrire retrouvée et avec dans les yeux Julio Cortázar et dans le cœur Carol, Dunlop.

Il est 18h08. Je n’ai vu aucun visage. Je vais finir ma bière et aller à un vernissage ou rentrer chez moi. Je ne sais pas. Dans tous les cas, personne ne m’attend. C’est à la fois nostalgique et réjouissant. Nostalgique parce que cet été en pente douce fut merveilleux et que l’automne risque de me rendre atone. Réjouissant parce que je me sens agréablement vivant et heureux. Un peu comme le morceau de Sade qu’un groupe de musiciens jazzy vient d’entonner sur la terrasse du Black Cat. 


  • 19.9.15

Aucun visage #after #TFV #LesVisages

TFV
Vous n’avez vu aucun visage. Ni ici ni ailleurs. Ne pas montrer les visages alors qu’il s’agissait d’un roadtrip estampillé Tour de France des Visages tenait de la gageure, tant la photo ou « l’autophoto » prise à deux ou à plusieurs – le fameux « selfie » pris bras tendu qui flanque un rictus terrible valant tous les liftings ratés du monde - a pris une place prépondérante dans nos vies et sur les réseaux sociaux. Mais ça s’est imposé à moi simplement. Dès le premier visage, j’ai senti que le voyage ne serait pas une somme de visages postée en ligne, que le trombinoscope serait ailleurs, dans ma tête et dans la tête des visages. Les visages sont allés bien plus loin que les alentours de mon encéphale et, s’il fallait justifier le choix de ne pas photographier vos traits, le seul fait d’atteindre au plus profond mon être dans son corps (Attention ! Aucune pénétration plus avant à envisager dans cette phrase) suffirait à ce que j’arrête ici ce billet. Mais je continue.

Vous n’avez vu aucun visage, donc. Mais moi, je les ai vus. La découverte, même si elle a été partielle, les photos de profil de vos comptes respectifs donnant tout de même à voir et à reconnaître, n’a pas engendré ce besoin de figer les figures dans les pixels de mon téléphone. Les visages sont ailleurs. Autour de vos figures. Évanescence de visages comme des coupes transversales de vos têtes, tout ce que vous mettez autour et qui ressort dans vos sourires, vos clignements d’yeux, vos levers de coudes (le vin, cet élixir de visages), vos battements de cils ou encore vos baisers sur ma joue. Sous vos pieds, dans vos mains, dans vos gestes, votre allure à l’intérieur même de vos objets quotidiens, tout cela repose dans vos bajoues comme une réelle intériorité.

Vous n’avez vu aucun visage mais plein de bidules autour. L’infra-ordinaire cher à Christophe Grossi et à Georges Perec est ressorti comme l’évidence, une certitude qu’en photographiant ce qui vous ceint – l’insignifiant, le futile, le dérisoire : le bibelot posé sur la bibliothèque, les livres en couche sur les étagères, les fourchettes et les brosses à dents, le pommeau de douche, l’armoire rangée ou en désordre, le tableau accroché à la couleur de votre mur, les bijoux à l’air libre ou dans des boîtes précieuses, la peluches posée sur la taie d’oreiller, la chaise dégingandée et le coussin moulé par vos formes etc. - je touchais autre chose que votre visage ne me disait pas, ou du moins que je n’arrivais pas à lire directement. Ecrit comme ça, ça peut paraître sociologique à l’excès ou intellectuellement tortueux. Il n’en est rien car rien n’a été calculé en ce sens, ce n’est qu’une transcription a posteriori de quelque chose qui s’est tramé et tressé dans nos simplicités. Je n’ai rien décidé, c’est venu à moi par vous.

Vous et les autres, figures encore endormies dans mes yeux, n’avez vu aucun visage. Et c’est très bien ainsi.


Ce qu'il s'agit d'interroger, c'est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner. Nous vivons, certes, nous respirons, certes; nous marchons, nous ouvrons des portes, nous descendons des escaliers, nous nous asseyons à une table pour manger, nous nous couchons dans un lit pour dormir. Comment ? Où ? Quand ? Pourquoi ?
Décrivez votre rue. Décrivez-en une autre. Comparez. Faites l'inventaire de vos poches, de votre sac. Interrogez-vous sur la provenance, l'usage et le devenir de chacun des objets que vous en retirez. Questionnez vos petites cuillers. Qu'y a-t-il sous votre papier peint ? Combien de gestes faut-il pour composer un numéro de téléphone ? Pourquoi ? Pourquoi ne trouve-t-on pas de cigarettes dans les épiceries ? Pourquoi pas ? Il m'importe peu que ces questions soient, ici, fragmentaires, à peine indicatives d'une méthode, tout au plus d'un projet. Il m'importe beaucoup qu'elles semblent triviales et futiles: c'est précisément ce qui les rend tout aussi, sinon plus, essentielles que tant d'autres au travers desquelles nous avons vainement tenté de capter notre vérité.

Extrait du texte bref ("Approches de quoi?"), un des plus fondamentaux de Georges Perec (qui) ouvre le recueil L'Infra-ordinaire publié par Le Seuil en 1989, où on trouvera en particulier La rue Vilin, 243 cartes postales en couleur, Promenades dans Londres, etc. (source : http://remue.net/cont/perecinfraord.html)
  • 20.8.15

Tirer le fil des visages #after #TFV #LesVisages

TFV
J’appuie sur la pédale, tire sur le fil du voyage. Je voudrais voir la mer, elle me manque. Mais cette sensation passe dès que Fafnerito s’emballe sur la bretelle. Une autoroute. Rien ne ressemble plus à une autoroute qu’une autre autoroute. Et pourtant, à chaque accélération dans la ligne courbe et étroite qui ressemble à une rampe de lancement de fusée, de celle qu’on peut trouver dans un parc d’attractions, j’ai la sensation de pénétrer dans un autre territoire. Impression de changer de vie pour une autre. Au bout de la rampe, le visage aura disparu, du moins ses traits, son appréhension physique ne sera plus et pourtant tout au dedans, tout autour, il restera avec moi sur le siège passager. J’emporte avec moi à chaque visite un visage de plus que je pose près de moi. Un copilote qui va m’accompagner jusqu’au prochain visage. Entre la voix du GPS et moi, bientôt plusieurs visages vont s’interposer, former un trombinoscope évanescent, un carrousel que je pourrai faire défiler de la main comme s’il s’affichait sur l’écran d’une tablette. 

J’actionne le clignotant, élance Fafnerito à 110 puis 130 km/h, bloque le limiteur de vitesse et lâche mon pied de l’accélérateur. Je roule et le besoin de m’arrêter se fait sentir dès les premiers kilomètres. Mes pensées se collent au pare-brise. Le pare-brise est ma tablette. C’est là que s’affiche le carrousel des visages et des souvenirs frais s'assemblent sur cet écran transparent. Autour de chaque visage, un monde de littérature, une vie, un mari, une femme, des enfants, un lieu, une maison, une cuisine, un salon, une chambre à coucher, des draps, une salle de bains, une ou plusieurs brosses à dents… Je tire le fil de la route et sur l’écran mon voyage s’emmêle aux visages. J’ai beaucoup pris et je laisse beaucoup. J’ai besoin de l’écrire.

Je ne peux rouler plus longtemps ainsi avec des visages et des vies qui se déroulent devant mes yeux, me laissant que trop peu de vue pour la route. La bande d’arrêt d’urgence est trop fine pour m’accueillir. L’arrière des voitures que je suis trop flou pour maintenir mon attention. L’envie de m’arrêter est trop pressante et dès la première aire de repos, je vais souffler les visages, les consigner par l’écriture. Dire, redire, raconter, poser le futile comme l’oppressant. 

  • 18.8.15

Julio et Carol dans ma cosmoroute #after #TFV #LesVisages #cortazar #autonautes

TFV
J’ai effectué cet été une traversée étrange et merveilleuse dans le temps et l’espace. Près de trois mille kilomètres à sillonner des visages et des paysages. Les traces qu’ils ont laissées dans ma mémoire sont éparses et parfois confuses. Je les ai convoquées au fil du voyage, pressé de les consigner ici pour ne pas les oublier. Je suis encore pris dans les filets de ce souvenir immédiat qui semble vouloir prendre la fuite. La multiplicité des rencontres, le temps comprimé dans lequel les visages se sont présentés à moi, en moi mais aussi la particularité du voyage – cet instantané pris à la vie des visages, cette course contre la montre faite aussi bien de rendez-vous normés que de hasards heureux en ascète de la lenteur – tout cela bouscule mon rapport habituel à la mémoire construit sur des ancrages solides fixés dans une temporalité identifiée et dont les repères sont connus et reconnus.
Il y a aussi la route et l’autoroute, surtout. Je me suis retrouvé seul, assis dans ma voiture à rouler de visage en visage sur de grands et larges axes. La dimension de l’autoroute contraste avec la rencontre. La rencontre est intime, deux voire trois personnes, rarement plus. Elle se passe dans un endroit confiné et personnel que ce soit un bar où le visage rencontré est ici en terrain connu, dans son monde avec ses repères et des gens, des lieux autour qui le rassurent ou que ce soit à domicile, où l’écrin de l’intérieur - de l’intériorité qu’il offre - confère au visage la détente, l’écoute et la volubilité nécessaires à une belle rencontre. Contraste avec l’autoroute donc, car ce sont deux univers diamétralement opposés : l'autoroute est la représentation moderne de la liberté, l’eldorado de tout globe-trotter motorisé, trois ou quatre voies rapides qui transportent partout dans un temps réduit, des lignes droites où l’on peut se griser de vitesse tel James Dean dans sa fureur de vivre, une liberté pleine et protégée par l’habitacle, une sensation d’invulnérabilité, une puissance de mouvement, une accélération du temps qui, paradoxe détonnant, peut se transformer en éloge de la lenteur si on le souhaite en décélérant sur une aire de repos pour se poser le temps voulu.
Je n’ai jamais autant apprécié ces moments de solitude habitée que lorsque je me suis ainsi arrêté faisant fi des rendez-vous, composant avec les retards comme un businessman stressé jongle avec les boniments et manipule ses interlocuteurs pour s’offrir le temps qui manque à sa vie. C’est là que j’ai rencontré Cortázar et Dunlop sur leur cosmoroute.
Pour rappel, en 1982, Julio et Carol, couple dans la vie, écrivain argentin vivant à Paris et auteur du célèbre « marelle » pour l’un et écrivaine, traductrice, photographe et militante politique canadienne, pour l’autre, décident de faire un voyage intemporel en parcourant l’autoroute de Paris à Marseille en s’arrêtant toutes les deux aires de repos. Le voyage durera trente-deux jours durant lesquels les deux auteurs relateront leurs aventures autoroutières avec fantaisie, impressionnisme chimérique et surtout dans un amour plein et réciproque qui souvent tire des larmes.

Extrait : 
« Après, nous avons dormi, Oursine, et tu as continué de dormir tard dans la matinée et je fus seul à voir la fin de la nuit du parking, le soleil rasant qui transformait l'accordéon de Fafner en une coupole orange vif, qui glissait entre les rideaux pour nous rejoindre dans le lit, pour venir jouer avec tes cheveux, sur tes seins, sur tes cils qui paraissent toujours plus, toujours beaucoup plus quand tu es endormie.
Et moi, j'ai joué à un dernier jeu avant les oranges, le café et l'eau fraîche, un jeu qui vient de l'enfance et qui consiste à se recouvrir du drap, à disparaître dans ces eaux d'air épais et, couché sur le dos, à relever les jambes afin de soutenir le drap avec les genoux pour en faire une tente, puis à l'intérieur de la tente, établir le royaume et là, jouer à penser que le monde est seulement ça, que hors de la tente il n'y a rien, qu'on est bien dans le royaume et que rien d'autre ne manque. Tu dormais en me tournant le dos et me tournant le dos, tu me tournais la tête car ton dos baignait dans une clarté d'apparition qui baissait du soleil filtrant à travers le drap devenu coupole translucide, un drap à fines raies vertes, bleues et rouges qui se résolvait en une poussière de lumière, or flottant où ton corps inscrivait son or plus sombre, bronze et mercure, zone d'ombre bleue, creux et vallons.
Je ne t'avais jamais autant désirée, jamais la lumière n'avait autant tremblé sur ta peau, tu étais Lilith, tu étais Cypris, tu renaissais de la nuit du parking comme les murmures grandissaient au-dehors, les moteurs démarrant l'un après l'autre, la rumeur de l'autoroute augmentant avec l'afflux que chaque parking lâchait après le temps du sommeil. Je t'ai regardée si fort, sachant que tu allais t'éveiller l'air perdu et étonnée comme toujours, que tu n'y comprendrais rien, ni la tente secrète ni ma façon de te regarder et que tous les deux nous commencerions la journée comme toujours, en nous souriant et "jus d'orange!", en nous regardant et "café, café, des montagnes de café!". »  Page 184 • in Les autonautes de la cosmoroute, Julio Cortázar et Carol Dunlop, trad. Laure Guille-Bataillon | Gallimard coll. du monde entier

Cette rencontre avec Cortázar et Dunlop, bien que le fruit du hasard, – avant le départ, je recherchais un livre de voyage et à la faveur d’une recherche sur Google et après avoir élimé les sacrosaints Kerouac et McCarthy je suis tombé sur ce livre au titre complètement foutraque –, cette confrontation douce n’a eu de cesse de créer des ponts (sur l’autoroute) entre mon voyage et leur périple trente-trois ans plus tôt. D’abord la route bien sûr, le long voyage, même si le mien n’a duré que quatorze jours et le leur le double. Cet éloignement de tout centre de confort auquel je me suis confronté a créé non seulement un lieu nouveau aux paysages variés, aux routes inconnues mais aussi un nouveau rapport exégète avec les gens, leur voix, l’accent de leur voix, le phrasé, les gestes, les visages bien entendu, leurs gimmicks et autres expressions régionales. Tout cela participe à ce que communément, on nomme dépaysement. Mais plus qu’un dépaysement, c’est comme tout autonaute, le déplacement, lent pour Cortázar et Dunlop qui confère au livre toute sa singularité et, rapide pour ce qui me concerne, qui m’a amené à apprécier les interstices du voyage et à m’imposer la lenteur entre chaque visage.
Puis très vite, j ‘ai été pris de fascination pour l’aire d’autoroute parfois bruyante aux grands croisements, fourmillante de monde, de gens affairés à boire, à manger, à faire courir leur animal domestique ou leurs enfants surchauffés ou au contraire parfois havre de paix, véritable clairière forestière avec ses tables en bois ou en ciment, ses toilettes insalubres au bidet qui déborde sur les chaussures ou aseptisés à l’extrême avec système électronique de contrôle du débit de votre urine dans le bassinet. Mais dans tous les cas, ce fut une parenthèse et une ode à la lenteur dans ce déchainement de vitesse qu’imposent l’autoroute et cette orgie de bitume à cent-trente kilomètres par heure minimum. L’aire de repos suscite pour Cortázar et Dunlop la même fascination. Ils nous amènent proches de l’hypnose avec force de détails sur cet endroit de passage où rarement l’on revient. Eux, ils s’y posent pour une journée, une nuit ou quelques heures et y découvrent tout un monde sous-jacent : les personnes chargées de l’entretien, les camions et leurs chauffeurs, les touristes et leur nationalité mais aussi la flore, la forêt, les bosquets, l’ombre et la chaleur, les voitures et leur similitude de mouvements.
Bref, Julio et Carol m’ont embarqué avec eux. J’ai voyagé au tour de la France mais aussi entre 2015 et 1982, entre les autoroutes de toute la France désormais européennes et leur autoroute du soleil qui n’a plus grand chose à voir avec l’actuelle A7 envahie de McDonalds et de supermarchés Carrefour.
Ils étaient deux, j’étais seul. C’est une des différences marquantes entre nos deux histoires. Autre différence, ils ne sont pas allés à la rencontre de visages mais par contre en ont croisés une multitude anonyme tout aussi intéressante et surtout bien plus talentueusement relatée que je ne pourrais jamais le faire. 
J’ai parcouru leur cosmoroute avec Fafnerito, le petit frère à Fafner leur combi Volkswagen rouge, véritable troisième personnage de l’histoire. Fafnerito existe sur la cosmoroute. Cortázar le croise un jour sur une aire et le baptise ainsi en dialoguant avec Fafner. Fafnerito est une Volkswagen coccinelle qui se trouve être trente-trois plus tard de même type que la voiture que j’ai acquise au printemps dernier. La coïncidence était trop belle pour ne pas que je m’en empare et dès lors mon véhicule a pris une tout autre dimension. J’ai commencé à parler à ma voiture – chose aisée tant par le GPS aujourd’hui elle peut me répondre. C’est un dialogue de sourd mais je parie que Julio et Carol en auraient fait quelques pages délicieuses si Fafner avait disposé d’un tel équipement. Autre similitude : Carol (cher lecteur tu remarques l’absence de e à la fin de ce prénom) - pour être un prénom que je ne connaissais jusqu’alors que masculin et encore que pour une seule personne et non des moindres puisqu’il s’agit de celui du regretté (ou regrettable) pape Jean-Paul II - se trouve être également le prénom d’une récente amie. Même orthographe sans e à la fin. Nouvelle coïncidence frappante. Deux prénoms très peu usités à ma connaissance se catapultent à travers le temps et la route. Il ne manquerait plus que je découvre que mes parents avaient l’intention cachotière de m’appeler Julio et la boucle (du tour) serait bouclée.

Demain, ça fera une semaine que je suis rentré et je n’ai pas encore terminé la lecture des autonautes de la cosmoroute. Je continue mon périple avec la lenteur désirée. Je crois que je ne veux pas le finir. Je veux rester encore longtemps avec Julio et Carol à arpenter les aires d’autoroute (manière de rester avec vous, les visages). Je gare Fafnerito derrière l’ombre de Fafner, je m’assois sur une des « horreurs-fleuries » (chaises pliantes à grosses fleurs multicolores typiques de la fin de années soixante-dix et nommées ainsi par Cortázar). Julio sort sa machine à écrire tandis que Carol l’embrasse dans le cou. Je les regarde en sirotant un Brouilly rouge. Je suis bien avec eux.

Rebond : http://oeuvresouvertes.net/spip.php?article2287 avec notamment un extrait des préliminaires au voyage de Cortázar et Dunlop.

  • 14.8.15

Jour 14 – Vauvert, Palavas-les-flots #roadtrip #TFV #LesVisages

TFV
La nationale 7 et l’autoroute A7. Il est 15h00 samedi 08 août. Le temps est couvert et la chaleur a diminué d’intensité. Les voies sont remplies d’autonautes qui font chercher le soleil. Le prix a payé c’est l’attente. Je les imagine dans la cage de Faraday à fulminer sur ce temps perdu à rouler au pas sur ces grands axes voués à la vitesse. Je veux ralentir le temps comme Cortazar et Dunlop qui, en empruntant l’autoroute Paris-Marseille en s’arrêtant toutes les deux aires de repos, auront mis plus de trente jours pour effectuer leur périple. Le mien n’aura duré que quatorze jours. Et depuis mon départ ce matin de Condrieu, je veux faire du dernier jour un éloge de la lenteur. Je suis servi. Je n’avance pas. Dès les premiers kilomètres, je me suis mis à ne plus écouter la voix monocorde du GPS, si bien que j’ai tourné aux abords de Condrieu tel un chien errant qui cherche le bon endroit pour lever sa patte (Je pense à Darwin, le chien de Lidia) Tournez à droite puis au rond-point prenez la quatrième sortie. Je vais à gauche puis tout droit. Je traverse des champs sur des petites routes, reviens sur mes pas, prends des chemins vicinaux qui finissent en impasse. Une perte de temps qui m’amuse. Un instant, je ne suis pas sûr de vouloir quitter Condrieu.
J’ai rendez-vous avec Isabelle à quinze heures. L’écran affiche en rouge plus de deux heures de trajet pour atteindre Puy-Saint-Martin, près de Montélimar. Le rouge signifie que le trafic est dense, que le trajet va être semé d’embûches. D’aucuns se seraient agacés de ce compteur qui, bien que j’avance désormais à vitesse constante, ne bouge pas, mais pour moi c’est comme si mon rêve de suspendre le temps se réalisait. Je mange du kilomètre mais le temps semble verrouiller. Arrivé à St Rambert d’Albon, alors que j’ai roulé durant une heure, le compteur affiche toujours deux heures et treize minutes pour arriver à destination.
Je pose Fafnerito sur le parking d’un snack au bord de la nationale 7 et je m’installe en terrasse pour écrire. Il s’écoule deux heures trente et bien que je voie sur l’écran de l’ordinateur l’heure défiler ce n’est qu’à quatorze trente que je prends conscience que je ne serai jamais à Puy-Saint-Martin à quinze heures comme prévu. J’ai vaincu le temps, il a cessé de mener la danse.
Je reprends la route. La dame à la voix agaçante me fait entrer puis sortir de l’autoroute au gré de ses envies et du trafic qu’elle devine. Je me dis qu’elle a avalé le Bison futé qui guidait Cortazar en mille neuf quatre vingt deux sur la même autoroute. Elle l’a si profondément dégluti qu’aujourd’hui elle est devenue omnisciente et prévoit la route avant même qu’elle ne glisse sous les pneus de Fafnerito. Mais la densité de véhicules sur la route augmente de minute en minute et bientôt la dame s’essouffle et me bloque dans une enfilade bariolée de voitures. Je suis pris dans un piège en accordéon sur l’autoroute A7. Soit à l’arrêt total, moteur coupé et toutes vitres ouvertes, soit à trente kilomètres par heure à jouer des chevilles sur les pédales de Fafnerito. La sensation d’étouffement ne parvient pas à détourner le bonheur que j’ai d’être ainsi entre deux temps. Celui de la vitesse qu’impose l’autoroute et celui de la lenteur qui je n’ai eu de cesse de chercher durant le voyage. Je poste deux photos de la route dont une qui fera écho à une nouvelle de Cortazar, «  l’autoroute du sud » paru dans son recueil «  tous les feux le feu » où l’auteur y détaille toutes les situations propres à l’embouteillage avec sa verve fantastique et l’humour burlesque qu’on lui connaît. (Et par rebonds, je repense à ce film des années soixante-dix, long-métrage italien où les personnages sont bloqués sur une route pendant vingt-quatre heures. Je recherche sur Google le titre de ce film dont je ne me rappelle plus grand-chose, ni de ses acteurs, ni de son réalisateur. Je subis à cet instant l’association d’idée qui agace quand elle est ainsi incomplète. Ami lecteur, amie lectrice, si tu sais).
J’averti Isabelle de mon impossibilité de quitter l’autoroute alors que j’ai déjà près d’une heure de retard. Le dernier visage découvert restera celui de Lidia. Je change la destination dans le GPS. Direction Vauvert pour retrouver Franck et Annick, amis de longue date. Le compteur fait un bond d’une heure et se fige à trois heures et vingt minutes pendant plusieurs centaines de mètres parcourus au pas. Fafnerito s’endort sur l’autoroute et ma vigilance décroit. Je passe d’autonaute à automate guidant la voiture par réflexe. Le reste de ma tête et de mon corps se suspend au-dessus de Fafnerito tel un big-brother rêveur planqué dans l’hélicoptère qui survole l’autoroute.
Cette soudaine perte de conscience d’être là où je suis, c’est-à-dire empêtré dans un embouteillage monstre, me pousse à sortir à la prochaine aire : l’aire du pont de l’Isère.
Après un café double, j’ouvre « les autonautes de la cosmoroute » à la recherche de Cortazar et Dunlop. Depuis le début de périple, je rêve de me trouver sur une des aires de repos où Julio et Carol se sont arrêtés quelques trente trois ans plus tôt. Et joie, la page deux cents neuf me fait franchir l’espace et le temps. Cortazar y mentionne l’aire du pont de l’Isère le lundi 14 juin 1982 à 17h34 avec la légende suivante : «  Pas extraordinaire, mais il y a pire. Orientation du Fafner : E. ». Je regarde autour de moi. Ça grouille de monde. Un brumisateur crache ses fines bulles sur des gamins amusés. Un McCafé absorbe les autonautes et les recrache dans les allées affublés d’un mug en carton. Une armée de clones en short et sandales tournoie en désordre. Ça parle bouchons, temps suspendu. Un homme crie après sa femme. Un bébé pleure. Une vieille dame qui a dû être belle lutte contre le vent et le brumisateur qui défont son brushing. Oui, Julio, rien d’extraordinaire mais il y a pire. Orientation de Fafnerito : Sud.
Je quitte soudain l’A7 sans vraiment avoir vu venir l’embranchement qui me mène sur l’A9. La languedocienne est mon autoroute. Celle que j’arpente quasiment chaque jour. Elle est à cet instant la vraie marque que le temps n’a pas cessé d’exister, qu’il est là avec moi et Fafnerito, que je ne gagnerai jamais contre lui, que la lenteur est un leurre, que le voyage a une fin.
J’arrive à Vauvert vers vingt heures. Je passe une soirée agréable avec Franck et Annick. Un bon repas, de la bière et du vin. Le bonheur de retrouver des amis proches, leur conter mon voyage par les petits bouts, forcément récit incomplet. Impression de grand remue-ménage intérieur. Je les quitte tard dans la nuit pour regagner mon antre près de la belle bleue.
Les poches sous mes yeux sont chargées de visages et d’histoires à raconter. Des anecdotes à la pelle, des petits bonheurs simples comme des questions existentielles lourdes sur le temps, sur l’espace, sur le voyage, sur « mon corps immobile en mouvement » (Quand le pays dévisage et les visages dépaysent http://deboitements.net/spip.php?article739 - Christophe Grossi), sur la mémoire, sur la littérature et ses apprêts, et plus proche enfoui dans mon dedans : sur les autres – ce grand mystère de l’autre.

Lundi 10 août il est 5h45, dans trois heures, je retrouve mon bureau, ma vie professionnelle et quotidienne. Vos visages, personne ne les a vus comme moi. Je n’ai posté ici ou sur les réseaux sociaux aucune photo qui trace vos traits. Je les garde jalousement dans ma tête et dans l’organe moteur de ce voyage – celui qui a vibré entre deux battements, à chaque rencontre et sur les routes intermédiaires. Vos visages, je veux les dire ou les écrire. Ils m’ont tant donné. Merci à tous.

Les visages par ordre d'apparition : Danielle Carles, Isabelle Pariente-Butterlin, Murièle Modély, Jean-jacques Marimbert, Youssef Guennad, Marianne Desroziers, William Mathieu, Gribouille, Edith Masson, Christine Saint Geours, Dominique Boudou, Brigitte Giraud, Rose de Miremont, Jany Pineau, Jean-Michel Pineau, Anne Niedlispacher, Michel Brosseau, Christophe Grossi, Astrid Waliszek, Elie, Mathilde Roux, André Rougier, Monique Thierry, Cathy Weber, #lechat, Isabelle Flaten, Jean-Claude Goiri, Franck Queyraud, Eric, Michèle et Hugo Alario, Anna Jouy, Jean François Briffoteaux et son épouse, Marlène Tissot, Laura, Darwin, Lidia Badal.
Les visages envisagés puis manqués : Frédérique Martin, Anna de Sandre, Gaël, Odile Lafond, Catherine Baumer, Thierry Roquet, Emeline Bravo, Béatrice Voirin, Philippe Reguillon, Jeanne, Isabelle Damotte, Caroline Gérard.
Les visages fantômes : Julio Cortàzar et Carol Dunlop (cf. http://www.liminaire.fr/livre-lecture/article/les-autonautes-de-la-cosmoroute)
  • 10.8.15

Jour 11-12-13 – Hägendorf, Fribourg, La Bridoire, Chirens, Valence,Condrieu #TFV #LesVisages

TFV
Je laisse Hägendorf et/ou Teufelsschlucht (je ne sais plus exactement où je suis) derrière moi d’autant qu’on me signale sur Facebook par deux fois que cet endroit est surnommé la gorge du diable. Je me racle la mienne – de gorge – pour nettoyer les scories de tabac que je m’injecte à forte dose, trop souvent. Un coup de coca suisse pour déglutir puis je renfile la route vers la France.
Je vois défiler des panneaux de villes aussi inconnues les unes que les autres au point que je me dis que quelqu’un joue à me faire des blagues, une sorte de jeu à base d’anagrammes bizarres sans jamais que je ne parvienne à trouver la solution. Jusqu’au moment où je vois des noms plus connus : Fribourg et Neuchatel notamment. Fribourg et Neuchatel mais c’est bien dans ce coin que vit Anna Jouy ! A la faveur d’une erreur de parcours (voir billet précédent), je me dis que ce serait très agréable de lui faire la surprise en lui rendant visite. Je m’arrête à l’aire suivante et lui envoie un tweet pour la prévenir. Elle me renvoie son adresse et me voilà parti vers Avry sur Matran près de Fribourg.
Une demi-heure plus tard, Anna m’accueille dans sa maison cossue héritée de son père. Nous nous embrassons tout en découvrant nos visages. Elle est ravie de cette visite impromptue et moi aussi. Le temps m’est compté une fois de plus et je n’ai que quelques poignées de minutes à lui accorder afin ne pas arriver trop en retard ce soir à La Bridoire, près de Chambéry. Elle comprend et la discussion s’amorce sans gêne ni méfiance d’aucune sorte. Nous parlons de sa poésie, de son site, de son vide actuel en écriture. Elle range, me dit-elle, remet en forme des anciens textes, les corrige, les annote pour préparer un ensemble qui bientôt fera recueil. Je l’encourage dans ce sens à dépasser son site « les mots sous l’aube », d’ouvrir son écriture à l’extérieur, d’aller vivre et toucher les gens et les visages comme je viens de le faire pendant dix jours. Cette ouverture lui semble difficile et je lui rappelle combien la démarche m’a coûté, comment moi aussi il aura fallu me faire violence pour me lancer dans un tel pari.
Elle me sert un café, puis deux et une assiette repas bien venue et nous nous quittons tous deux dans la frustration de cette trop rapide entrevue mais heureux d’avoir croisé nos visages.
Merci Ana

Je poursuis ma route sur les petites routes suisses puis l’autoroute vers Lausanne, Genève et retour en France.
J’arrive à la Bridoire vers vingt-et-une heures. Jean-François et son épouse me reçoivent dans leur charmante maison adossée à la colline. On y vient à pied, les gens qui vivent là etc… Je pense à la paix qui règne dans ces lieux tandis que mes hôtes se plaignent du bruit de la route en contrebas. Nous prenons l’apéritif puis Jean-François sert les diots (petites saucisses, spécialités de la région) accompagnés de pommes de terre en lamelles fines. Nous évoquons leurs enfants et tout particulièrement le globe-trotter de la famille parti aux quatre coins du monde et aujourd’hui installé à Shanghaï. Sous la tonnelle, la soirée est douce et les branches d’arbres qui s’entrecroisent sur nos têtes donnent de la fraîcheur et de l’allant à nos discussions diverses.
Nous allons nous coucher vers minuit après avoir gravi les étages et demi-étages de cette maison biscornue et typique d’un temps où les constructions épousaient les contours de la terre comme pour l’habiller.
Je me lève tôt le lendemain 7/08 et après un café, je fausse compagnie à mes hôtes pour errer dans le village. Je croise des chemins en pente, des usines d’un autre temps, des maisons abandonnées, des cabines téléphoniques préhistoriques, des maisons de maitre à l’architecture clinquante : marque d’un temps où les Lyonnais aisés venaient en villégiature dans la région. Je chemine au hasard me laissant guider par l’instinct et je mitraille le petit bourg de photos à instagrammer plus tard lorsque le réseau aura réaffiché ses barres sur mon téléphone.
Jean-François m’amène un peu plus tard faire un peu de tourisme : point de vue magnifique au-dessus des montagnes, visite de la fromagerie et achat de tomes de Savoie, de Dents du chat et du Beaufort pour revenir beau et fort (hum) puis passage près du lac d’Aiguebelle pour prendre quelques clichés du beau bleu régional.
Je laisse Jean-François et son épouse vers onze heures pour rejoindre Valence.
Merci Jean-François.

Je roule vers Marlène d’abord par des routes secondaires avec l’envie rapide de retrouver l’autoroute et ses aires pour pouvoir me poser et reprendre la lecture des « autonautes de la cosmoroute ». La région est belle et verte. Je suis stupéfait d’une telle concentration de chlorophylle tant, dans mon sud, l’été est synonyme de paysage jaune, orange et ocre. Je suis finalement bien ainsi à petite vitesse à négocier chaque virage comme si j’allais m’arrêter sur le terre-plein suivant. Les autochtones me doublent en klaxonnant, certains tendent leur doigt dans le rétroviseur intérieur pour sûrement aller creuser les parois de leur nez.
Plus j’avance et plus la route semble vouloir me parler. Parler à ma mémoire. Je passe sur ces voies pour la première fois et pourtant le paysage qui défile à la vitesse d’une limace rampante me rappelle quelque chose. Une impression de déjà-vu qu’on ressent parfois sans vraiment s’expliquer si cette sensation est issue du rêve ou de la réalité. Je m’aperçois très vite que c’est bien de la réalité dont il est question quand le panneau d’entrée dans Chirens apparaît. Chirens, petite commune d’Isère près de Voiron, me renvoie, dès que Fafnerito pose ses pneus timides sur les premiers mètres de son territoire, vers le souvenir tendre et aussitôt aqueux des grands-parents de mon ex-belle-famille. (Dit-on vraiment d’une belle-famille qu’elle est ex. ?) 
Dés lors chaque hectomètre parcouru dans la ville voit son lot d’émotions augmenter jusqu’à son paroxysme lorsque je m’arrête face au portail de leur ancienne demeure. Je sors de Fafnerito et prends en photos les lieux, la gorge compressée de la remembrance douce d’un Camillo échevelé et d’une Angelotta à la tendresse oursonne. J’envoie deux ou trois photos du lieu à la mère de mes enfants avec un petit mot marquant mon émotion nouée de l’instant. Je dégage ainsi par le partage le dévers d'émoi et continue ma route.

Après une halte petit-déjeuner à Voiron, j’arrive à Valence dégagé du souvenir et décidé à vivre pleinement et dans le présent la rencontre avec Marlène. Je m’installe au bar de la petite vitesse près de la gare en centre-ville. (Le nom du bar me fait sourire, un clin d’oeil au voyage qui n’a eu de cesse de compresser et décompresser le temps dans un esprit de ralentissement des heures et un éloge à la lenteur des aiguilles– Cortazar et Dunlop n’étant pas étranger à cet intellectualisation du périple - fin de la digression)
Depuis le bar de la petite vitesse donc, j’informe Marlène de mon arrivée et dans l’attente, je sirote une bière et mange un sandwich au fromage. Elle arrive dix minutes plus tard, visage solaire et petits yeux bleu timides. Je suis ravi que nous ayons pu caler notre rendez-vous tant il fut incertain jusqu’à quelques heures à peine. Le courant passe très vite malgré les hésitations et balbutiements de Marlène à dire combien elle est timide et que l’exercice n’est pas gagné d’avance pour elle. La discussion sera finalement joyeuse et bruyante. Le choix de la petite vitesse s’est confronté au remue-ménage de la rue jouxtant la gare : bus crachant leur pétrole, scooter braillards et autres klaxons faisant sursauter ma compagne de l’après-midi. Malgré cela, Marlène se détend peu à peu en s’apercevant que l’animal assis à côté d’elle n’a rien de belliqueux et que l’ouverture dans laquelle il se place n’engage rien d’autre qu’à passer un bon moment pour échanger en littérature, en séquence de vie et humanité tout azimuts. Nous passons trois heures ainsi accompagnés de café et d’eau pétillante aussi légers que deux potes se retrouvant après des années de séparation.
Merci Marlène.

Dix-sept heures, je posse mes fesses dans Fafnerito qui a fait une bonne sieste bien méritée. Brave bête que celui-là tout de même. Je prends l’autoroute A7 pour remonter vers Condrieu et Lidia. La fatigue s’abat d’un seul coup sur le pare-brise me brouillant la vue. Je m’arrête à la première aire en n’ayant fait que quelques kilomètres vers le nord. Je m’installe à une table, ouvre l’ordinateur pour écrire les derniers jours mais je n’y arrive pas. Les voitures se bousculent autour de moi, il en sort des énergumènes gouailleurs et suants, des mômes en pleurs et des mères hystérisées par la chaleur. Après un et deux et trois cafés, je reprends le volant de la voiture championne du monde de la résistance à l’agression routière. Je ne suis qu’à une heure de Lidia mais le temps, dans sa distorsion maligne, s’allonge sur le macadam en soulevant des volutes de vapeur comme un mirage. Après avoir frôlé de très prés un bus et par là l’accident fatal, j’entre dans Condrieu ou plutôt le GPS me fait entrer dans Condrieu. Je ne suis plus qu’un humanoïde las obéissant à une voix synthétique.
Je gare facilement Fafnerito et me pose devant un portail en attendant Lidia. Je la vois arriver quelques minutes plus tard depuis la rue voisine. Je n’étais pas devant la bonne porte. Preuve, s’il en fallait encore une, que sans GPS je retrouve ma qualité décevante d’humain égaré. 
Nous nous embrassons avec ferveur et cheminons vers la bonne rue. Je suis une nouvelle fois accueilli dans un sourire, coq en pâte et choyé comme un enfant. Un thé glacé puis une bouteille de vin blanc pour dégrossir nos vies à grands coups de serpes douces.  Je fais la connaissance de Darwin, le chien nounours joyeux qui frétille de la queue puis de Laura, belle demoiselle qui s’enfuit très vite rejoindre la meute des autres belles demoiselles.
Je passe une soirée exquise dans une chaleur torride. Nous passons en revue mon voyage et parlons de l’intime dégrossi en émotions dont je parle ici à tour de cœur. Le repas est bon, le vin se réchauffe et nos mots aussi. Je lui fais remarque que nous aussi débordons sur des choses personnelles. Se livrer ainsi à quelqu’un de quasi-inconnu est le fil conducteur de ce voyage, j’en éprouve encore avec Lidia le bonheur et sa vérité. Nous irons nous coucher ensemble mais séparément. Un gars du nord et de bon goût me lit sûrement, d’où la précision ci-avant qui me semble tout à fait nécessaire.
Je me lève vers six heures trente après avoir aperçu entre paupières molles, le visage et le sourire en banane de Lidia. Armés d’un litre et demi de café, nous pousserons nos discussions de la veille jusque dans leur retranchement le cœur ouvert à l’inconnu et la langue bien pendue jusqu’à onze heures. Je suis satisfait que la dernière nuit de ce voyage se soit passée ici, avec elle. Elle fait sens – Lidia dans la dernière nuit. Parce que Lidia va, elle aussi, faire bientôt un long voyage vers l’inconnu, goûter à la vie avec tout ce qu’elle comprend de hasards et de bonheur issu de ces hasards. Elle va aller à la rencontre d’un homme et d’une région. D’un homme qu’elle aime. Cela suffit comme raison pour pousser le bouchon lyonnais jusqu’au froid piquant d’Amiens. 
Bonne route Lidia et merci.

08/08 14h30 – Je suis sur une aire de repos sur la nationale 7 près de St Rambert d’Albon. L’autoroute du soleil est saturée. Je vais continuer par la nationale.
Un convoi de mariage vient de passer – les pauvres. Il fait un vent à décorner les futurs cocus présents dans la voiture de tête.
Je suis en retard. Je devais être chez Isabelle Damotte à 15h00. C’est foutu
C’est le dernier jour du voyage. Ce soir je rejoins des amis à Vauvert. Demain, il faudra gérer l’après…
  • 8.8.15

Jour 10-11 – Mulhouse, Teufelsschlucht, La Bridoire #roadtrip #TFV #LesVisage

TFV
05/08 15h30. La galette de pommes de terre dégustée une heure plus tôt au salon de thé Kougelhoff à Strasbourg me leste par le dedans et mes pas deviennent lourds. J’ai maigri depuis le début du tour. Je m’en suis aperçu ce matin en croisant une balance dans la salle de bains de Franck. Mais à cet instant, je me fais l’effet d’un pachyderme. Je rejoins par hasard un groupe de Chinois dotés d’écrans à matrice active. Ça balaye les pixels sur les couleurs criardes des façades. Ça braille aigu et les suivant, j’ai l’impression d’être un géant au pays des schtroumpfs. L’image n’est pas de moi, elle me revient de Montmartre lorsqu’Astrid m’avait parlé de ce patchwork de couleurs et du pays de Gargamelle. Les chinois me trainent de ponts en arches, de pavés en cascades et je chemine derrière eux comme si j’étais un accompagnateur touristique. Les arrêts intempestifs de ces accros de la mise à point m’agacent et à la faveur d’un SMS de Franck m’invitant à visiter le jardin botanique de l’université, je bifurque à la prochaine intersection et laisse mes Chinois à leur chinoiserie. 
Je retrouve Fafnerito que j’avais stationné au parking souterrain de la gare. Je fouille mon sac, mes poches puis le siège avant et encore le siège arrière. Le ticket de parking a disparu. Je refais mentalement les gestes du matin lorsque je suis entré dans le parking. Ticket, poche, sac, fente de l’autoradio, pare-soleil… Rien. Le monsieur à l’accueil du parking bien que très aimable n’est pas conciliant et je repars avec une note de parking comme si Fafnerito s’était fait un break de vingt-quatre heures. Ma tête, cette masse pesante qui surplombe mes épaules, peut s’avérer tout aussi légère qu’une baudruche. Ça me rassure un peu sur mon impression pachydermique postprandiale.
Je roule au pas vers le jardin botanique et j’y arrive peu avant dix-sept heures. Franck me renvoie un SMS pour m’inviter à boire un verre à la Taverne française. Je décline avec regret mais mon allure désormais légère d’éléphanteau a mis en défaut une fois de plus mon emploi du temps et après une petite heure passée à apprécier le calme du jardin, je reprends le volant pour Mulhouse.
Je m’arrête deux fois sur l’autoroute. La seconde me paraît un acte de survie tant la fatigue écosse des lentilles dans mon corps et bloque les rouages de mon attention routière. Un café, cinquante litres dans le ventre de Fafnerito, un autre café, quelques pages de Cortazar et Dunlop, une photo de cigogne postée sur facebook (c’est toujours mieux que les chats) et comme roué de coups dans le dos, je repars.

J’arrive à Mulhouse aux alentours de vingt heures et Eric m’accueille avec les bras écartés et la petite tape dans le dos, visiblement heureux de me voir. Son débit de paroles contraste avec mon silence intérieur et ma fatigue accumulée. Il me somme de déplacer Fafnerito de la place payante de parking (que je n’ai pas payée) pour le stationner à l’arrière de son immeuble où il dispose d’un emplacement privatif. Je m’exécute et il m’accompagne jusqu’à la voiture me détaillant au passage les places, les rues et autres endroits de la ville comme un dépliant touristique. Arrivés à ladite place, je remarque au sol une signalisation de stationnement réservé pour handicapés. Je lui fais la remarque, une fois, deux fois et il me dit que ça n’a pas d’importance, qu’il se gare ici tout le temps. Je suis étonné, gêné même mais je gare Fafnerito à cet emplacement en faisant confiance à Eric.
Nous montons à son appartement où je fais la connaissance de Michèle, sa compagne et Hugo, son fils. Nous prenons l’apéritif sur la terrasse. Le crémant d’Alsace bien frais descend dans ma gorge comme du petit lait et la discussion est tout aussi douce et légère que mes papilles en bulles. Nous évoquons son engagement politique, le blog « Eric Mulhouse » qu’il a tenu pendant de nombreuses années dans lequel il faisait le relai de ses actions militantes. Nous parlons des copains de cette époque, entre 2006 et 2009, (nous ne sommes pas très sûr des années mais nous les évaluons pour se souvenir) de Nicolas du Kremlin-Bicêtre véritable pierre angulaire de la blogosphère politique, du Coucou de Claviers disparu trop tôt écrivain et chroniqueur de talent, de Gaël et son avatar en écureuil de Tours…
Michelle écoute. Eric me dit qu’elle est réservée, que c’est une fille d’Alsace, qu’ici les gens sont moins extravertis que dans le sud. Il est originaire de Saint Raphaël ou de la Ciotat, je ne sais plus. En tout cas, il parle des deux avec les mêmes tendresse et nostalgie.  Je me dis qu’à moi, l’inconnu, cela a du être difficile pour Michèle d’ouvrir les portes de son foyer. Encore plus que les autres visages. Au fil de la soirée, Michèle se détend et je n’y pense plus. 
Eric est au fourneau et fait rissoler les légumes et cuire la barbaque. Soudain j’aperçois dans ses gestes précis de cuisinier-chef de la maisonnée son épaule et son bras désaxés par rapport au reste de son corps. Dans un éclair jaillissant entre deux synapses, l’image de la signalisation pour handicapés s’imprime en transparence sur la porte du four. La honte m’attaque les centres nerveux et je crois qu’Eric le voit dans mon regard. J’hésite à aborder le sujet. Ma maladresse de tout à l’heure me paralyse. Il parle beaucoup et je n’arrive pas à enclencher le sujet. Nous n’en parlerons pas et c’est certainement mieux ainsi.
Nous dînons copieusement dans la bonne humeur : brochettes, légumes farcis et lards grillés à point, le tout accompagné d’un vin rosé bien frais.
Nous allons nous coucher vers minuit en nous disant au revoir car le lendemain, tous les deux se lèvent tôt pour aller travailler. Avant de regagner nos chambres, Eric me donne les consignes pour demain. Michèle me montre la machine à café, met la boîte à sucre en évidence. Ils m’offrent une bouteille de vin blanc que je place à côté de mon bol du lendemain pour ne pas l’oublier. Eric veut faire un selfie et malgré ma tête défoncée de pachyderme désormais éméché, j’accepte. Nous posons les sourires en virgule et les traits tirés devant un beau tableau accroché au mur. Clac dans le réseau.
Je me réveille vers huit heures après un sommeil profond et réparateur. Michèle est déjà partie et Eric se douche. Je prépare mon café sans rien avoir à chercher dans la cuisine. Je prends des photos de leur intérieur et Eric me rejoint. Il me distille à nouveau des conseils pour que mon départ se passe dans les meilleures conditions : attention de ne rien oublié car une fois la porte claquée impossible de rouvrir. Ne pas prendre l’ascenseur car il est sécurisé par une clef qu’il faut glisser à l’intérieur. Prendre les escaliers donc. Descendre et tourner à gauche. Je pense à la voix féminine de mon GPS et je me dis que bien que ses conseils soient d’une précision inquiétante, je les prends volontiers tant au fil du voyage j’ai pu maudire mon côté distrait patenté.
Il me quitte vers neuf heures dans une accolade et deux bises claquantes. Je me trouve à nouveau seul ou presque (Hugo le geek dort encore). Je fais le tour de mes notifications, poste des photos de Mulhouse et de l’appartement où je me trouve. Je me douche et range mes affaires, leur écris un mot de remerciement avec le feutre aimanté trouvé sur le frigo et je claque bien la porte, ne prends pas l’ascenseur, tourne au bon endroit et retrouve Fafnerito affalé sur le bitume. Je regarde un instant la marque au sol entre ses pattes arrières et il me semble que la signalisation s’est un peu effacée depuis hier soir. Le fauteuil roulant n’a plus de roues.
Merci Eric, Michèle et Hugo.

Il est 14h30 – Je suis sur une aire d’autoroute à Teufelsschlucht en Suisse. J’ai mal orienté Fafnerito et me voilà en Suisse. J’ai dû m’acquitter de leur vignette d’autoroute, ce qui avec le parking d’hier, commence à faire des dépenses bien idiotes. J’ai acheté du Toblerone mais il est désormais fondu. Du chocolat à boire pour tout à l’heure. Je vais reprendre cette route aux panneaux vert perturbants pour me diriger vers La Bridoire, près de Chambéry où m’attendent Jean-François et son épouse. Encore trois bonnes heures musicales dans la carcasse de Fafnerito.

  • 6.8.15

Jour 9-10 – Paris, Metz, Nancy, Strasbourg #roadtrip #TFV #LesVisages

TFV
03/08 aux alentours de midi. J’enfourne mes bagages dans le four arrière de Fafnerito tandis qu’Astrid du haut de sa terrasse, toujours à l’affût du bruit des fenêtres, prend une dernière photo de la scène. Je referme le coffre, jette un rapide coup d’oeil vers la terrasse dans un dernier sourire. Je ne la vois pas, en aveugle de la partance. Le départ est toujours un moment délicat dans lequel se mêlent déjà souvenirs et angoisse.

Je sors de Paris et m’engage sur l’autoroute A4. Je roule chargé de vie, de regards, de visages ouverts dans lesquels j’ai lu la tendresse de l’accueil et l’intelligence du cœur.
Je mets Fafnerito en pilote automatique, limiteur de vitesse à minima. 108 km/h pour éviter la contredanse et dans les oreilles, le bourdon de Chet Baker danse sur les vocalises de Billie Holiday. Très vite, j’ai envie d’écrire les trois derniers jours et je me mets à l’affut de la prochaine aire de repos. Je cherche le bel endroit, pas une aire commerçante avec station-service intégrée et Mc Donalds à hamburgers bruyants. Il me faut la zone simple aussi simple que les aires d’autoroutes parcourues par Cortazar et Dunlop en 1982.  Une aire à « autonautes » pour observer « l’autoroute des autres » au pays de « parkingland ». Je trouverai le graal quelques kilomètres plus tard. Fafnerito dans l’herbe et mes fesses sur la pierre, je serai seul ou presque dans la douceur de l’après-midi à convoquer la mémoire des dernières heures. Les faits sont temporellement proches mais ils m’échappent ; la masse d’informations à recueillir et à consigner est si importante que je dois avoir recours aux photos pour retracer correctement la chronologie des évènements.
16h30 et je redémarre Fafnerito rassasié d’avoir brouté l’herbe fraîche pendant quelques heures. (Je goute un instant combien au fil de ma lecture et de mon périple, « les autonautes de la cosmoroute » influence le récit de mon voyage.)

J’arrive en début de soirée chez Cathy, à Metz. Une fois à proximité de son domicile, je me trompe à nouveau de sens dans la dernière rue. Mon orientation est aussi fiable que mon état physique et quand il s’agit de pratiquer mon GPS à pied, cela revient à me balancer dans une quatrième dimension.
L’accueil est chaleureux et impressionné. La jeune femme semble intimidée par ma présence et me remercie vivement de faire étape chez elle. Comment dire sans tomber dans les courbettes que c’est moi qui dois me perdre en remerciement pour l’accueil que chacun des visages me réserve. Je suis fatigué, elle le remarque. Avant le repas, je prends une douche réparatrice tandis que Cathy embaume son charmant appartement d’odeurs culinaires qui me font saliver. Nous dînerons dans sa salle à manger en sirotant un bon vin rouge dont j’ai oublié le nom.
Cathy travaille à Luxembourg, fait le trajet matin et soir, plus d’une heure trente tous les jours. Elle ne s’en plaint pas mais une certaine lassitude se sent entre les mots, fatigue des va-et-vient mais aussi épuisement de son travail actuel. Je pense à mon emploi et à la même lassitude qui m’assaille si souvent. Nous parlons lectures évidemment. Cathy tient un blog de chroniques et critiques depuis plusieurs années. C’est une dévoreuse de livres et sa passion est communicative. Nous évoquons les visages passés, de l’émotion transporté de porte en porte et tout cela nous poussent tard dans la nuit jusqu’au jour prochain.
Je me couche sur son canapé vers une heure du matin, harassé mais heureux.
Le lendemain tôt je fais le tour de l’appartement en compagnie de #lechat qui me suit dans chaque découverte. Je prends des photos tout en faisant attention ne pas tomber dans le vol d’intimité. Cathy me rejoint quelques heures plus tard. Nous avions prévu que je l’accompagne à Luxembourg ce matin mais le gris Messin et la pluie qui redouble nous en dissuade. Je la quitte vers neuf trente en voulant sortir de l’appartement par la porte de sa penderie, ce qui habille mon départ de rires et chaleurs. (Penser à télécharger l’appli. GPS pour appartement inconnu)
Merci Cathy.

Je prends la route pour Nancy à vitesse réduite. Comme Cortazar et Dunlop sur leur autoroute entre Paris et Marseille, je veux convoquer la lenteur, m’arrêter souvent pour lire, boire, manger, regarder, écouter, rêver. J’ai un peu de temps avant de rejoindre Isabelle Flaten. Je n’en fais pas grand-chose et c’est bien.
A quatorze heures, j’arrive dans un quartier au calme qui m’interpelle. Après Paris la bruyante et Metz la pluvieuse, le soleil et l’apaisement sont au rendez-vous. Isabelle m’accueille avec un plaisir non dissimulé. Nous nous connaissons peu sur le réseau. Découverts récemment grâce à la revue FPM dans laquelle nous avons été publiés tous les deux, nos univers se sont croisés et désormais ce sont nos visages qui se parlent. L’entrevue est douce autour de cafés et macarons qui sourient.
Isabelle ne sait pas parler. C’est ce qu’elle dit à chaque fin de phrase. Je la trouve pour ma part éloquente et si, de fait, ses propos sont hésitants ou hachés, son corps et ses gestes se chargent largement de compenser le trouble. La discussion est animée et très agréable. Elle me pose beaucoup de questions sur le tour, s’émerveille de l’idée, me confie l’hésitation, au vu de notre récente connexion facebookienne, qu’elle a éprouvé avant de m’inviter. Elle est ravie d’avoir surpassé ce doute et moi aussi. Nous parlons littérature évidemment, beaucoup. Les auteurs et leur évocation font l’effet d’une douche bienfaitrice et bientôt, Isabelle va jouer le zébulon en bondissant à plusieurs reprises de son fauteuil vers sa bibliothèque pour me faire découvrir plusieurs livres (les siens) et ceux des autres.  Nous abordons aussi comment nous sommes arrivés en littérature, quel est notre parcours de vie qui nous a amené à cette rencontre et très vite nos lectures provoquent des émotions fortes. Le moment est délicieux en bouche comme les macarons que j’enfile goulument. Je repars avec un sachet de congélation plein d’un kilo de livres offerts. Je veux en retour lui offrir Mordre la neige d’Anna de Sandre mais elle refuse catégoriquement, remettant le recueil dans mon sac avec autorité. Elle accepte néanmoins la bouteille de vin que je sors du ventre de fafnerito et l’embrassade est tendre et sincère.
Merci Isabelle.

Je suis encore en retard. Une heure à rattraper sur ma feuille de route. Une heure que je ne rattraperai pas et qui plus tard me fera rater la rencontre avec la compagne de Franck Queyraud. Fatalement, il était prévisible que mon absence au temps finisse par avoir des répercussions désolées.
Quelques hectomètres seulement et je rejoins Jean-Claude par les rues de Nancy. Je tourne, vire, laisse tomber le GPS qui ne sert qu’à me perdre encore un peu plus. J’arrive vers dix-sept heures au siège de FPM (Festival Permanent des Mots, jeune revue qu’anime Jean-Claude en enfilant les numéros avec une célérité qui fait plaisir). Nous évoquons la revue et son avenir, ce qu’il y met dedans de lui et de ses lectures en ligne, des recherches d’auteurs qu’il effectue sur les blogs via Google, notre ami à tous. Il a l’air fatigué et d’ailleurs me dit que la période est à la récupération, au repos estival avec sa compagne et ses enfants. Nous passons un peu plus d’une heure ensemble et je repars avec le numéro 6 de la revue qui sort en septembre. Je sors dans la rue, cherche Fafnerito et étonnamment tombe sur lui en quelques minutes alors qu’à l’aller j’avais tourné une demi-heure avant d’arriver à bon port. Décidément, la géographie des villes demeure un grand mystère pour moi. Dans la voiture, je repense à Jean-Claude et combien il est touchant à attacher la littérature par le petit bout des blogs, publications  si décriées dans les milieux littéraires qui se veulent autorité.
Merci Jean-Claude.

J’oriente Fafnerito au sud vers Strasbourg et la route en fin de journée est difficile. La fatigue s’accumule mais elle est bien petite par rapport à la plénitude que ce voyage et vos visages me procurent. Je vais arriver tard et j’en informe Franck. Je m’arrête faire une pause sur une aire déserte comme je les affectionne. Si déserte que la société de l’autoroute a même oublié de construire des toilettes. Je m’installe, ordinateur sur table en pierre face à l’autoroute, pour publier quelques photos mais le faible réseau m’en dissuade. Je reste hagard sur cette aire pendant une demi-heure à lutter contre le faible débit de mon téléphone et de mon cerveau.
J’arrive à Strasbourg vers vingt-et-une heures. Franck m’attend, la table dressée et le pinot noir débouché. Sa compagne qui doit se lever tôt le lendemain est allée se coucher et, me dit-il, est désolée de ne pas avoir pu me rencontrer. Je suis gêné par mon retard et réitère mes excuses dispensées quelques heures plus tôt par SMS, d’autant que cette course à la lenteur me prive d’un visage supplémentaire. Nous prenons le temps, malgré l’heure tardive, de déguster deux bières brunes rafraîchissantes. Elles se diffusent dans nos têtes et amorcent une discussion fluide et passionnée sur le travail et la mission de Franck en bibliothèque puis en large débordement sur la littérature que nous aimons.
Le pinot noir et les Flammekueches cuites à point ++ viennent titiller nos papilles et la transmission du savoir chère à Franck se marie harmonieusement avec ma curiosité. Je note plusieurs recommandations. Il m’offre des livres importants pour lui, notamment de la science-fiction « intelligente » loin du cliché de la guerre des étoiles dans laquelle Franck puisse l’imaginaire nécessaire à sa vie.
Je me couche peu après avoir franchi l’autre jour et franchi l’autre tout court, son visage désormais en mémoire.
Le lendemain vers sept heures, je suis tout près de Florence, la compagne de Franck, elle se douche et je suis aux toilettes attenantes. Pas vraiment l’heure ni l’endroit pour faire connaissance. J’attends que l’eau de la douche coule pour sortir de ma cachette et regagner ma chambre à pas de sioux. Je poste quelques photos et Franck me rejoint pour le petit-déjeuner. Nous reprenons le cours de notre discussion là où nous l’avions laissée la veille. Plusieurs nouvelles évocations de livres, d’engagements littéraires forts dans le travail de Franck. Nous parlons ici de transmissions du savoir, de l’utilité du Lire dans une société qui trop souvent est présentée en perdition culturelle. Il me donne à lire un fascicule « fondateur » de Neil Gaiman. Courte retranscription d’une conférence de l’auteur qui a le mérite en quelques mots simples de poser les enjeux dans le domaine. (« Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture et de l’imagination » publié Au Diable Vauvert)
Neuf heures. Il y a quelques heures, je ne connaissais pas Franck et voilà qu’il se prépare à aller travailler en laissant vaquer dans son antre un quasi-inconnu. L’étrangeté de l’instant me laisse perplexe et quand je referme la porte sur Franck, l’irréalité de la scène me saute aux yeux. Je me retrouve seul et hésitant dans cette maison que je découvre pour la première fois à la lumière du jour. Je prends quelques photos et vais me doucher. Je quitte l’appartement vers dix heures. Figé sur le seuil, la main sur la poignée de la porte, une nouvelle émotion me parvient sans vraiment savoir qu’elle en est la teneur. Je claque la porte vivement pour m’assurer qu’elle se ferme bien et dévale les escaliers comme si je fuyais.
Merci Franck
https://naturewriting.wordpress.com/ (Rick Bass et les nature writers)

05/08 Il est quatorze heures et quelques. J’ai faim et la carte du Kougelhoff (pourquoi tant de haine pour la diction dans cette région ?) me propose une galette de pommes de terre au munster chaud. Je crains l’haleine tue-mouches mais je peux me le permettre, je ne croise les prochains visages que ce soir à Mulhouse où Eric et sa compagne m’attendent.
  • 5.8.15

Jour 7-8 – Montreuil, Paris #roadtrip #TFV #LesVisages

TFV
03/08 7h - Je sors d’une nuit à la belle étoile sur une terrasse en plein Paris, tout près de Montmartre. J’aurai voulu fictionner mon parcours, je n’aurai jamais pu inventer un tel moment. L’air est doux et sur les pavés, j’entends des talons qui claquent. Mon hôte toussote et sort de sa nuit comme on hisse un drapeau.

Le week-end une nouvelle fois a été dense. Samedi matin, j’ai déposé Christophe à la gare de l’Est. La partance est toujours délicate. Il va voyager vers Strasbourg, retrouver son fils et ses « Mi Ricordi ». Il écrira d’autres « Je me souviens » dans le train à moins qu’il ne capte en déplacement des grains d’instants pour alimenter la jauge de son instagram. Je l’embrasse devant une grille, Fafnerito en double file. Christophe aussi me double, souvent. Christophe et Christophe, une évidence. Il file. Je ne veux pas le quitter.

Je passe la journée à Bastille à écrire les jours 5 et 6 de ce tour, puis Place des Vosges où j’écrase une sieste d’une heure sur la pelouse fraiche. En fin d’après-midi, je trouve la belle Mathilde au bord du Canal de l’Arsenal de Bastille. Nous nous baladons autour du canal et je parle beaucoup de moi. Je fais la remarque à Mathilde en voulant me dégager de mes propos nombrilistes pour en apprendre davantage sur son parcours et je serai surpris qu’elle s’en offusque. Nous parlons littérature bien sûr, web littéraire évidemment mais aussi de ce qui me préoccupe, à savoir de l’intime que je reçois des visages à chaque passage. De l’intime à valeur et intensité variables mais à chaque entrevue prise dans l’étau du temps, apparaissent des confidences diverses qui sont d’habitude réservées, me semble-t-il, au plus proches amis. La question et les enjeux restent ouverts et c’est certainement mieux ainsi.
Nous flânons dans Paris et une vraie présence d’amitié circule entre les murs. Nous atterrissons sans vraiment l’avoir décidé à l’hôtel de Sens où se cache une magnifique bibliothèque. Malgré que l’accès soit réservé aux abonnés, nous obtenons sans rien demander l’autorisation de visiter. Il semble que notre parcours non balisé soit totalement ouvert devant nous, et que rien ne puisse vraiment l’empêcher d’exister. Nous terminons cette entrevue rapide autour d’un Vittel fraise et d’un Perrier tranche (à lire avec l’accent du sud ; veuillez bien appuyer sur le phonème en AN). Le Vittel fraise de Mathilde qui en fait est un Evian nous fait sourire de par son côté enfantin et suranné. Je quitte Mathilde devant le parking où se repose Fafnerito depuis huit heures le matin. Dans les yeux de Mathilde, une émotion perceptible. Je cache la mienne pour ne pas me laisser déborder. Nous nous promettons de se revoir très vite. C’est de l’allant sincère mais nous savons tous deux que l’implacable distance géographique qui nous sépare demeurera un frein.
Merci Mathide

Je roule dans Paris et la place de la Concorde dans son immensité m’angoisse autant qu’elle me ravit. Ce large cercle pavé autour duquel un troupeau de voitures s’apprivoise est aussi beau qu’un ballet équestre. Les sabots pneumatiques claquent sur le pavé et me secoue de l’intérieur alors que dans le coffre de la voiture tintent les bouteilles de vin - offrandes à mes hôtes futurs. Vingt minutes de slalom géant dans les artères de la capitale et me voilà au pied de l’immeuble où habite Astrid. A peine arrivé, je la vois surgir – robe rouge – dans la rue. Elle est étonnée de tomber ainsi sur moi. Premier croisement de regards dans un sourire. Je stationne Fafnerito et la rejoins. Je me trompe d’étage, erre un instant dans l’attente qu’elle m’ouvre la porte. Aucun nom sur les portes pour m’indiquer sa présence et je finis par comprendre qu’elle n’est pas au second étage mais au troisième. 
L’appartement est beau et large, décoré avec goût. Je m’y sens bien dès les premières secondes. Sur la terrasse, je découvre la vue des fenêtres. En exergue, ses textes courts publiés sur facebook, je me rappelle. De ses fulgurances qui vous emportent, l’imaginaire en miroir. C’est excitant de découvrir les lieux où la création se fait, de côtoyer les murs qui ont vu se clore Topolina et d’autres textes de l’auteure. 
« Le vieil homme du premier est parti. Ses beaux et lourds rideaux blancs sont fermés, reste une petite fente ouverte sur le noir. Il n'est pas assez vieux pour que je ne pense pas qu'il est parti en vacances, les gens qui ne travaillent plus s'en vont aussi. Pourquoi alors cette petite angoisse de me dire et s'il ne revenait pas ? Le soleil tape fort, il est blanc, sauvage dès le matin - ça doit être pour ça.
(Vue de ma fenêtre) »
Astrid Waliszek - statut publié le 01/08/2015
Nous faisons connaissance et la parole est fluide, les sourires larges. Elle me présente Ellie, son fils. Je trouve un jeune homme pareil au mien, quinze ans et du rêve plein la tête. Il joue à des jeux en ligne, beaucoup (trop, sûrement) comme nombre de jeunes gens de son âge. Encore une similitude avec mon fils, accroché à ces mondes parallèles, univers paradoxalement très factuels et qui offrent une évasion enviée, celle-là même que l’adolescence peine à trouver dans la réalité. Astrid et Elie sont beaux ensemble. Je redécouvre l’handicap d’Elie que j’avais étonnamment oublié. L’autisme me fait face et je le prends comme il est, sans intellectualisation ni gêne. Elie est mon fils. Mon fils est Elie. La preuve, ils jouent tous les deux à League of legends.
Nous dinons tous les trois puis laissons Elie défoncer sa souris pour rejoindre Montmartre. La nuit et Astrid sont douces. Je suis bien dans ce décor de carte postale. Astrid m’en extirpe en me faisant découvrir SON Montmartre. Les lieux rencontrés et racontés par ceux qui les vivent sont bien plus intéressants. C’est une évidence à laquelle j’accroche une nouvelle fois mes wagons. Le train est rapide, les verres de l’amitié nombreux. Elle aborde les gens avec une telle ferveur que j’aime à me décaler pour l’observer. On lui décoche des sourires amples, des accolades généreuses. C’est la princesse de Montmartre ! Le vin blanc est frais et ma tête chauffe. Nous essayons de compter les verres mais même le lendemain le dénombrement reste flou. Comme les verres, au bar ou attablés, nous enfilons les sujets les uns après les autres sans programmation ni séduction exagérées. Je suis juste bien et heureux avec elle dans un Paris qui d’habitude m’affole par sa pesanteur et la multitude de ses visages. 
Nous rentrons tard dans la nuit et je me couche au côté d’Elie. Il dort à poings fermés. Même s’il ne peut pas m’entendre correctement, je reste à pas feutrés pour ne pas le réveiller jusqu’à atteindre mon lit dans lequel je m’écrase dans un relent aigre doux d’alcool.
Le lendemain, la grasse matinée me tiendra lourd sur ma couche jusqu’à neuf heures. Le soleil a déjà envahi la terrasse et les fenêtres d’en face ne se voient qu’en aveugle, une main au-dessus du front. Il y a toujours un mouvement derrière les rideaux qui appelle Astrid à l’attention. A plusieurs reprises, elle lâche des regards et m’invite à la rejoindre dans sa rêverie. Rêverie qui devient vite fiction, carburant de son écriture. Je repense à Christophe Grossi et son infraordinaire modelé en fragments. Astrid travaille la même matière mais la façonne en mini-romans (vue de ma fenêtre) laissant au lecteur le loisir de les déplier en œuvre imaginaire.
Nous sortons en fin de matinée pour prendre le petit-déjeuner au TERRASS HOTEL. La vue de Paris depuis la terrasse du septième étage est somptueuse. Elle pourrait couper le souffle ou je pourrais l’affubler en métaphore pompeuse comme le toit du monde, mais ces expressions aussi convenues et explicites qu’elles soient ne peuvent pas exprimer toute la splendeur du point de vivre que j’éprouve. Nous avons raté le petit-déjeuner servi uniquement jusqu’à dix heures trente (le temps, cet insaisissable, nous file entre les langues) mais que cela ne tienne nous y reviendrons le lendemain en prenant soin de changer la couleur de la robe d’Astrid - si coquette lady au point d’enchainer les hommes à la terrasse et à la teinte de ses toilettes.

En milieu d’après-midi et après une rapide sieste, j’enfourche Fafnerito pour trouver André et Monique à « l’écritoire », place de la Sorbonne. André arbore un polo jaune qui me fait garder mes lunettes de soleil malgré les ombres douces qui caressent notre table. Nous nous saluons d’une bise confraternelle, avec à nouveau l’impression que nous sommes des inséparables au sens volatile des perroquets du sud de l’Afrique – et rapport aussi certain avec la couleur du polo. 
Monique nous rejoint quelques minutes plus tard, lunettes cerclés de rouge ou d'orange et discrétion quasi-muette tant débrayer la logorrhée d’André apparaît comme un travail de forçat. Cet homme est touchant de sensibilité et de culture, son verbe est haut et haletant. Je l’écoute religieusement même si parfois, à la faveur d’une bière assommante, je le perds dans les interstices subtiles de son raisonnement. J’apprends entre autres choses qu’il va enfin être publié chez publie.net en numérique et impression à la demande (dès septembre me dit-il). J’en suis ravi pour lui qui n’avait de cesse jusqu’alors de se poser des questions existentielles sur son écriture et la publication éditée. Monique est tout aussi heureuse de cette nouvelle et sa complicité ancienne avec André ne semble pas souffrir de cette monopolisation de la parole. J’étais venu pour l’entendre et l’écouter, cela a été amplement le cas. Monique évoque les blogs avant Facebook et Twitter. Elle a arrêté toute publication internet depuis et la nostalgie de cette époque, aussi récente par le temps qu’elle nous semble éloignée au regard des mutations rapides du web et du web littéraire plus particulièrement, cette nostalgie donc, nous renvoie naturellement à parler du regretté Dominique Chaussois, Pluplu du blog Depluloin pour les extimes, artiste et auteur magnifique fort en loufoquerie et présence affable sur le web. http://jamais-de-la-vie.over-blog.com/
Je quitte André et Monique en fin d’après-midi pour retrouver Astrid et Elie. 

Un rendez-vous prévu le soir sera annulé et nous passerons une seconde soirée tout aussi agréable que la première en évitant de remonter à Montmartre où, il faut se l’avouer, il pleut du vin blanc comme s’abattent les rayons du soleil sur cet été magnifique. Après un verre rapide en ville, nous retournons sur la terrasse, sur MA terrasse. MA terrasse : Quand j’aime, je vire vite les pronoms indéfinis pour les rendre possessifs. D’ailleurs, l’évocation de dormir à ciel ouvert en face des fenêtres passe vite de son état hypothétique et enfantin à la réalité grâce à deux coups de mains habiles d’Astrid qui transforment le canapé en lit douillet. Un oreiller et une couette compléteront le théâtre de ma nuit.
Quelques lignes des « autonautes » et je m’endors aussi vite que la veille malgré le bruit des véhicules sur les pavés et l’air frais qui s’engouffre entre mes orteils. La nuit sera néanmoins peu agitée malgré un réveil bien avant le soleil. Je retrouve alors mes habitudes matinales à fortes doses de café et de Twitter par la tête #parlatete. https://twitter.com/hashtag/parlatete
J’apprécie la maison hôte endormie. L’intime affleure mais ne me blesse pas. Je suis de passage, en dedans quelques heures pour juste en effleurer l’instant.
Astrid me rejoint vers huit heures, réveillée comme un seul homme. Je sais pas là, je sais pas là à ce moment précis, combien cette femme est femme. Nous reprenons notre discussion toujours en inspiration et observation des fenêtres : le petit chat noir malingre qui glisse sur les bordures, l’homme torse nu qui fait lâcher un petit cru aigu à Astrid, les jeunes tourtereaux qui quittent la fenêtre pour s’embarquer dans un beau et ancien cabriolet pour une semaine de route et cabrioles folles.
Fin de matinée, nous réussissons au quart d’heure prés à ne pas louper la fin du service au TERRASS HOTEL. Un petit-déjeuner continental pris entre deux paroles qui s’intiment et l’envie de ne plus partir me reprend. Rester à Paris dans un tel cadre tient du rêve. Le tirer à soi trop longtemps pourrait le casser. 
Je salue Elie réfugié dans sa chambre. Il se tourne vers moi avec son sourire à lui et ses mots ceignant l’air: « Salut. Ferme bien la porte s’il te plait. » Mes sacs sont prêts. Je tourne un instant dans l’appartement pour voir si je n’ai rien oublié mais je sais que c’est simplement pour retarder le départ de quelques minutes.
Astrid m’offre une belle accolade comme celles qu’elles dispensent aux gouailleurs de Montmartre. Nous échangeons nos gentillesses et nos solitudes heureuses et je prends l’ascenseur le cœur lourd d’une nouvelle amitié.
Merci Astrid.
Merci Elie.


03/08 - Il est 16h00 sur l’autoroute A4 comme ailleurs mais depuis le départ, il me semble que les aires d’autoroute sont des espace-temps définis, des îlots de réalité où je retrouve le rythme des journées et que, le reste de ce temps parcellaire, les visages et les lieux que je rencontre sont ailleurs, plantés dans l’emballement et l’émotion d’une humanité fantasmée.
Je suis attendu à Metz chez Cathy pour la fin de la journée

  • 3.8.15

Jour 5-6 – Lacanau, Saintes, Nantes, Orléans, Paris #roadtrip #TFV #LesVisages

TFV
La pluie fine à Lacanau Océan dès le réveil, un dix-huit degrés qui réveille et une nuit seul à apprécier les rencontres passées ces quatre premiers jours. De l’émotion aussi à la lecture du billet de Dominique Boudou. Elle me tire au matin un sourire avec quelques sanglots dans la gorge quand je relis les mots bienveillants de cet auteur qui me touche tant. Je remballe ma sensibilité dans la trousse de toilettes et reprends la route à treize heures après avoir pris quelques embruns d’océan près du Kayok, restaurant surplombant la plage. 
Arrivée à Saintes en milieu d’après-midi où je rejoins Rose dans son charmant appartement lumineux. Un café et la discussion s’anime, légère et insouciante. Au mur, une photo de mains en noir et blanc attire mon oeil. Un artiste que connaît bien Rose, de ces artistes d’un autre temps, amis des stars des années cinquante et soixante. Rose me parle avec émotion de Gérald Bloncourt, me montre ses livres de photos, me dit combien l’amitié de ce désormais vieux monsieur compte pour elle. Comme moi, elle semble (re)découvrir ces années-là par des clichés surannés. Cette mémoire en noir et blanc, ces personnages célèbres ou anonymes qui par le talent du metteur en boîte argentique, nous font revivre des instants magiques. Nous n’éviterons pas le sujet qui la touche en ce moment, au plus près de son intimité. La maladie doit être un sujet dont on parle, avec simplicité et sans emphase. Elle m’écrira quelques heures plus tard qu’elle m’a trouvé les traits tirés, fatigué. Que dire de cette bienveillance quand on sait ce qu’elle a traversé et traverse encore. Rien mais avec plein de cœurs enrobés de rhubarbe. 

Fin de soirée sur la route, j’ai des crampes au mollet droit comme un sportif qui ne se serait pas assez échauffé. Pourtant je suis chaud, bouillonnant de bonheur mais aussi empli de l’intime que les visages et leur histoire me laissent dans tout le corps. J’arrive au Pallet près de Nantes vers  vingt-et-une heures. Pas besoin de sonner à la porte, deux molosses au jappement affolé se chargent d’annoncer mon arrivée. Jany vient m’ouvrir et parque les chiens dans son salon pour éviter qu’ils ne me bouffent. Je ne le montre pas mais les crocs pointus et pointés vers moi me flanquent une trouille qui me sort rapidement de la léthargie de la route. 
Les chiens me sentent partout, lèchent mes mains et nous faisons connaissance tranquillement. Très vite, ils m’acceptent comme Jany et Jean-Michel qui à coup de Grinbergen et de Muscadet brisent une glace qui n’a même pas eu le temps de prendre. Nous devisons sur nos vies, nos parcours professionnels et rapidement la Bretagne s’invite à notre table. Par la grand-mère bigoudène dont la présence est palpable dans leurs têtes comme dans leurs cœurs. Elle s’invite à notre table par l’entremise d’une photo que va chercher Jany dans, j’imagine, sa chambre à coucher. Elle me montre cette vieille dame qui me rappelle ma Mamé Marie. Même posture droite et même austérité qu’un sourire ouvert contredit. Elle passera le restant de la soirée avec nous comme une vigie, un aïeul en veille. Les verres de muscadet s’enfilent dans les gosiers et en guise d’entrée un bol de bigorneaux vient faire de l’oeil à la grand-mère. Je suis d’une maladresse grotesque pour dépiauter ces bestiaux, ce qui provoque l’alacrité et la moquerie de Jany. Une photo publiée sur facebook se chargera d’immortaliser cet instant de communion dans le rire. Nous nous couchons très tard, après une tisane somnifère qui me fera embrasser Morphée du bout de lèvres sans que je n’en goûte le plaisir. 
Merci Jean-Michel http://almacorda.com/ (joueur de mandoline qui fera l'objet certainement d'un billet, plus tard)

Après un réveil difficile et une matinée douce à papoter avec Jany de son écriture et de son recueil (Avec dessus dessous chez Gros Textes), je taille la route vers Nantes à la rencontre d’Anne. Nous déjeunons à la cantine du voyage (ça ne s’invente pas !) en échangeant nos vies comme une balle dans une partie de tennis. Le temps compressé qui m’est imposé par ce périple fou nous pousse à la synthèse et par là-même à l’important. Je fais à nouveau un plein de vie entre une bière et une cuisse de poulet. Je raccompagne Anne sur le quai des Antilles sur l’île de Nantes, l’aide à mettre son sac lourd d’une unité centrale d’ordinateur qu’elle vient d’acheter et la regarde s’enfuir à vélo à un train d’enfer. 

Il est quinze heures et j’ai encore prés de quatre heures de route à faire pour rejoindre Orléans et Michel Brosseau. J’essaie de l’appeler deux ou trois fois mais je n’arrive pas à le joindre. Un instant, je pense à l’incertitude de la nuit à venir. Il m’a oublié, peut-être. Je devrais réserver un hôtel au cas où il me ferait faux bond. Puis je m’aperçois que le numéro que m’a donné Michel est un numéro de téléphone fixe et qu’il n’est certainement et tout simplement pas chez lui. Je prends la route vers lui en me disant que je rappellerai en début de soirée, heure où tout un chacun rentre chez lui. 
L’autoroute est longue et je m’arrête fréquemment. J’essaie d’imposer de la lenteur à l’autoroute mais elle n’en fait qu’à sa tête en me poussant toujours plus loin, en m’empressant de quitter chaque lieu que je voudrai investir. J’arrive néanmoins à lire Cortazar et Dunlop sur une aire de repos et j’entrouvre des portes passerelles avec ma fafnerito, petite sœur de fafner le combi Volkswagen avec lequel Julio et Carol ont traversé de long et surtout en large l’autoroute qui mène de Paris à Marseille. Je suis un autonaute plus de trente après le périple de la cosmoroute et cette lecture me ravit. Au revers d’une page, Cortazar tente de sortir de l’aire, de ce lieu fermé sans autre issue que le sens de la route. Il y parvient mais à pied et il évoque la transgression enfantine, celle là-même que je sens en moi depuis le début du voyage. Une maison fermière au bout de mon aire invite à cette même infraction : la rejoindre en enjambant les petites haies d’arbustes malades de la pollution est chose facile. Ce sont les seules barrières entre ce lieu soi-disant clos et moi. Je ne le ferai pas, je préfère que ce soit plus tard, plus loin sur une autre aire quand Julio et Carol décideront de m’y inviter.

Vingt heures trente et j’entre dans St Jean de Braye. La voix féminine du GPS est poussive à moins que ce ne soit mes oreilles qui ne supportent plus cette parole lancinante sans aucune modulation de fatigue. J’aimerais parfois qu’elle épouse mon état du moment, ma plénitude comme ma lassitude. Je me gare dans la rue de Michel. Je chercher le 82 mais il n’existe pas. Je saute du 80 au 84, laissant le 82 dans un trou noir. J’appelle au secours avant de tomber dans une faille temporelle et, Ô miracle, Michel apparaît pour combler la numération manquante et le vide qui commençaient à s’emparer de ma tête. J’entre et fait connaissance des lieux et d’Isabelle, sa compagne. Je reconnais Michel comme un des miens, un de ses taiseux qui timidement se font à l’autre et à la parole. La soirée passe à une vitesse vertigineuse si bien que je décroche un bâillement gênant à minuit passée pensant être un inconvenant invité qui affiche sa lassitude dès l’apéritif. De la musique, des disques vinyle, de la littérature qui se fait et l’évocation touchante de la rencontre de Michel avec Julien Gracq, tout cela et encore plus nous mènent jusqu’au repas fait de bonne barbaque bienvenue et, la nuit déjà bien allongée, je me couche avec elle dans un esprit remué d’amitié.  
Le lendemain, nous passons un moment agréable et bucolique au bord de la Loire. Isabelle nous observe comme des écrivains que Michel et moi ne voulons pas être. Elle s’interroge sur nos humilités renversées, sur le « taire » de nos travaux respectifs. Nous évoquons une nouvelle fois la mémoire, le souvenir que le lieu distille dans les frondaisons et sur le souffle sourd qui balaye les herbes hautes. Revenus chez Michel, il m’offre son livre Entre-deux édité chez La Gidouille tandis qu’Isabelle me montre un de ses dessins-portraits d’hommes noirs aux lèvres gonflés et parfaitement réussies. Je suis touché par le cadeau et par le talent caché d’Isabelle. Je prends congés vers treize heures. J’ai envie d’écrire et de rejoindre Julio et Carol dans leur aire de repos.
Merci Michel et Isabelle. http://www.xn--chatperch-p1a2i.net/spip/

Je roule vite, trop vite. Je suis pressé de me poser, pressé d’écrire de peur d’oublier l’essentiel. J’ai faim aussi. Je m’arrête à la première aire. Elle est bondée de gens qui zigzaguent dans tous les sens. Ça me donne le vertige. Je fais la queue une vingtaine de minutes pour un pauvre sandwich et une bouteille d’eau. Je n’ai qu’une hâte : sortir de ce bouillon de gens trop bavards, trop touristes. La prochaine aire sera la bonne. De ces aires sans aucun commerce, simplement le nécessaire, des toilettes et des bancs sous les pins. Je suis bien et m’installe à une table en pierre pour déjeuner et écrire. C’est sans compter sur une intruse qui, alléchée par la mayonnaise, s’est planquée dans mon sandwich pour sortir juste au moment où je croque dedans. Piqure d’abeille ou de guêpe - je ne sais - à l’intérieur de la lèvre et gonflement instantané m’ont obligé à quitter l’autoroute pour gagner la pharmacie la plus proche à Artenay.  Un antistaminique et un relent d’hypocondrie plus tard, je reprends la route vers Montreuil et Christophe Grossi, frustré de ne pas avoir écrit. 

J’arrive chez Christophe vers dix-sept heures, la lèvre en dégonflement et un léger mal au ventre. Il me trouve fatigué par la voix qui l’appelle au téléphone pour chercher son chemin. Je le suis, fatigué, mais heureux de revoir Christophe trois ans après notre première rencontre lors de l’édition du salon du livre de Paris. Christophe et Christophe réunis. Souvent je pense à lui comme à un frère d’écriture et bien que nos inspirations soient différentes, avec lui aussi, est présent ce qui nous lie : l’impérieux besoin de saisir les strates du temps et de la mémoire. Il a désormais la même barbe blanche que moi bien qu’elle soit mieux coupée. Ma coquetterie est jalouse. Je le trouve agenouillé derrière sa fille à lui faire de petites couettes et un chignon d’amour dans les cheveux. Ils sont émouvants tous les deux, là, à toucher l’infra-ordinaire comme le nomme Christophe. Christophe est beau jusque dans ses gestes et ses paroles qu’il me distille avec douceur. Nous sortons au parc près de chez lui, ce même parc où il va tous les jours avec sa fille et dans lequel il cueille des instantanés postés sur Instagram. C’est sa matière à écrire, sa pâte à dire. Il reprend régulièrement ces clichés ordinaires, sous-ordinaires, pour les publier sur son site deboitements.net mais avec un an voire un an et demi de décalage pour rapport à la capture initiale. Ce que donne à voir Christophe pour lui et le lecteur forme un kaléidoscope du temps qui s’écoule dans le sous-bassement de nos vies. 
En fin de journée, nous retrouvons Catherine, sa compagne, tout sourire, parisienne enjouée que je suis ravi de rencontrer. Je mesure l’accueil car je sais pour Christophe l’intime précieux et à préserver. Après un Tchaooo tonitruant du petit bout qui rythme leur vie, le rosé s’impose en pourvoyeur des langues et précède le dos de cabillaud savoureux. La soirée coule dans nos têtes aussi bien que le vin en partage amical. Les évocations sont nombreuses, la date importante, à la croisée des chemins entre Christophe et Christophe. Nous voyons des signes, la fin de de son congés parental, son départ précipité le lendemain vers Strasbourg, son roadtrip conté dans Va-t’en va-t’en c’est mieux pour tout le monde sorti chez Publie.net en 2011. http://deboitements.net/spip.php?article17
Le lien avec Christophe se conforte plus que jamais et pour clore cette première semaine, il ne pouvait être que lui.
Merci Christophe, Catherine et Bianca.

01/08 11h00 – Je suis attablé à un bistrot face à la place de la Bastille. C’est bruyant mais il est fait doux. J’ai trop bu de café et trop fumé. Mathilde Roux me rejoindra cet après-midi j’irai dormir ce soir chez Astrid. Beaucoup de gens à voir sur Paris. Le tour continue… 

  

  • 1.8.15